jeudi 26 décembre 2019

RIP - ROCKIN'JL (2010 - 2020) par Frédéric Mitterand





Toute la rédaction du Débloc’not est réunie dans le hall d’entrée marbré, la mine piteuse. Nous avons invité pour l’occasion Frédéric Mitterrand, qui après s’être sifflé une dernière flûte - de champagne - se racle la gorge et entame son laïus. Nous baissons les yeux, respectueux, dans ce moment d’intense recueillement. 
- Bââssoir… Elle nous a quittés, Joëlle la Rouquine, fille adorée de Rita Hayworth dont les formes voluptueuses nous enivraient depuis sa danse sensuelle de Gilda, chef d’œuvre de Charles Vidor…
Nous relevons les yeux, ahuris, moment de flottement, qu’interrompt Claude en levant timidement le doigt :
- Monsieur Mitterrand, attendez, y’a erreur, ce n’est pas Joëlle mais JL, et pas Rouquine, mais Rockin’, un garçon…
- Pardon, un problème de fiches... Euh, Aznavour c'est fait, Johnny c'est fait, Renaud c'est... en réserve... ah la voilà, Rockin', alors je recommence… je prends une bonne respiration... ah ces phrases de trois minutes...
- ...Bââssoir ! Il nous a quittés, Rockin’ JL, épuisé par un tourbillon de chroniques savoureuses où se croisaient pêle-mêle tueurs sadiques de l’ouest américain importés dans les sierras ibériques, westerns qui vibraient au cœur de Jésus Luis Rockinos de son vrai nom, où se croisaient  aussi les jeunes artistes pop issus de notre hexagone musical que notre compère ne cessait de défricher, ou encore quelques vieux briscards braillant sous le soleil australien en éclusant bières fraiches et shoot de pur malt et qui le soir aboyaient leur blues-rock rugueux dans les honky tonk de fortune de la banlieue de Brisbane. Car avec Rockin’ nous avons voyagé du bush aride aux landes celtiques, de la province d’Almaria aux faubourgs de Château Renault où notre camarade avait vu le jour, pour le plus grand bonheur des lecteurs assidus du Déblocnot’ dont notre ami était le pilier, et pas que du bar, le maître d’œuvre, l’instigateur, l’âme, le général en chef, le maréchal au bâton toujours levé, lui qui dans les vestiaires de quelconques clubs de sport était surnommé "l'inflexible" pour sa constance à garder son attribut tête haute, et qu’aujourd’hui pleure en se morfondant dans un bureau sinistre et sans fenêtre son compagnon de route Luc B. qui depuis la terrible nouvelle se refuse d’écrire un seul mot sur le clavier du vieux Macintosh acheté bourses communes, clavier dont on pensait qu’il manquait les voyelles car c’était un modèle QWERTY mais duquel sont sortis les premiers articles de ce qui allait devenir la page web la plus sexy à l’ouest du Pécos. 


Philou, trop ému pour écouter la suite, lorgne les bouteilles de blanc qui rafraichissent sur le buffet richement pourvu, Bruno zieute la charcutaille, Pat palpe son perfecto Lemmy pour s'assurer qu'il n'a pas oublié ses tiges, Luc marmonne à l'oreille de Claude "c'est quoi cette histoire d'âge pivot ? Faut atteindre l'âge de Bernard Pivot pour la quille ?"…
- Ils sont tous là pour le saluer une dernière fois. Au premier rang de ses intimes nous partageons la peine de Liza Blackwell troisième du nom, ensorcelante choriste, qui chantera pour nous les airs favoris de notre cher chroniqueur choisis dans le répertoire rutilant de ses idoles Christophe Maé, Pascal Obispo ou Zaz la gouailleuse, elle aussi présente et très affectée, pleurant dans les bras de Sonia, secrétaire émérite de notre rédaction, dont les gloussements de dinde résonnent encore dans ces murs lorsque Rockin’ l’invitait élégamment dans son bureau d’un tonitruant « radine-toi la bombasse ». Beaucoup d’artistes sont venus rendre un dernier hommage au créateur du Débloc d’Or, institution artistico-médiatique reconnue par-delà les mers, qui avait sacré en son temps des Yvan Guillevic, des Laurent Zerat et autre Galichon, Fraziak, que des chics types, les Flying et leur bonne sauce, qui brisés par la douleur du deuil ont remisé leurs guitares.
Pat s'est trouvé une clope, Philou goûte le rosé.  
- On se souvient de tous ces voyages en chansons que JL nous proposait, les chansons à la montagne, les chansons à vélo, les chansons de boxe, les chansons en vacances, les chansons sexy - chronique signée pour l’occasion Fuckin’JL -  les chansons au soleil ou sous la pluie… On se souvient de ses interviews sans complaisance des Witchs, des Chics Types, de Christophe Marquilly, et même du fantôme de Robert Johnson, et tant d’autres belles prises, car il était l’ami des artistes, notre Jean Claude Brialy à nous. A force de les côtoyer, il était passé derrière le micro en 2012 sous le nom de Z-RO, le temps d’un disque politiquement engagé ("je vais chanter mon hymne /la société je l'encule / et comme j'ai plus de rime / je... euh... la ré-encule") qu'il avait joué à guichet fermé à la maison de retraite Les Vieux Glaouis, devant 12 spectateurs dont son chien et ses trois chats. Et souvenons-nous de sa célèbre auto-interview à l’occasion de sa 500ème chronique, exercice schizophrénique de haute volée (de tennis).

Claude s'envoie du Bruckner dans les oreilles, Vincent tambourine ses genoux sur le Bo Diddley beat, Philou inspecte les rouges, mais putain que c'est écrit petit sur les étiquettes... Mitterrand poursuit :
- Celui que la tragédie avait frappé en décembre 2010 une nuit sans lune mais avec beaucoup de neige lorsque sa Golf verte métallisée avait sombré au fond d’un ravin dans un crissement abominable de freins qui ne fonctionnaient plus depuis trois ans, celui-là qui toujours s’était relevé de l’adversité, avait à cœur de défendre le patrimoine de ce pays qu’il aimait, en présidant des associations aussi nombreuses que les Amis de l'Andouille, les Amis de la Bolée, des Menhirs et de l'Artichaut réunis, et qui s’était découvert un destin présidentiel en 2012, lançant depuis ce blog une campagne électorale qui avait fait frissonner jusqu’aux plus hautes instances républicaines, avant de s’abimer dans une flaque de vomi verdâtre consécutive à la cuite mémorable à la Chartreuse qui avait suivi la déflagration de la défaite, celui-là oui... ah merde j'ai paumé la fin de ma phrase... 
Bruno rejoint Pat au buffet, Philou propose au barman de prendre sa pause pendant qu’il prendra sa place, Sonia renifle dans les bras de Vincent, puis de Claude, puis de Luc, puis de Freddie, puis du mec à côté, et son voisin, puis du type derrière, puis du barman libéré de sa tâche par Philou qui en profite pour gouter le champagne, geste purement hygiénique, faudrait pas qu’on tombe sur une bouchonnée. Le neveu poursuit...
- Diminué ces dernières années par des blessures à répétition lors des plus grands tournois de tennis (Saint Yvi 2007, Melgven 2008, Bannalec 2009, Concarneau 2010, le plus prestigieux) on se souvient du mémorable 6-0, 6-0, 6-1 infligé au représentant de l’association MIC de Guéméné (Manchots Invalides Civils), un seul petit jeu concédé car JL était parti se soulager aux toilettes pendant que son adversaire ramassait une balle avec les dents et la propulsait derrière le filet, celui qui avait tout appris du maniement du manche avec Ion Tiriak avait dû abandonner une carrière sportive pourtant prometteuse selon les dires d’Yvette Garnier sa professeur de sport en CM2, encore éblouie par son coup droit, un sacré très bon coup si l’on en croit aussi les souvenirs de la secrétaire du service des sports de Rosporden. Ce sportif à la stature impressionnante, capable tel De Niro de passer de 110 à 75 kilos en trois semaines juste en laissant deux centimètres de bibine au fond de ses canettes, faisait je cite "l'admiration de tous" (source : The Biniou Chronicle 23/08/2013, article signé par... sa femme).   
Luc s'en roule une et rejoint Pat à l'extérieur, Claude tente d'initier Bruno à Debussy qui en échange lui refile en loucedé une compile de Gary Moore, vas-y mon gars c'est de la bonne… Infatigable, Frédéric Mitterrand poursuit :
- Rockin’ JL n’est plus… n’est plus dans ces colonnes. Celui qui a tellement donné pour la culture a réclamé le droit de se reposer, et c’est la larme lourde que ses compagnons de route, Claude, Pat et Bruno l’accompagneront jusqu’à la porte, une main amicale posée sur son épaule robuste, car le bougre est sacrément charpenté, mais je m'égare… Rockin’ tu regarderas en partant une dernière fois le long couloir qui menait à ton bureau décoré des portraits de collaborateurs morts aussi au combat, au premier rang desquels l’ami Philou - photo prise à la soirée de Noël 2013 en train de déballer sa tireuse à bière - ou encore les camarades Vincent, Foxy, Freddie, Christian ou Big Bad, ou de quelques clichés aguicheurs de Nicki Minaj dont il aimait parsemer ses articles, car cet homme-là était avant tout un homme de goût. Amateur de rock, il est le seul à avoir passé la moitié d'un concert de Bruce Springsteen aux gogues (et aux Vieilles Charrues) pour cause de gastro. Pour les néophytes, la moitié ça veut dire 1h45 sur le trône... Un exploit que seule Elizabeth II a battu !
Claude à bout de nerf charge sur son I-Pod l'intégral d'André Rieu, on essaie de le retenir ("Non, Claude ! Pas de gestes inconsidérés, la vie est belle, les oiseaux chantent, Maitre Gims aussi, hélas...") Bruno attaque le jambon de sanglier aux truffes arrosé de vin Gris et Gibson en main balance dans les plus beaux riffs de I Murvini, Pat et Luc essaient de poser Philou en équilibre sur sa chaise... Le Fred reprend :
- En hommage à Jacques Brel, Rockin’ a annoncé son départ vers Iles Marquises, en compagnie de Philou, qui aux dernières nouvelles ce serait acheté un ukulélé, parce que la guitare c’est plus dur, y’a deux cordes en plus. Ces grands passionnés de blues et d’americana ont le projet de monter un tribute-band de Franky Vincent, "vas-y Rockin’ c’est bon" comme disait Sonia les soirs de bouclage, lorsqu’il ne restait que quelques minutes avant de mettre en route les rotatives et que JL arrivait ses feuillets encore humides d’encre et de sueur. Le cou orné d’une médaille de Greta Thunberg côté face et de Jimmy Barnes côté pile, Rockin’JL traversera les mers en bateau pneumatique, à la rame, les yeux levés au ciel pour regarder passer le 747 dans lequel Philou aura pris place, ces gros avions avec le bar au premier étage, dont l’indice carbone est aussi élevé que les étrennes de Jeff Bezos, le fondateur d’un célèbre site de ventes en ligne qui a fait lui aussi le déplacement, instigateur malgré lui du Débloc’not, où la plupart des auteurs avaient trainé leurs plumes.
Le souffle court, l'ex ministre de la culture embrasse la salle d'un large mouvement de bras, puis fixant l'intéressé dans les yeux...
Il nous quitte, Rockin’ JL, il quitte son bureau mais pas nos cœurs. Nous ne t’oublierons pas. Bââssoir... Ça fera 3000 balles avec la note de taxi. Merci.
Frédéric Mitterrand quitte l’estrade, sert quelques mains, sort et s’engouffre dans Hubert. Dans un Uber.
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Vous aurez compris qu’après dix ans de bons et loyaux services et 636 articles, Rockin’JL désire reprendre un peu sa liberté. Depuis sa nouvelle terre d’adoption, il ne pourra plus nous rendre sa copie toutes les semaines. C’est pourquoi à partir de janvier, le Déblocnot’ réduira sa voilure, en proposant trois ou quatre articles par semaine, écrits par les habituels Claude, Bruno, Pat et Luc, mais aussi par Nema, et Diablotin, nouveau venu pour prêter main forte, prolongation active d'une belle carrière de lecteurs très assidus. 

(Euh... n'hésitez pas à candidater si vous souhaitez nous soumettre des chroniques, les "invités du blog" sont toujours les bienvenus... Mais on paye pas.)


Les nouvelles allant décidément très vite de nos jours, plusieurs personnalités ont déjà réagi au départ de notre vaillant chroniqueur : 




L'ex-ministre est parti, laissant Sonia déboussolée :
- Mais il est mort de quoi, au juste ?
- Qui ça ?
- M'sieur Rockin'
- Le gars qui est au buffet avec Philou à discuter des bienfaits du cocktail hydromel-vodka sur le système vasculaire ?
- Oh mon dieu, il est vivant, c'est un miracle ! Lève toi et bois !
- Il s'est toujours bien porté, cet homme a une constitution exceptionnelle, vous savez bien.  
- Bah oui mais alors comment ça se fait que... enfin je... aaahhh c'est trop d'émotion pour moi m'sieur Luc, prenez-moi dans vos bras, vite !
- Venez mon p'tit bouchon, je suis certain que m'sieur JL ne partira pas sans tirer une dernière cartouche, je vous propose de revenir demain, ici même, pour lui faire vos adieux...


A demain ! 

6 commentaires:

  1. Et oui, après Philou, c'est Rockin' JL qui prend sa retraite...sniff...il reste quelque chose à boire

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    1. oui mon Philou, on arrosera ça au premier de l'an ..

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  2. La première photo, ce doit être pile-poil un an après celle faite pour un obscur groupe américain, qui servit pour la pochette de leur quatrième album.
    C'était une formation de moustachus chevelus filiformes, probablement des hippies. Ils fumaient de drôle de cigarettes roulées et étaient adeptes de champignons aux vertus surprenantes. Le pauvre blondinet, qui eut droit aux deux (déjà le goût du risque qui prévoyait un "journalisme gonzo"), en eut la tête toute retournée. Il ne s'en est jamais complètement remis. (D'ailleurs, on voit bien sur la pochette qu'il cherche désespérément de nouveaux champignons)

    Ainsi, malgré des années de divers traitements, il ne revint jamais dans le droit chemin, et jamais ne pu voir une émission de Guy Lux, et plus tard de Drucker, sans piquer une crise (plusieurs téléviseurs y sont passés jusqu'à ce que l'on installe un grillage devant).
    A la décoration d'un certain C.M., il fit une attaque. Pauvre enfant.

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  3. Tu fais référence à "Brothers and sisters" de l'ABB ? Si c'est le cas, c'est vrai que la chromo y fait penser... D'ailleurs, dans un article "Déblocnot en folie" daté du 17 mai 2012 (putaing, ça ne nous rajeunit pas...) (http://ledeblocnot.blogspot.com/2012/05/dou-viens-tu-vraiment-rockin-par-luc.html) j'avais déjà déliré sur le sujet, sur leur disque "One way out" il y avait un titre qui s'appelait "Rockin'" !!!

    Arrfff... S'ils n'avaient que fumer de l'herbe et manger des champignons qui font rire... mais pas que, hélas...

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    1. Hé oui Luc et Bruno, une partie de mon passé que je croyais oubliée...

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    2. Yes, Sir ! C'est une évidence telle que Rockin' n'a pu que l'avouer. (il y croyait nous le cacher)
      Il paraîtrait qu'il toucherait encore des droits à l'image ; un centime (d'€uros) par disque vendu. Pas grand chose mais depuis 1973, cela en fait des centimes. On raconte que tout est parti dans les bières ...

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