Nema arrive dans la cuisine, Sonia prépare le repas du
soir et dit :
- J’aime bien les champignons.
J’aime bien l’odeur de terre quand je coupe les pieds, et bien sûr ce parfum et
cette texture unique à chaque espèce de champignon frais : bolet, girolle,
pied de mouton, trompette de la mort…
- Ah, non ! pas de trompettes
de la mort pour moi ! s’exclame Nema
- Bah, c’est quoi c’t’idée ?
T’aimes pas ?
- Parce que je viens de lire un
roman dans lequel ce champignon porte malheur…
Valerio Varesi |
La Saint Martin. Un 10 novembre animé par la foire au
village. En même temps, ce jour-là,
d’étranges affiches indiquent que Paride Rodolfi est en vie et en bonne santé. Paride Rodolfi ? Le
fils de Palmiro Rodolfi le vieux fondateur de l’entreprise de
charcuterie qui fait vivre presque toute la population du bourg ? Soneri
vient d’arriver et trouve cela un peu bizarre : pourquoi placarder une
pareille information… En lisant plus en détail, Soneri découvre que
l’annonce fait également allusion au fait que Paride « est parfaitement en mesure de tenir ses engagements
professionnels ». Voilà le
point de départ de la fin des vacances tranquilles.
Soneri s’installe à l’auberge de l’Écureuil. Un vieil établissement, au décor un peu passé qui a tout le charme
des souvenirs d’antan. L’accueil un peu bourru de Sante Righelli, le
propriétaire, est largement adouci par le délicat parfum des tortelli fourrés
et des plats de viandes (bien entendu accompagnés de polenta) préparés par
l’accorte Ida, son épouse. Soneri est gourmand de bonne chair
et de produits de ce terroir montagneux et giboyeux. Il aime aussi l’ambiance
des cafés où l’on échange quelques mots autour de la mystérieuse affaire de la
disparition de Paride (puis de son père Palmiro) tout en buvant un verre de
malvasia, un toscano éteint à la main. Soneri bois, mange, fume et se promène
dans la montagne à la recherche de champignons. De bolets qu’il imagine
somptueux et délicieux. Il ne trouvera que des trompettes de la mort (que
personne ne cuisine au village, car de mauvais augure), un cadavre et
accessoirement un fusil. Il ne trouvera pas la sérénité qu’il était venu
chercher car sa notoriété et le manque d’expérience des carabiniers locaux vont
petit à petit l’amener à plonger dans l’enquête.
Il y a du brouillard. Dans le village et accroché à la
montagne. Dans les têtes et dans les esprits qui s’échauffent doucement, mais
tout d’abord en silence, autour d’un problème d’argent prêté aux Rodolfi.
Faillite ou pas de cette entreprise de jambons et autres
« cochonailles » ? Où est passé la confiance ? On
s’interroge sur le passé pour comprendre le présent tourmenté. Palmiro
a épousé la belle Evelina qui été convoitée par deux autres hommes du
bourg : le Maquisard et Capelli. En toile de fond, fascisme
et communisme. L’histoire de l’Italie, de la fin du fascisme de Mussolini,
de la lutte des communistes pendant et après la 2nde guerre
mondiale. Le père de Soneri était un communiste. Nouvelle
génération avec Paride, sa femme et leur fils : beaucoup plus de goût pour
l’argent que pour l’idéologie quelle qu’elle soit.
Il y a la lumière dorée de l’automne quand le soleil a
fini de gommer cette humidité cotonneuse accrochée aux sommets. Brillante
lumière, ciel bleu d’une grande pureté, air frais et léger quand Soneri
arrive chez Baldi, le gérant du refuge à quelques pas du lac Sacré. La saison
touche à sa fin. Conversation au comptoir entrecoupée de pauses, un petit verre
de blanc à la main, quelques informations sur ceux qui passent aujourd’hui par
la montagne pour des trafics de drogue ou de contre bande, sur ceux qui sont
passés par là autrefois. Complexité d’une histoire d’hommes rivaux et perdus
entre la soif de l’argent et l‘amour de leur dure région de Montelupo.
Et côté bande son dans cette histoire ? Du bruit dans
ces montagnes. Le bruit calme des pas sur les feuilles mortes ou, quand il va
commencer à geler, ce petit craquement unique de la couche de glace brisée par
les gros godillots sur le chemin caillouteux. N’oublions pas le chant des
oiseaux, leurs envols à forts battements d’ailes qui accompagnent nos
montagnards. Mais il y a aussi le bruit fracassant des coups de fusil qui
déchire l’air du village et plonge tout le monde dans l’inquiétude. Surtout
quand les carabiniers vont commencer à traquer celui que l’on croit être
l’assassin. Cache-cache entre les arbres, gare aux passages à découvert, gare à
l’usage de ces fusils chargés à gros calibre pour le gibier à poil. Quelques
dégâts collatéraux, des balles qui ricochent sur les rochers, des éclats de
troncs qui percutent les visages.
Montelupo |
Angela, l’amie de Soneri
restée en ville, joue un rôle de boussole dans cette quête de vérité. Par leurs
petites conversations, elle apaisera le commissaire qui plonge dans un affreux
doute quant à la réelle personnalité de son père et ses liens avec les Rodolfi.
Parfois il vaut mieux laisser le passé enterré. Mais parfois, un beau soleil
vient aussi faire une trouée dans le brouillard.
Passionnant roman dont j’ai beaucoup apprécié
l’ambiance, l’intrigue qui se dénoue tout petit à petit, un temps qui passe
très doucement, à la vitesse de la brume du matin de novembre qui se délite au
fil de la matinée. Le héros est un personnage attachant. Et il n’y a pas de
bons et de méchants dans cette histoire, juste des hommes et des femmes.
Vivants (avant d’être morts pour certains d’entre eux évidemment). Et
Italiens.
Valerio
Varesi est né à Turin en 1959. Il a étudié la philosophie à
Bologne. Il est actuellement journaliste et auteur de romans dont plusieurs
avec Soneri
comme héros. Les ombres
de Montelupo a été traduit de l’italien par Sarah Armani.
Bonne lecture !
Agullo Noir
310 pages
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire