mercredi 27 novembre 2019

JADE WARRIOR " Last Autumn's Dream " (1972), By .... Banzaïïï (Bruno)




     Les années 70 - ainsi que la seconde moitié de la décennie précédente - ont été une formidable matrice musicale où il n'y avait pour seule frontière que les limites de l'imagination et les moyens pour y accéder. Moyens tant matériels que spirituels. Une époque (bénie) où les pontes des maisons de disques n'étaient pas encore trop sur le dos des musiciens. Hélas, cela va rapidement changer. Certains artistes suivront plus ou moins docilement les conseils (traduire par directives) et d'autres s'épuiseront dans de pénibles bras-de-fer. Comme ce fut le cas par exemple pour Humble Pie à qui on refusa catégoriquement de sortir le fruit de son travail (qui ne sortira que vingt-cinq années plus tard sous le titre "The Scrubbers Sessions"), et lui intimant de retourner en studio. Quand d'autres encore n'ont pas déjà perdu toute leur énergie dans l'infernale boucle concert-studio, pressés comme des citrons jusqu'à l'épuisement. Une période donc riche en terme de créativité, mais tout de même parfois bien cruelle.
 

   Enfin, bref, tout ça pour dire que passé quelques années, il aurait été bien difficile, voire improbable, à un groupe comme Jade Warrior d'être signé et diffusé par un label solide et établi. Ici, en l’occurrence, par Vertigo qui eut le nez fin lorsqu'il décida d'élargir son catalogue en y incorporant des groupes d'un genre nouveau, pour ne pas dire atypique. Ainsi, des groupes tels que Colosseum, Frumpy, Gravy Train, Buffalo, Tiger B Smith, Kraftwerk, May Blitz, Patto, Black Sabbath, Magma, Uriah Heep, Sensational Alex Harvey Band, Magna Carta - et Jade Warrior - ont eu la possibilité de s'exprimer grâce à cette entreprise britannique. La plupart est tombé dans l'oubli, mais quelques uns ont réussi
, peu ou prou, à marquer l'histoire.

     La genèse de ce Jade Warrior remonte à l'aube des années 60, lorsque deux manutentionnaires travaillant dans un grand entrepôt londonien, Anthony Christopher Duhig et John Frederik Field, se rencontrent. Ils lient connaissance et se découvrent une passion et une curiosité commune pour la musique. Parallèlement au Jazz, ils s'intéressent aux musiques traditionnelles ethniques avec une large préférence pour l'Asie et l'Afrique. Ce qui est peu commun pour de jeunes Anglais de ces années.
Duhig expérimente sur une guitare d'entrée de gamme et Jon sur des Congas. Avant de maîtriser un tant soit peu leur instrument, ils se hasardent à créer quelque chose de cohérent sur un enregistreur quatre pistes.

     A l'heure de l'envahissement du Blues dans le Royaume-Uni, et plus particulièrement à Londres, le duo fréquentant régulièrement les clubs et friands de concerts, ne peut que prendre de plein fouet l'omniprésence de cette nouvelle musique. Ce qui va déteindre sur leurs expérimentations musicales.
En 1965, le binôme incorpore une formation de rhythm'n'blues, The Tomcats, avec un certain Patrick Lyons au chant. Lyons laisse sa place à Tom Newman qui sera plus tard connu en tant que producteur des premiers albums de Mike Olfield (et de quelques autres des années plus tard). Comme quelques rares autres groupes Anglais de l'époque, la troupe s'expatrie un temps en Espagne où elle demeure quelques longs mois. Quatre Ep sont réalisés et s'installent dans les charts de la péninsule ibérique (réédités bien plus tard sous un seul disque).
A leur retour au pays, en 1966, la formation subit une mutation en s'immergeant profondément dans le psychédélisme. Elle change de nom pour "July" et publie en 1968 un unique 33-tours éponyme qui, aujourd'hui encore , est considéré comme représentatif de son époque. (Les deux autres disques de 1987 et 1993 ne sont en fait que des rééditions augmentées de divers bonus).
Cette formation ne fait pas non plus long feu. Duhig rejoint le groupe Unit 4+2 - probablement en remplacement de Russ Ballard parti rejoindre Argent - . Ce groupe de pop-rock part pour une tournée de clubs en Perse, avant de rentrer en Angleterre plus démuni que jamais.
C'est à ce moment que prend forme Jade Warrior, avec les rescapés d'Unit 4+2. Soit Allan Price à la batterie (aucun rapport avec Alan Price), Glyn Havard à la basse et au chant, et Tony Duhig qui rappelle son vieux camarade Jon Field.

   En dépit d'une musique pour le moins singulière, le groupe ne tarde pas à avoir un premier contrat auprès de Vertigo. Il est généralement admis qu'il avait profité d'un contrat de lot, avec Assagai, poussé par le célèbre groupe d'Afro-rock, Osibisa. Toutefois, sachant que ce dernier n'avait pas encore gravé un seul disque, ni même un 45 tours, cette allégation est douteuse. Plus plausible que cela soit le fruit d'une pression du management (qui gérait les deux groupes), mais aussi par la présence au sein du label d'un ancien compagnon de route de The Tomcats
Patrick Lyons. En effet, il est fort probable que ce dernier, alors producteur et chercheur de talent de Vertigo, ait pu intervenir pour faire pencher la balance en la faveur du groupe.

     L'histoire reste floue, d'autant que certains membres du groupe se plaindront d'un désengagement du label. Cependant, Jade Warrior réalise tout de même trois disques chez Vertigo avec une musique -ils en conviendront eux-même - qui désappointe le public, le laisse perplexe, ne sachant pas exactement de quoi il s'agit.
Si leur deux premières réalisations sont fort intéressantes pour qui aime le mélange des genres - de la World music bien avant l'heure -, le troisième, "Last Autumn's Dream" représente l'acmé de la première mouture.
Le groupe évolue à une vitesse sidérante. Le premier disque est intimiste, dépouillé et contemplatif, ouvrant des portes sur des jardins japonais, des shakkei où règne douceur et tranquillité, et d'autres sur d'antiques mystères orientaux. Pour dieu sait quelles raisons, le premier et éponyme disque est enregistré en trio, sans le concours d'Allan Price. La batterie est remplacée par des couches subtiles de percussions diverses. Le second, "Released", sorti la même année, se pare de vibrations guerrières. Alors que le premier et éponyme disque a été enregistré avec seulement trois des membres, soit sans Allan Price et donc sans batterie, se distinguant alors par son atmosphère dépouillée, le suivant, enregistré en quintet, est nettement plus étoffé, se vouant parfois au Hard-rock cru de l'époque.

     "Released" retrouve non seulement Price , et son kit de batterie, mais invite aussi un cinquième larron en la personne de Dave Conners, pour éclabousser de touches éparses de saxophones alto et ténor. Cependant, bien plus que par les cuivres, ce second album est marqué par des sonorités bien typées Hard-rock. Ce qui n'était qu'un voile précédemment, devient ici un ingrédient majeur. Avec notamment une guitare plus présente et plus hargneuse. Paradoxalement, c'est parfois cette dernière qui grève "Released", dévoilant une relative maladresse et quelques petits trébuchements. Un peu comme si elle avait improvisé une bonne partie du temps.

     Le troisième, enfin, "Last Autumn's Dream", est le pinacle de cette première mouture. Il représente la fusion des deux premiers albums pour un rendu révélant une maturité et une maîtrise créant un monde onirique quasi unique. Un univers secret reniant le monde moderne, tourné vers la sérénité d'un matin printanier où les premiers rayons de soleil dans lesquels virevoltent pétales et papillons fabuleux, dansant avec une douce et tiède brise 

     Si le trio de base demeure le même, et que l'ami Allan Price  est resté campé derrière ses fûts - du moins lorsque batterie il y a -, le petit frère David Duhig est venu prêter main forte pour quelques parties de guitares franchement heavy. Étonnamment, la plupart du temps Glyn Havard délaisse sa basse pour se concentrer sur le chant, où à l'occasion jouer de la guitare acoustique.


   Le disque démarre en douceur avec "A Winter's Tale" qui révèle l'attachement du groupe à un certain esprit "flower power", entre naïveté et optimisme, friand de bonheurs simples.

"Des cieux prometteurs de neige s'accumulent ... Ravi de vous faire partager un sourire avec moi. Et tout va bien, assis à la lumière du feu ... et pour vous et moi le vent chante des chansons d'hiver ... Boire du liquide du péché pour éloigner le froid"
Une atmosphère de quiétude brisée nette par un riff heavy annonce la bourrasque du bruyant "Snake". Un poème quasi punk, nihiliste et égaré, trempé d'influences King Crimsonniennes, assez bruyant pour gagner l'approbation du public des clubs de Detroit ou de New-York.

   La flûte traversière alto de Jon Field entraîne "Dark River" dans un dédale comblé d'embûches ; féline, elle se meut lentement, comme prise dans un rêve, évoluant en slow motion, dans une lumière tamisée où le moindre recoin peut cacher une menace. Un parcours occulte et initiatique K'baïle où l'on apprend à comprendre et ressentir l'esprit du djebel.
   Avec "Joanne", le passé Blues des membres fondateurs remontent à la surface. Toutefois, outre la guitare lead, ici exceptionnellement loquace, les instruments semblent passer par le prisme du pays du Soleil levant. Tout comme l'éthéré "Morning Hymn", baigné de rosé matinale, où soufflent de doux alizés. Une douce chanson jouée en trio, totalement dans l'esprit du premier disque.
   "May Queen" est encore une chanson pleine de soleil et de tièdes douceurs, une ode au simple plaisir de vivre. Intronisé par des percussions asiatiques, promptement rejoint par un arpège triomphant sur lequel se greffe une guitare fuzzy aux accents évoquant Wishbone Ash, le morceau dérive subtilement vers un Jazz en mode mineur sur un rythme de bossa-nova. C'est en toute logique que le solo se teinte d'accents à la Carlos Santana.
"Avec un baiser tiède, tu viens me chanter des berceuses du printemps ..."


   "The Demon Trucker" prendrait presque des chemins plus conventionnels, plus en phase avec son époque et notamment le Glam-rock qui avait envahi les ondes de la vieille Angleterre. Le titre fut d'ailleurs le sujet d'un 45 tours. Interlude léger et festif.

   La chanson "Lady Of The Lake" porte en elle, suavité et délicatesse ; elle tisse une atmosphère reliant les contes de l'amour courtois du moyen-âge au zokugaku du Japon. Les notes de pochette parlent de morceau Tolkien-nesque, toutefois ce serait plutôt Arthurien, évidemment en référence à la Dame du Lac, Viviane, la fée qui recueillit pour l'éduquer, le jeune Lancelot après le décès de son père.
"Dame du crépuscule, dîtes-nous où vous allez. Lié au couché de soleil, couronné d'argent, vous souriez lorsque le soir rougit. Des montagnes lointaines brûlent sous une neige écarlate... Dans une robe de lumière étoilée filée par la main du poète, apporte l'espoir à ceux qui parcourent ta terre ; sept anneaux ornent vos doigts, sur l'eau s'attarde l'encens. C'est volontiers que je chante vos ordres. Ne laissez pas les voix sombres du lointain vous vaincre, nous vénérons votre sagesse et votre chemin"
   "Borne On The Solar Mind" n'est autre qu'un beau prolongement instrumental, clôturant l'album dans un crépuscule ocre et lourd.

     Alors, forcément, avec la flûte traversière omniprésente, nombreux penseront immédiatement à une filiation avec l'incontournable Jethro Tull, cependant, le style de Field lui est propre et assez éloigné de l'attrait pour des sonorités néo-médiévales et néo-Renaissance d'Anderson. Bien moins excitée, extravertie et nerveuse que celle de ce dernier, elle s'épanouie dans les atmosphères contemplatives et éthérées.

     L'insuffisance de retours financiers incite le label Vertigo à rompre définitivement son contrat avec le groupe, malgré la mise en boîte effective de nouveaux morceaux. Ces derniers verront le jours vingt-cinq ans plus tard, tels quels, sans retouche, sur deux disques : "Eclipse" et "Fifth Element". Du bon et du bancal mal dégrossi (la musique a été enregistrée par personne d'autre que Jon et Tony).
Face à ce camouflet et le manque évident de reconnaissance, la majorité des membres quitte le navire. Seul le duo fondateur, par qui tout a débuté, persévère. Ainsi, Tony Duhig et Jon Field ont continué contre vents et marées à composer et jouer leur musique, en toute probité, sans se soucier d'éventuelles retombées commerciales. En 1974, "Floating World", sorti sur le label Island, marque une orientation plus New-age. La suite continue à interpeller en brouillant les pistes, entre Soft-jazz, musique transcendantale, space-rock et New-age. Le dernier disque, "NOW", est sorti en 2008, sous le label Allemand, défricheur de musique 70's, Repertoire.





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