lundi 11 novembre 2019

LES OMBRES DE MONTELUPO de Valerio Varesi – par Nema M.



Nema arrive dans la cuisine, Sonia prépare le repas du soir et dit :
-      J’aime bien les champignons. J’aime bien l’odeur de terre quand je coupe les pieds, et bien sûr ce parfum et cette texture unique à chaque espèce de champignon frais : bolet, girolle, pied de mouton, trompette de la mort…
-      Ah, non ! pas de trompettes de la mort pour moi ! s’exclame Nema
-      Bah, c’est quoi c’t’idée ? T’aimes pas ?
-      Parce que je viens de lire un roman dans lequel ce champignon porte malheur…

Valerio Varesi
Quelle idée d’aller en vacances dans un bled de montagne à la Saint-Martin ! On croit que l’on va pouvoir se promener tranquille dans la forêt, dans les chemins solitaires, trouver des champignons, bref se ressourcer au cœur d’une nature préservée quand on vient de la grande ville de Parme. Mais, mauvaise pioche pour le commissaire Soneri ! Ce séjour dans son village d’origine ne sera absolument pas reposant.

La Saint Martin. Un 10 novembre animé par la foire au village. En même temps, ce jour-là,  d’étranges affiches indiquent que Paride Rodolfi est en vie et en bonne santé. Paride Rodolfi ? Le fils de Palmiro Rodolfi le vieux fondateur de l’entreprise de charcuterie qui fait vivre presque toute la population du bourg ? Soneri vient d’arriver et trouve cela un peu bizarre : pourquoi placarder une pareille information… En lisant plus en détail, Soneri découvre que l’annonce fait également allusion au fait que Paride « est parfaitement en mesure de tenir ses engagements professionnels ».  Voilà le point de départ de la fin des vacances tranquilles.

Soneri s’installe à l’auberge de l’Écureuil. Un vieil établissement, au décor un peu passé qui a tout le charme des souvenirs d’antan. L’accueil un peu bourru de Sante Righelli, le propriétaire, est largement adouci par le délicat parfum des tortelli fourrés et des plats de viandes (bien entendu accompagnés de polenta) préparés par l’accorte Ida, son épouse. Soneri est gourmand de bonne chair et de produits de ce terroir montagneux et giboyeux. Il aime aussi l’ambiance des cafés où l’on échange quelques mots autour de la mystérieuse affaire de la disparition de Paride (puis de son père Palmiro) tout en buvant un verre de malvasia, un toscano éteint à la main. Soneri bois, mange, fume et se promène dans la montagne à la recherche de champignons. De bolets qu’il imagine somptueux et délicieux. Il ne trouvera que des trompettes de la mort (que personne ne cuisine au village, car de mauvais augure), un cadavre et accessoirement un fusil. Il ne trouvera pas la sérénité qu’il était venu chercher car sa notoriété et le manque d’expérience des carabiniers locaux vont petit à petit l’amener à plonger dans l’enquête. 

Il y a du brouillard. Dans le village et accroché à la montagne. Dans les têtes et dans les esprits qui s’échauffent doucement, mais tout d’abord en silence, autour d’un problème d’argent prêté aux Rodolfi. Faillite ou pas de cette entreprise de jambons et autres « cochonailles » ? Où est passé la confiance ? On s’interroge sur le passé pour comprendre le présent tourmenté. Palmiro a épousé la belle Evelina qui été convoitée par deux autres hommes du bourg : le Maquisard et Capelli. En toile de fond, fascisme et communisme. L’histoire de l’Italie, de la fin du fascisme de Mussolini, de la lutte des communistes pendant et après la 2nde guerre mondiale. Le père de Soneri était un communiste. Nouvelle génération avec Paride, sa femme et leur fils : beaucoup plus de goût pour l’argent que pour l’idéologie quelle qu’elle soit.  
Il y a la lumière dorée de l’automne quand le soleil a fini de gommer cette humidité cotonneuse accrochée aux sommets. Brillante lumière, ciel bleu d’une grande pureté, air frais et léger quand Soneri arrive chez Baldi, le gérant du refuge à quelques pas du lac Sacré. La saison touche à sa fin. Conversation au comptoir entrecoupée de pauses, un petit verre de blanc à la main, quelques informations sur ceux qui passent aujourd’hui par la montagne pour des trafics de drogue ou de contre bande, sur ceux qui sont passés par là autrefois. Complexité d’une histoire d’hommes rivaux et perdus entre la soif de l’argent et l‘amour de leur dure région de Montelupo.  
Et côté bande son dans cette histoire ? Du bruit dans ces montagnes. Le bruit calme des pas sur les feuilles mortes ou, quand il va commencer à geler, ce petit craquement unique de la couche de glace brisée par les gros godillots sur le chemin caillouteux. N’oublions pas le chant des oiseaux, leurs envols à forts battements d’ailes qui accompagnent nos montagnards. Mais il y a aussi le bruit fracassant des coups de fusil qui déchire l’air du village et plonge tout le monde dans l’inquiétude. Surtout quand les carabiniers vont commencer à traquer celui que l’on croit être l’assassin. Cache-cache entre les arbres, gare aux passages à découvert, gare à l’usage de ces fusils chargés à gros calibre pour le gibier à poil. Quelques dégâts collatéraux, des balles qui ricochent sur les rochers, des éclats de troncs qui percutent les visages.
Montelupo
Les chiens jouent un rôle important dans cette histoire, à côté des hommes. Le vieux chien de chasse de Rodolfi père, la chienne Dolly de Palmire qui s’attache à Soneri d’instinct et qui le guide vers la résolution d’une partie de l’intrigue. Compagne silencieuse (gourmande de parmesan et de jambon…) mais très attentive et dont la présence réconforte bien Soneri dans ses méditations.  
Angela, l’amie de Soneri restée en ville, joue un rôle de boussole dans cette quête de vérité. Par leurs petites conversations, elle apaisera le commissaire qui plonge dans un affreux doute quant à la réelle personnalité de son père et ses liens avec les Rodolfi. Parfois il vaut mieux laisser le passé enterré. Mais parfois, un beau soleil vient aussi faire une trouée dans le brouillard.
Passionnant roman dont j’ai beaucoup apprécié l’ambiance, l’intrigue qui se dénoue tout petit à petit, un temps qui passe très doucement, à la vitesse de la brume du matin de novembre qui se délite au fil de la matinée. Le héros est un personnage attachant. Et il n’y a pas de bons et de méchants dans cette histoire, juste des hommes et des femmes. Vivants (avant d’être morts pour certains d’entre eux évidemment). Et Italiens. 
Valerio Varesi est né à Turin en 1959. Il a étudié la philosophie à Bologne. Il est actuellement journaliste et auteur de romans dont plusieurs avec Soneri comme héros. Les ombres de Montelupo a été traduit de l’italien par Sarah Armani.

Bonne lecture !

Agullo Noir
310 pages

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