SONIA - C'est beau ce que tu écoutes, aujourd'hui, Diablotin, et ça me
change des choses arides et difficiles auxquelles Maître Claude m'a
soumise l'autre jour !
DIABLOTIN - Les quatuors de Chostakovitch ?
SONIA - Oui ! Je n'y ai rien compris, mais il ne faut surtout pas lui
dire ! Et parfois, ça a même écorché mes pauvres oreilles !
DIABLOTIN - Evidemment, ce que je te propose d'écouter aujourd'hui est
beaucoup moins difficile à appréhender. Tu devrais reconnaître, Maître
Claude t'a déjà assez abondamment parlé de ce compositeur. C'est un
Anglais à moustaches edwardiennes et veste écossaise.
SONIA – Ah ! Je sais : c'est Edward Elgar !
DIABLOTIN - Exactement, et ce que tu écoutes est son œuvre la plus
célèbre, ce sont les fameuses "Variations Enigma". Je vais te les
présenter un peu plus en détail.
Sir Adrian Boult (Clic) |
Edward Elgar
composa les "Variations sur un thème original", plus connues sous leur nom de "Variations Enigma", en plusieurs mois répartis sur les années
1898 et
1899. Il trouva le thème
original, qui introduit l'œuvre, en pianotant distraitement dans son bureau,
et c'est son épouse qui lui demanda quel était "ce beau thème qu'il jouait".
Ce thème servit alors de base à quatorze variations fondées chacune sur un
portrait de ses proches ou amis, désignés le plus souvent par leurs seules
initiales.
L'énigme liée aux personnages fut très vite levée, mais l'œuvre doit
également son nom à une remarque livrée par
Elgar
dans sa correspondance : "Un thème plus large traverse toute l'œuvre, mais il n'est jamais joué,
à la manière d'une pièce de théâtre où le personnage principal est
absent de la scène".
On a beaucoup glosé sur ce fameux thème, les hypothèses les plus
communément émises étant "Rule Britannia", "God Save
the Queen" ou encore "Auld Lang Syne", mais l'énigme demeure… énigmatique ! L'ensemble des personnages évoqués
est en revanche connu depuis longtemps, et on retrouve, dans l'ordre et
après le thème original :
1.
C.A.E.
(l'épouse du compositeur,
Caroline Alice Elgar)
2.
H.D.S.-P.
(Hew David Steuart-Powell, un ami pianiste)
3.
R.B.T.
(Richard Baxter Townshend, un acteur à la voix tonitruante)
4.
W.M.B.
(William Meath Baker, notable de l'entourage du compositeur)
5. R.P.A.
(Richard Penrose Arnold, pianiste amateur et fils du poète Matthew Arnold)
6.
Ysobel
(Isabel Fitton, une amie pratiquant l'alto en amateur, élève d'Elgar)
7.
Troyte
(A. Troyte Griffith, un architecte et pianiste amateur)
8.
W.N.
(Winifred Norbury, mécène connu aussi pour son rire particulier)
9.
Nimrod
(A.J. Jaeger, le meilleur ami du compositeur. Nimrod est un chasseur mythologique dans
la Bible, et Jager en Allemand signifie chasser, le compositeur jouant avec
les mots… Cette très célèbre variation rend compte d'une concertation entre
les deux amis au sujet d'un mouvement lent de Beethoven)
10.
Dorabella
(Dora Penny, une amie du couple)
11.
G.R.S.
(George Robertson Sinclair, organiste de la cathédrale de Hereford et son bouledogue)
12.
B.G.N.
(Basil G. Nevinson, violoncelliste amateur qui jouait de la musique de chambre avec le
compositeur)
13. *** (une amie traversant la rue)
14.
E.D.U.
(Elgar
lui-même, selon le surnom que lui donnait son épouse).
Versions proposées dans une discographie pléthorique :
L'œuvre, qui dure environ une demi-heure, devint très rapidement populaire
en Angleterre, puis à travers toute l'Europe,
Toscanini
la dirigeant dès 1902 ! Comme
tu peux l'entendre, SONIA, elle est très facile d'accès et d'une "Anglitude"
remarquable ! C'est pourquoi elle reste si difficile à interpréter : il
s'agit de trouver la juste intonation, une "British touch" qui lui rende
justice, au risque d'un absolu contresens.
Ma discothèque en compte une trentaine de versions - une version différente
pour chaque jour…-, et les chefs anglais s'y montrent particulièrement
brillants :
Edward Elgar
himself, par deux fois et
Adrian Boult, avant tout, mais également
John Barbirolli,
Thomas Beecham,
Andrew Litton,
Martyn Brabbins… La liste est longue.
Parmi les chefs non Anglais, je te recommanderais
Toscanini
et
Sinopoli,
Monteux
et
Jochum, et te proposerais d'écouter puis d'oublier
Leonard Bernstein
: il fut invité à diriger l'œuvre avec l'orchestre de la BBC en 1982, arriva très en
retard, braqua - voire insulta - les musiciens de cet excellent orchestre,
surnommant notamment
Elgar
"my fellow Eddy" - crime de lèse-majesté en Angleterre… - et livra une version très
iconoclaste de l'œuvre !
Karajan, en revanche, ne dirigea jamais l'œuvre, qu'il considérait comme du "Brahms de seconde catégorie".
DIABLOTIN - Alors, Sonia, convaincue ?
SONIA - Je vais déménager en Angleterre avant qu'il ne me faille un visa
! Cette œuvre est vraiment très agréable et, comme tu le disais, conforme
à l'idée que l'on se fait de "l'Anglitude" !
Elgar
(1929),
Toscanini
(1935),
Boult
(1970), Répétition avec
Bernstein
(1982) :
Un peu plus tard…
LE TOON – Soniaaaaaaaaaaaaa !!! C'est quoi cette mutinerie avec
Diablotin, on se gausse de Chostakovitch, de mes choix… Hum, je vous
martyrise ou quoi ?
SONIA – Ben heu ah non, faut pas le prendre mal… J'aime bien Enigma…
c'est tout, pas vous ?
LE TOON : Beaucoup plus après avoir écouté ces beaux enregistrements,
1926, 1935, 1972 et Bernstein qui fait son numéro. Une version dont on se
lasse vite en effet… D'ailleurs lors de la publication ajoutez celle de
Sinopoli de 1990 avec le Philharmonia citée par le sieur Diablotin, en
prime : une prise de son du tonnerre de Dieu…
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