samedi 4 avril 2020

Richard STRAUSS – Suite du Chevalier à la rose (1911-1945) – Andris NELSONS – par Claude TOON




- Le chevalier à la rose ? C'est un ballet, un opéra d'après un conte de fée Claude ? Richard Strauss, Zarathoustra ou Salomé l'opéra sanguinolent !!
- Un opéra sentimental Sonia… Un mélange entre les opéras bouffa de Mozart et l'univers de la Vienne du XVIIIème siècle, amusant, touchant, une musique de rêve…
- Et vous ne commentez pas tout l'opéra ?
- Non, je n'ai pas le pep en cette période difficile de rédiger une chronique de 4000 mots ; nous écouterons cette très belle suite symphonique…
- En rapport avec l'argument de l'opéra je pense…
- Bien entendu : les plus beaux airs, le monde de la valse, les chassés croisés amoureux…

Octavian et Sophie (Toulouse - 11 mai 2008)
Grand compositeur d'opéras, Richard Strauss (Clic) s'est toujours interrogé sur la finalité d'un opéra : l'intérêt littéraire de l'argument, l'importance de la ligne de chant et le rôle de l'orchestre.
Il fait dès ses débuts marquants dans l'art lyrique appel à des écrivains majeurs pour les livrets : Oscar Wilde pour Salomé, puis Hugo von Hofmannsthal, écrivain autrichien de premier plan, influencé par la psychanalyse freudienne et la pensée de Nietzsche ; considéré comme un précurseur de l'existentialisme qui sera le fondement de l'œuvre de Sartre. Il a déjà écrit le livret pour Elektra, second opéra composé en 1906-1908. Il sera aussi l'auteur des livrets : Ariane à Naxos (1912-16), La Femme sans ombre (1914-17), Hélène d'Égypte (1927) et Arabella (1932). Hugo von Hofmannsthal meurt en 1929. Pour son opéra La femme silencieuse de 1935, Strauss fera aussi appel à Stefan Zweig. Hofmannsthal et Zweig sont juifs, les nazis n'apprécieront guère, mais le compositeur est un dieu vivant pour la musique allemande et pourra se permette d'envoyer balader la censure de Goebbels…
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Christof Fischesser (Baron Ochs) & Sabine Devieilhe (Sophie) (c) Zurich Opera
Après les hystériques et sanglants Salomé et Elektra, Strauss entreprend de composer une comédie en hommage à la fois au vaudeville, aux opéras-bouffe à la Mozart et aussi à la Vienne flamboyante du siècle des lumières. Le résumé de l'intrigue du Chevalier à la rose est à lire après. Hugo von Hofmannsthal s'inspire entre autres du roman français de Louvet de Couvrai "Les amours du chevalier de Faublas" et de la pièce de Molière "Monsieur de Pourceaugnac". Quant au personnage du jeune chevalier Octavian chanté au féminin par une mezzo-soprano, le rapprochement avec Cherubin dans les Noces de Figaro est pertinent, il établit le lien avec l'époque classique en une période où Strauss veut s'éloigner du post-romantisme.
L'ouvrage donne le beau rôle aux femmes : La maréchale, quadragénaire de grande noblesse et au cœur généreux même si amateur de jeunes hommes, Sophie qui se rebelle contre les mariages arrangés. Ici par son père, bourgeois cupide qui veut ajouter une pincée de noblesse à sa famille en forçant Sophie à épouser le comte Ochs, stupide, vaniteux et adepte du passéiste droit de cuissage. Deux hommes bien antipathiques… Ochs étant un prédateur sexuel avant l'invention du mot !

La Comédie Lyrique est terminée en 1911. On a reproché certaines longueurs, le recours à trois rôles féminins principaux et seulement deux rôles masculins dont un secondaire.  Reste que la musique est splendide, pleine de drôlerie. Le Chevalier à la rose est l'un des opéras les plus joués depuis sa création au Königliches Opernhaus de Dresde le 26 janvier 1911 sous la direction d'Ernst von Schuch.
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Von Hofmannsthal & Richard Strauss (1915)
Résumé : Vienne, vers la fin du XVIIIème siècle. La princesse von Werdenberg surnommée "La Maréchale" se réveille après une nuit de bagatelle avec Octavian, un jeune chevalier. La noble dame nostalgique face à la quarantaine joue les couguars J. Un importun survient en la personne du Baron Ochs, pédant, vulgaire, de plus un obsédé qui saute sur tout ce qui porte une robe… Il doit se fiancer à la jeune Sophie Faninal, fille de M. Fanimal, un riche bourgeois.
Petite tradition oblige : de la part du baron, un jeune chevalier doit porter une rose d'argent à la promise (la même fonction que la bague de fiançailles de nos jours). La Maréchale suggère qu'Octavian assure cette mission. Ah là là, Octavian a le coup de foudre pour la donzelle… C'est assez réciproque et Sophie supplie Octavian de l'aider à échapper au mariage avec ce butor de Ochs… lâche, vulgaire et prompt à culbuter la première soubrette venue. C'est par ce point faible que les femmes et le jouvenceau vont faire chuter le baron. Il y aura maintes péripéties dont un duel entre Octavian et Ochs qui s'en sort avec une estafilade… Tout le monde est écœuré par la suffisance d'Ochs et de M. Faninal qui ne voit que son intérêt. Ochs se remet bien vite car un billet l'invite à une soirée en galante compagnie…
Ochs se précipite à sa soirée coquine, mais ne reconnaît pas vraiment Octavian déguisée en coquette. Trop tard, la nasse se referme, des complices de La Maréchale surgissent : une fausse épouse, une nuée de marmots qui crient "papa", ses créanciers. Ochs ridicule et humilié s'enfuit.
Restés seuls, Octavian et Sophie roucoulent en compagnie de La Maréchale, triste de perdre son amant mais pas jalouse d'avoir offert le bonheur aux deux jeunes. Le vaudeville se termine sur un trio de voix féminines parmi les plus tendres, sensuelles et un soupçon mélancolique de l'histoire de l'opéra.


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La Maréchale : Martina Serafin / Octavian : Sophie Koch © 
La distribution :
·       La Maréchale (soprano).
·       Octavian (Mezzo-soprano) ; un rôle de travesti dans la pure tradition des opéras bouffe chers à Mozart (Chérubin dans les noces de Figaro).
·       Sophie Faninal (soprano).
·       Le baron Ochs auf Lerchenau, cousin de La Maréchale (basse).
·       M. Faninal (baryton).

L'orchestre est très fourni mais jamais employé puissamment à la mode wagnérienne :
3 flûtes + piccolo, 3 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes (différentes tessitures + clarinette basse), 3 bassons + contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba basse, timbales, grosse caisse, triangle, tambourin, glockenspiel, crécelle, tambour, caisse claire, cloches, castagnettes, célesta, 2 harpes et cordes.
Hors scène : 2 flûtes, 1 hautbois, 3 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 1 trompette, tambour, harmonium, piano et cordes.
Il existe trois suites, deux de la main de Adolf Fürstner réunissant des valses, publiées vers 1911 mais que Strauss lui-même n'aimait pas. En 1945, Strauss est fauché dans une Allemagne en ruine où les droits d'auteur diminuent… Il arrange cette suite ; un pot-pourri des meilleurs airs. La courte valse finale, un peu superflue à mon sens, est d'Artur Rodzinski, un chef qui donna un coup de main au compositeur âgé de 81 ans. La suite fut créée à Vienne en septembre 1946 sous la direction de Hans Swarosky. Nous l'écoutons sous la baguette légère et alerte d'Andris Nelsons
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Sophie valsant avec Ochs (cache ta joie jeune fille😄 )
Con molto agitato : Strauss commence sa suite assez logiquement par la courte ouverture de l'ouvrage. Une introduction enflammée décrivant le réveil enjoué de La Maréchale et du jeune Octavian. On imagine les rires, le chahut dans les draps froissés après les exploits virils nocturnes du fougueux chevalier. Vite le petit déj'… Moment intense de bonheur entre une femme mûre et énergique et un jouvenceau qui peaufine son éducation sentimentale. Strauss oppose des motifs fringants et l'orchestration incandescente - trilles des cors, alacrité du phrasé aux cordes – qui participe grandement à ce climat sensuel et passionnée. [1:44] L'orchestre nous plonge dans un moment de tendresse, avec ce leitmotiv qui sillonnera tous l'ouvrage. Une seconde section enchaîne des motifs qui illustreront les diverses péripéties au fil des trois actes à venir. [4:37] Une mélodie d'une sensualité et d'une nostalgie intimiste se développe avec la présence insistante du célesta, des harpes et de quelques discrètes percussions. Pour enrichir son propos, Strauss énonce déjà la musique qui accompagnera La Maréchale, Sophie et Octavian dans la scène finale, l'une des pages lyriques les plus accomplies du compositeur.
Allegro molto [9:30] : Passage plus frénétique pour évoquer la brutalité et l'arrogance d'Ochs. On peut noter l'habileté avec laquelle Strauss distribue l'orchestration de pupitre en pupitre sans jamais déborder vers un pathos tel que l'on entend si souvent chez un Liszt dans ses poèmes symphoniques.
Tempo di Valse, assai comodo da primo [10:17] : Étrange valse en trois sections. La première section énonce une danse délicate avec un solo de violon gracieux précédé et suivi d'échanges espiègles des bois, principe de solo que l'on entendait déjà dans une vie de Héros. [12:36] seconde section : La danse gagne en vivacité, la soirée s'anime, on pensera à la famille des Johann Strauss (un anachronisme, mais quel hommage à l'art de la valse viennoise). [14:41] dernière section : le rythme de valse se dilue pour laisser place à une mélodie moins rythmée, symbole de l'épanchement des sentiments.
Moderato molto sostenuto [15:50] : l'épanchement des sentiments est bien le mot pour ce passage qui enchaîne les thèmes symbolisant l'amour sincère entre La Maréchale et Octavian ou Sophie et Octavian. Strauss distille avec finesse un érotisme sous-jacent à cette tragi-comédie. La quintessence de l'œuvre traverse ce mouvement qui, à mon sens, aurait dû s'achever ici, entre passion débutante et tristesse de la femme délaissée mais consentante, Octavian quittant une mère-amante pour une jeune fille de son âge ; Freud es-tu là ? …
Schneller Walzer. Molto con moto [22:31] : Une courte et frénétique valse dans laquelle manque la patte du compositeur par l'absence de légèreté conclut la suite. (Partition)
La direction d'Andris Nelsons est exemplaire de clarté et de dynamisme. Jamais le jeune chef ne se laisse piéger par les lourdeurs germaniques si fréquentes dans l'interprétation de la musique colorée de Strauss. Au disque, cette suite est souvent un complément d'une œuvre plus ambitieuse dans la discographie.

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