« La mort soigne notre désir d’être immortel »
Proust. Voilà ce qui peut résumer l’état d’esprit de Lou Reed en 1992. Son
disque précédent, SONG FOR DRELLA, a été salué par une presse unanime, déjà
subjuguée par l’excellent NEW YORK. Ode à la mémoire de Warhol, le disque
montrait un Lou Reed devenu le survivant d’une aventure qui est enfin reconnue
et célébrée.
Finies les histoires de deals à 25 dollars, les
refrains provocateurs et les hymnes à la décadence, il était sorti de son
propre purgatoire, et voulait désormais aider les autres à vivre. Cet objectif
peut paraître un peu prétentieux, c’est pourtant la ligne directrice qui mena à
la production de ce disque. « Le disque de rock’n’roll a toujours été un média
jouet, je veux en faire autre chose qui peut aider les gens à vivre. »
Tant musicalement que dans sa construction, MAGIC AND LOSS est l’aboutissement de ce que Lou commençait à développer sur NEW YORK et SONG FOR DRELLA, disque dont la popularité masquera malheureusement cette réussite. A sa sortie, Lou Reed affirmait que l’album parlait de mort et de magie, cette magie émancipée des religions organisées, et qui forme la spiritualité de ceux qui ont été un peu secoués par la vie. Le concept permet aux chansons de s’enchaîner comme des scènes tristes ou lumineuses, renouant avec ce concept de « film pour l’esprit » qui fit la beauté des plus grandes œuvres Reediennes.
La guitare saturée ouvre le ballet des disparitions regrettées, évoquant rageusement les esprits de ses potes, ce début de voyage se nomme sobrement « Dorita ». « What’s good » poursuit donc le chemin endeuillé sur un rythme raffiné et nonchalant où Reed se plaint de « l’injustice de la vie ». Le tempo tout en retenu renoue avec NEW YORK, mais ne fait que souligner la véhémence d’un narrateur, qui ne sait comment réagir face à l’injustice de la vie.
« Power and glory » prend la suite sur une note spirituelle, c’est le blues du chanteur conscient de son cancer, mais qui croit en sa survie comme certains croient en dieu. Les complaintes gospel parsèment d’ailleurs son chant parlé, comme des apparitions divines perçant les nuages sombres. On saluera au passage le riff d’une rare finesse, qui sublime cette complainte pleine d’espoir. Puis vient « Magician », ultime manifeste de l’homme voyant l’ombre de la mort planer au-dessus de sa dernière couche. Et, forcément, cette image ne pouvait être illustrée que par le blues, cri de l’homme à terre, et qui devient une danse voodoo fascinante.
« Sword of damocles » est sans doute le point
d’orgue de ce disque, une complainte face à la fragilité de la vie, où les
guitares synthés sonnent comme des violons, rejoignant une contrebasse
majestueuse, pour emmener notre esprit au nirvana. Sur le titre suivant, la musique semble sortir de
l’église où Lou assiste à un enterrement, et parle au mort comme pour refuser cette fin. La batterie profonde
pulse comme un cœur, qui finit par s’arrêter, et les arpèges de guitare sont
d’une profondeur hypnotique.
Et puis, après s’être placé dans la position du
témoin, Lou imagine sa propre mort, dans un « Cremation » où il sonne comme un
Dylan macabre. Fidèle à la promesse portée par l’album, il se plonge dans un
rêve, où il parle à la personne disparue. Il ne cite jamais de nom, préférant
laisser l’auditeur placer ses propres souvenirs sur sa mélodie sobre. Sa voix
semble sortir d’un trip spirituel, où seules quelques notes de guitare et de
basse rehaussent le nuage réconfortant formé par les synthétiseurs.
« No chance » repart sur un rythme plus enjoué, plus rock et sautillant. Le constat n’est pourtant pas moins sombre et, si Lou semble sorti du deuil, ce n’est que pour constater qu’il n’a pas vu son amie partir, et n’a pas eu « la chance de lui dire au revoir ». Le deuil s’achève donc et laisse place à la colère face à l’injustice du destin, l’animal de New York retrouvant les rives du rock rugissant sur un « The warrior king » vengeur. Voilà donc notre héros se rêvant en roi guerrier, prêt à botter les fesses des cochonneries ayant mis fin à l’existence de son ami.
Mais, je l’ai déjà dit, Lou n’est plus un rock’n’roll animal, sa hargne n’est plus l’expression sauvage d’un homme se croyant immortel. Elle est l’intermède entre la tristesse de la mort et la célébration de la bravoure du mourant. Revenant dans le nuage synthétique parcourant le début du disque, la voix de Lou Reed célèbre désormais le courage de ceux qui se sont battus pour gagner un peu de temps supplémentaire. Puis la guitare gronde de nouveau, furieux requiem célébrant le combat mené par le héros de « Gassed and stocked », dont il ne reste « que quelques photos et souvenirs ». Le titre sonne comme une célébration tribale du combat que vient d’achever le défunt, une sorte de blues sauvage sur un rythme de galère.
Après avoir connu la mort, Lou Reed célèbre désormais une envie de vivre « plus forte que la luxure », sur une rythmique orgiaque, porté par un riff doté de la puissance vitale du vrai rock n roll. Le titre se nomme « Power and glory II », et c’est la lumière au bout d’un voyage qui, en dépit des apparences, se révèle résolument optimiste et positif. Le morceau titre conclut l’album sur ce constat, lâché comme une révélation : L’arrogance est un venin destructeur et la passion est le seul moteur de la vie. Il semble d’ailleurs se parler à lui-même quand il lâche « tu ne peux pas être Shakespeare et Joyce », constat cruel pour celui qui, plus que n’importe qui, a élevé les paroles rock vers des sommets littéraires.
MAGIC AND LOSS est un nouvel aboutissement dans la carrière de Lou Reed, son disque le plus abouti après Berlin. C’est aussi une œuvre qui nécessite qu’on s’y plonge totalement pour en ressentir toute la profondeur, la pièce musicale lumineuse d’un poète ayant atteint le sommet de son art.
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