mercredi 29 avril 2020

BEDLAM (1973), by Bruno


     Nouvel élément apporté au chapitre des perles oubliés des 70'sChapitre réservé aux bafouilles sur ces groupes qui ont disparu après avoir réussi à enregistrer et à sortir le fameux premier disque. Le but ultime, l'Eldorado, la Terre Promise, hélas atteint au prix de pénibles et douloureux efforts et qui souvent a servi à donner le coup de grâce à des jeunes dont la tête était pleine de rêves et d'espoir. Qui se sont souvent retrouvés éreintés par des années de galères, de mauvaise nutrition et de nuits écourtées.
Cette fois ci, comme pour le chapitre précédent d'ailleurs, le batteur a connu une carrière exemplaire.

     Longtemps considéré comme l'une des raretés âprement recherchées lors de l'acmé de Cozy Powell, à l'époque où il était l'un des batteurs de la planète Heavy-rock les plus renommés et appréciés. Notamment grâce à sa présence au sein du Jeff Beck Group et de Rainbow. Par la suite auprès des MSG, Graham Bonnet, Whitesnake, Gary Moore, Black Sabbath, Brian May, Peter Green. L'album progressivement tombé dans l'oubli, resurgit à la suite de l'accident tragique de Powell. Avec désormais pour la réédition en CD le rajout  de "featuring Cozy Powell", afin de susciter l'intérêt du chaland - de même que pour situer le style de musique. C'est sûr qu'avec ce gaillard dans les parages, il ne faut pas s'attendre à du disco ou du r'nbi. 
Une première réédition CD survenue quelques mois après son décès, indéniablement opportuniste mais néanmoins nécessaire, car laisser tomber cet album dans l'oubli serait une erreur.

     Dans la riche carrière de Powell, ce Bedlam arrive après l'aventure de l'excellent Jeff Beck Group, deuxième du nom. Après qu'El Becko ait plaqué tout le monde pour repartir avec l'ex-section rythmique de Vanilla Fudge et de Cactus, le duo formé par Tim Bogert et Carmine Appice,
 Powell, lui, se retrouve le bec dans l'eau. Enfin, pas vraiment puisqu'il est sollicité pour jouer sur les albums de 1972 de Murray Head et de Donovan. La même année, il rappelle les frères Ball, Dennis & Dave, ses anciens camarades de jeu du groupe Big Bertha


Au sujet de  Big Bertha

     C'était un groupe de Birmingham prometteur, fondé en 1968 sur les cendres du Ace Kefford Stand, et qui ne put jamais enregistrer d'album. Seul une poignée de 45 tours sans intérêts et un enregistrement live exhumé sur le tard (en 2004), "Live in Hamburgh 1970". 
     Cet album témoigne d'un Big Bertha très largement influencé par Cream et les Yardbirds. Désormais en power-trio - la formation a débuté en quintet avec un troisième frérot aux claviers -, le psychédélisme s'est effacé au profit d'un Hard-blues puissant et brut, parfois assez mélodique comme savait si bien le faire Jack Bruce. Les musiciens, malgré leur jeune âge, possèdent déjà une bonne technique musicale ; Powell évidemment sans surprise, mais les frères Ball ne sont pas en reste avec la basse de Dennis d'un niveau et d'un groove approchant les Felix Pappalardi, Tim Bogert et Jack Bruce, et la guitare de Dave qui rappelle celle de Jim McCarty (de Cactus). Et les chanteurs (Dave & Dennis) font presque oublier la perte de Peter French , resté peu de temps avant de rejoindre les bourrins de Leaf Hound. Quelques reprises, par vraiment original au niveau du choix : « Spoonful » « Crossroads », « The Stumble »; « She's not There » (de The Zombies) exceptée.
L'enregistrement a été effectué dans un petit club d'Hambourg, et cela s'entend ! Car, hélas, la prise de son est exécrable ! Il est spécifié : utilisation de deux Sennheisers et un Revox pour capturer le son ! Plus, aurait fort été étonnant à l'écoute de cette bouillie sonore. C'est parfois proche d'un Venom des 80's en live  (des précurseurs ?), la technique en plus. Impossible d'écouter les deux CD à la suite sans s'exposer à des maux de crânes !


     Rien à voir avec l'unique et excellent album de Bedlam, dont déjà, pour commencer, une écoute attentive ne devrait pas décevoir les fans de Cozy Powell ; et de la batterie en général. Toutefois, l'attrait de cet album ne se limite pas particulièrement au martelage de fûts et au claquage de cymbales. Car derrière, il y a un excellent groupe de Heavy-rock suffisamment talentueux pour jouer les seconds couteaux de luxe. Voire plus.

   "
Believe in You" déboule avec une section rythmique emportant tout sur son passage, telle une avalanche. Ça hume bon le "Rainbow Rising" (qu'il anticipe d'ailleurs), avec la basse de Dennis Ball qui fuzz comme celle de Geezer, tandis que Powell s'est mué en bûcheron Rufus-la-rondelle, et débite les conifères au volant de sa Buzz-wagon (1). (Cozy avait récupéré la Ludwig de l'épopée Jeff Beck, avec double grosse caisse et d'imposants toms). Sur cette cavalcade se greffe un chant de forcené, transit par l'amour qui le brûle d'un feu intérieur.

Après cette entrée en matière pour le moins décoiffante, Bedlam démontre dès la seconde pièce qu'il n'est pas qu'un groupe de vandales. Ainsi, "Hot Lips" s'épanouie dans un funk-rock chatoyant bercé par une wah-wah spumeuse toute droite sortie des B.O. de la blaxploitation. Une chanson illuminée par l'admirable voix du petit nouveau, Francesco Aiello (ancienne voix de The Truth, groupe Pop des 60's). Cependant, derrière, la basse de Dennis ne se dépêtre pas des vibrations graves et poisseuses qu'elle affectionne, jouant avec une énergie qui la raccroche à West, Bruce & Laing. Un délectable contraste qui se savoure comme un plat sucré-salé.
Puis avec "Sarah", instant de douceur et de romantisme, avec quelques petits violons papillonnant au milieu de ce climat rafraîchissant de Soul sentimentale, cependant régulièrement chassés sans ménagement par de ponctuelles bourrasques de Heavy-rock.
Continuant sur la lancée, avec le renfort des claviers de Max Middelton (ex-compagnon de route de Powell au sein du Jeff Beck Group), "Sweet Sister Marys'égaye dans cette Soul triturée entre le romantisme d'un chant habité et une certaine âpreté induite par l'orchestration dirigée par des rockers dans l'âme. 

   "Seven Long Years" ouvre une nouvelle porte. Celle du Blues, cependant interprété avec la rudesse des brummies, qui ont été élevé au milieu des bruits incessants d'une industrie insomniaque. Du Hard-blues avec une wah-wah grassouillette mais pétillante. "The Beast" enfonce le clou. Vieille pièce sauvée du naufrage de Big Bertha, "The Beast" est un slow-blues adipeux, replet, échappé du "Led Zep I". Toutefois, Powell est un nerveux, et au bout d'un temps met les gaz entraînant la troupe à sa suite.
Plutôt classique, "Whisky and Wine" (face B du 45 tours "I Believe in You"), fait dans le Hard-blues vaguement boogie, héritier de Cream et du British blues, contant le simple plaisir de boire - dénonçant ainsi le penchant des musiciens -.


   Bien troussé mais un peu surprenant au milieu de ces morceaux irradiant de vitalité et de testostérone, "
Looking Through Love's Eyes " est un retour dans les sixties. Chanson composée par Pappalardi et sa compagne, Gail Collins. Felix Pappalardi, le producteur qui a assisté Cream (dès leur deuxième galette) pour parvenir à retranscrire le son de l'emblématique trio en studio, et qui l'a aidé à ouvrir des portails sur de nouvelles dimensions, dont certains recherchent toujours, maladroitement, l'accès. Pappalardi, éminent membre de Mountain, chanteur, compositeur (le plus prolixe de la troupe) et bassiste friand de sonorités imposantes et vrombissantes (certainement l'un des plus gros son de basse de l'époque) jouxtant ou plutôt perforant d'autres plus éthérées. Ici, présentement producteur, sa présence pourrait justifier en partie le soin apporté à l'enregistrement de la basse, nanti d'une implacable consistance fuzzy et boueuse, s'il n'y avait pas eu autant de soin pour les autres belligérants. Sans oublier qu'à cette période, les bassistes n'étaient pas encore noyés dans la masse.

Quant à Gail Collins (la conceptrice des pochettes psychédéliques de Mountain) apporte sa contribution de poétesse-hippie pour les paroles d'une poignée de chansons.

   Comme si le groupe craignait de trop bien faire, anxieux à l'idée de côtoyer leurs compatriotes de Birmingham avec un album de haute tenue, "Putting on the Flesh" est incompréhensible un sabordage. Le traitement de la voix par un tremolo artificiel la transformant en gargouillis infâme est une aberration gâchant lamentablement cet album jusque là irréprochable.
Heureusement, "Set Me Free" referme l'album de belle manière. Sur une base purement "creamienne", où même le chant d'Aiello prend des accents de Jack Bruce. Un puissant Hard-blues hypnotique, poussé par une batterie fulgurante et débordant de fuzz corrosive. Un titre qui préfigure le Desert-rock, voire s'impose en mètre-étalon du genre. Un final sulfureux, piquant les yeux, échauffant les esgourdes, perlant de sueur la nuque.

     Question matos, Dave utilisait deux Gibson Les Paul, une Black Beauty de 1964, et une Special Red Wine à trois micros, qu'il branchait dans des têtes d'amplis Sunn Coliseum reliées à quatre baffles 4x12 JBL Lansing. Avec ça, difficile de faire dans le cristallin. Pourtant, bien qu'avouant avoir passé de très bons moments avec Pappalardi - et son acolyte,  Bob d'Orleans, l'inséparable ingé-son -, d'avoir pu librement jouer fort, très fort, une véritable et salutaire délivrance, Dave raconte avoir été un peu déçu du produit fini. Il n'y a pas retrouvé la toute puissance déployée sur scène, et en studio.

     Sans être une pièce maîtresse, ce Bedlam perdu au milieu de la pléthore d'excellentes galettes émaillant l'année 1973 (et la décennie), n'en demeure pas moins une oeuvre qui a gardé toute sa saveur. Qui est à déguster régulièrement ; c'est inaltérable. Evidemment, il convient de faire abstraction de la pochette pour le moins artisanale, réalisée par le groupe suivant des dessins de Dave Ball.

     Hélas, la formation éclate l'année suivante. La faute à Chrysalis qui ne fait rien pour promouvoir le groupe et l'album. La faute à leur manager qui présente le groupe à Mickie Most, dans l'espoir de leur faire enregistrer un hit  (une reprise) puis de le faire passer à Top of the Pops, en le rebaptisant au passage "Cozy Powell & Bedlam". Dave, fauché, passablement fatigué et visiblement allergique à cette émission de télévision, vocifère sans ménagement sur le manager peu scrupuleux et Mickie Most, mais aussi sur ses compagnons. Il claque la porte, suivit pas son frère.
Peu de temps après, il est convoqué par une boîte new-yorkaise qui souhaite avoir le groupe pour la première partie de Rod Stewart, pour une tournée à travers les Etats-Unis dans des stades de plusieurs milliers de spectateurs.  Dave rappelle illico Cozy qui lui répond qu'il a signé avec Mickie Most.
Powell continue donc avec Aiello sous l'appellation "Cozy Powell's Hammer", passe à Top of the Pops avec un titre de glam-pop-rock sans envergure, et qui n'est visiblement pas resté dans les annales. Ce nouveau groupe rentre en studio avec le renfort de Bernie Marsden et de Don Airey, enregistre quelques compositions abouties mais le disque n'est jamais finalisé. Ces sessions ont été déterré sous le titre "Lost Reel Masters". La plupart valent largement le déplacement, même si certaines sont restées sous forme d'instrumental. Il semblerait que cela soit les derniers enregistrements de Francesco "Franck" Aiello.

     Cozy Powell, né Colin Flooks (2) le 29 décembre 1947 à Cirencester, va faire une belle carrière, sans période creuse, jouant auprès de certains des meilleurs musiciens et chanteurs de la perfide Albion. Jeff BeckRitchie Blackmore avec Rainbow, Graham Bonnet, Bernie Marsden,  Whitesnake, Keith Emerson & Greg Lake, Roger Daltrey, Gary Moore, John EntwistleBrian May et Peter Green. Et aussi Michael Schenker (mais lui c'est un Allemand).
     Dave, (né David Ball le 30 mars 1950 à Birmingham), après la dissolution de Big Bertha, avait pris la place laissée vacante par Robin Trower au sein de Procol Harum, avec qui il reste dix-huit mois. Suite à quelques problèmes de compatibilité d'humeur de la part de B.J. Wilson, il quitte le groupe pendant l'enregistrement de "Grand Hotel". Il se fait rapidement embauché par Long John Baldry avec qui il enregistre l'album "Good to Be Alive" (1973), dans lequel on retrouve aussi le frère cadet, Dennis. Après le naufrage de Bedlam, déçu, il s'engage dans l'armée et fait une carrière militaire. 
Il rejouera bien plus tard avec Gary Brooker et sort en 2012, à 62 ans, un album solo, "Don't Forget Your Alligator". Lui aussi, comme Cozy, trépasse un mois d'avril, le 1er, en 2015.
     Le groupe s'était reformé pour quelques concerts, quelques temps après le décès de Powell. En dépit de l'âge des musiciens, l'énergie était bien présente, avec un Aiello bien moins chevelu mais encore fougueux. 




(1) La voiture n°10 des "Fous du volant" ("Wacky Races") ; célèbre série d'animation de la fin des années 60, des studios Hanna & Barbera. L'équipage n°10 est constitué de Rufus-la-Rondelle le bûcheron et de son castor saucisson (Rufus Ruffcut et Sawtooth en VO - c'est mieux -) au volant d'un tacot fait de planches de bois assemblées grossièrement, avec des scies circulaires pour roues.
(2) Et donc aucun lien familiaux avec Don Powell, le batteur de Slade.


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