- Et bien
dites donc M'sieur Claude, cette semaine vous ne vous êtes pas trop foulé côté étude de l’œuvre…
En nombre de mots, on passe du coq à l'âne… Hihihi…
- Doucement
les basses Sonia ! Oui, après la méga chronique consacrée à la méga 7ème
symphonie de Bruckner, voici un papier méga bref ! Enfin, c'est relatif.
- Pourtant
sur un trio de Brahms, il doit y avoir beaucoup de choses à dire…
- En fin de
carrière, Brahms cherchait la concision, chassait les redites dans une musique
très pure… Raison de plus pour ne pas délayer par mes bavardages…
- Ça se
tient, il a un nom compliqué ce Trio de musiciens, une réunion d'artistes plutôt qu'un trio
constitué ?
- Ô non, constitué depuis 42 ans, cela
dit Jaime Laredo est un violoniste et altiste illustre aux USA, l'un des professeurs
d'Hilary Hahn. Ajoutons qu'il est un spécialiste de Brahms…
J. Laredo, J. Kalichstein - S. Robinson - Laredo |
Seule ombre au tableau dans cette carrière bien assise,
le conflit engagé depuis 1860 entre
les admirateurs de Brahms, attachés à la forme
néo-classique (pas tant que ça) et les supporters de la révolution lisztienne et
wagnérienne (utilisation active du chromatisme, opéra chanté dans la continuité
mélodique à l'aide de leitmotiv, etc.). Entre les deux, Anton Bruckner,
qui ne fait que déplorer cette compétition ridicule et attristante, d'autant
qu'il en fait les frais, ses symphonies
(voir samedi dernier) n'étant pratiquement jamais jouées car beaucoup trop
ardues, techniquement parlant, pour les instrumentistes de l'époque. Ce grand
symphoniste déplore ces rivalités esthétiques, d'autant plus qu'il ne rencontre
aucun soutien de la part de l'auteur de Tristan,
son mentor hélas très imbu de lui-même, et voit toutes ses tentatives pour
"percer" anéanties dans l'œuf par le tristement célèbre critique
Eduard Hanslick, ami de Brahms et fanatique du soi-disant
classicisme de celui-ci. Deux autres victimes de ce personnage pernicieux : Wagner (qui n'en a cure) et Hugo Wolf, un ami de Mahler,
un compositeur hypersensible qui, tout autant vilipendé que Bruckner, déprime jusqu'à la folie et mourra
à l'asile en 1899. Pourtant, comme
rappelé la semaine passée, Bruckner
rencontrera enfin le succès avec sa 7ème
symphonie en 1884. Et
au début des années 1890, les deux
hommes commenceront ensemble le long chemin de la reconnaissance par l'ensemble
des mélomanes… Un chemin qui ne se terminera réellement qu'après la
seconde guerre mondiale…
Il faut dire que les sottises fonctionnaient dans les
deux sens. Pourtant, on entendra Johann von Herbeck*,
après la répétition de la seconde
symphonie de Bruckner,
s’écrier : "Si
Brahms était en état d’écrire une
symphonie comme celle-là, la salle croulerait d’applaudissements."
Stigmatisant ainsi ce problème risible d'influence des critiques qui jugeaient la musique "au faciès".
(*) Un maestro créateur de la symphonie
inachevée de Schubert,
des Maitres chanteurs de Wagner
et même… du Requiem allemand De Brahms !!! Comprend qui pourra…
Dernier point insolite ; Bruckner
et Brahms avaient une passion commune :
écumer les brasseries de Vienne et abuser largement des chopes de bière. Tu
vois Philou, c'est la marque des génies…
- Mais vous
pensez que ces deux compositeurs étaient bourrés en permanence ? Quant à
M'sieur Philou, on sait tous que c'est une légende urbaine, enfin…
- Bruckner
était issu d'une longue lignée de "toqués" Sonia, il souffrait de
déprim' et de TOC avec des idées suicidaires… Brahms vivait en vieux bougon
solitaire, bedonnant à 50 ans comme un vieillard, barbu et hirsute comme un
prophète ; un cancer du foie abrégera ses jours à 63 ans…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Ces bisbilles n'avaient vraiment aucun sens
constructif. Bruckner étant un
symphoniste pur et dur (juste un quatuor et un quintette d'intérêt mineur)
tandis que Brahms composait en majorité
des pièces pour le piano et de palpitantes œuvres de musique de chambre… même
si ses concertos et symphonies sont passionnants (Voir index).
Son trio
N°1 pour piano et cordes est un modèle du genre, je l'ai
même chroniqué deux fois dans des interprétations différentes. Portant le
numéro d'opus 8, c'est son premier ouvrage de chambre majeur. Le travail d'un
jeune compositeur de 21 ans, très romanesque, d'une durée ambitieuse de 35
minutes et daté de 1854 quoique remanié
vers 1890.
Brahms ne va
plus composer que de la musique de chambre à partir de 1885, et des monuments de son catalogue. Il atteint par ailleurs un degré de concision qui montre son désir de synthétiser son savoir-faire et de moderniser son
langage : son 3ème trio écouté
aujourd'hui (le 2ème date de 1880),
le quintette à cordes
et les sonates, le trio et le quintette
pour clarinette. Une exception : le double concerto
pour violon et violoncelle, sympa mais pas essentiel.
Été 1886, comme
quasiment tous les ans jusqu'à la fin de sa vie, Johannes
Brahms séjourne à Thoune
(pas Toon) en Suisse, charmante petite ville au bord du lac du même nom. Brahms a toujours été fasciné par les
paysages alpins (il composa sa 2ème symphonie
au Tyrol). Il y rencontre des amis. Petite
digression : Johann Strauss II, l'auteur du Beau Danube bleu, fait
partie de ces proches, admirateurs de l'art de Brahms. Il regrette un peu de n'avoir
composé, certes avec talent, que des valses, marches et polkas de divertissement
sous l'ombre dictatoriale de son père Johann Strauss Père. Il exprime un enthousiasme
sans borne pour les symphonies et l'ouverture tragique.
Autre ami, un voisin, le poète Joseph Victor Widmann ; les deux hommes échafauderont un projet
commun d'opéra, surement devant du houblon fermenté ; Brahms
n'a jamais composé d'opéra, il n'a surement aucune intention réelle de
commencer une carrière lyrique.
De sa fenêtre, il peut contempler le lac et les
sommets bernois. Un climat serein propice à imaginer un trio méditatif, court, d'une
grande simplicité, gai mais non dépourvu de nostalgie. Sa chère Clara est si loin… D'où le choix d'une
tonalité dominante : ut mineur, plutôt élégiaque. Quant au classicisme si
souvent attribué à Brahms, il en prend un coup
tant par les libertés prises par rapport à la rigidité de la forme sonate que par
le recours pour le moins original à d'incessants changements de rythmes dans l'andante.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Jenő Hubay et David Popper |
Le trio Kalichstein-Laredo-Robinson
réunit trois artistes américains qui poursuivent par ailleurs de belles carrières indépendantes.
Ils sont assez peu connus en France. Leur complicité débute en 1977 à l'occasion de la prise de fonction
du Président démocrate Jymmy Carter.
Ils sont nommés Ensemble de l'année par la presse. Ce trio commande et interprète
de nombreuses œuvres de compositeurs contemporains.
Le pianiste Joseph
Kalichstein né en 1946
en Israël a bénéficié du soutien de Claudio Arrau
pour intégrer la Julliard School. Il se produit sur toutes les scènes yankees,
jouant le répertoire concertant le plus large avec les meilleurs orchestres des
USA. Il a été enseignant à la Julliard School de 1983 à 1997.
Jaime Laredo,
violoniste, altiste et chef d'orchestre est originaire de Bolivie où il a vu le
jour en 1941. Il est diplômé du
prestigieux Curtis Institute de Philadelphie, établissement dans lequel il
deviendra lui-même un pédagogue. La jeune Hilary Hahn
très présente dans le blog a suivi ses cours d'interprétation… Il a été aussi
un membre fidèle du festival de Marlboro à la grande époque ou officiaient Rudolf Serkin et Pablo
Casals. Il tiendra la partie d'alto lors des enregistrements des
quatuors pour piano de Brahms
par Isaac Stern, en compagnie de Yo-yo Ma et du pianiste Emanuel Ax (voir la discographie à la fin
de ce billet).
Sharon Robinson, Mme Jaime Laredo à la ville, est née en 1949. Elle aussi poursuit une carrière outre
Atlantique de soliste et de pédagogue. Le trio Kalichstein-Laredo-Robinson
est un exemple rare de longévité sans changement d'instrumentiste avec une
durée de vie de 42 ans ; et ajoutons-le, auteur d'une belle discographie.
La création du Trio N°3 eut lieu en décembre 1886 avec Jenő Hubay au violon, David Popper au violoncelle et Brahms
lui-même au piano.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Avec l'expérience, Brahms a affiné son langage, chassant les répétitions académiques, donnant tort à ceux
qui limitent son apport musical à un crépuscule du classicisme. Les quatre
mouvements sont courts, entre 4 et 7 minutes. Les facéties de mesures dans
l'andante sont totalement nouvelles…
Lac de Thoune par Ferdinand Hodler (vers 1905) |
2 - Presto non assai (en ut
mineur) : [7:14] Ce petit intermezzo épouse de manière lointaine la forme scherzo
usuelle. Il n'est même pas noté comme telle. Le matériau mélodique apporte une
grande fraîcheur, un esprit furtif et ludique avec ses motifs feux-follets en
pizzicati très présents dans le "trio" central intégré dans une soucieuse continuité émotionnelle de ce bref mouvement. Rarement Brahms nous a enchantés avec une telle
économie de notes.
3 - Andante grazioso (en ut
majeur, à 3/4 + 2/4, trio à 9/8 + 6/8, et 9/8) : [10:57] L'andante est une
méditation au flot élégamment chaloupé. Une oscillation accentuée par la notation
surprenante des mesures : une mesure à trois temps précédant deux mesures à
deux temps et ainsi de suite ! [11:34] Violon et violoncelle développent avec
tendresse un trio qui n'existait guère dans l'étrange mouvement précédant.
L'atmosphère échappe complètement au style classique. Peut-on parler de
naturalisme voire d'expressionnisme ? Debussy composera son quatuor seulement sept ans plus tard en 1893, donc la fin du romantisme dominateur est à notre
porte en 1886… Une douce ballade au bord du lac de Thoune…
4 – Finale :
Allegro molto (en ut mineur, à 6/8) : [15:20] Bien que la tonalité
d'ut mineur ne suggère pas l'euphorie, ni le compositeur, ni nos trois
instrumentistes ne parviennent dans le final à nous plonger dans une réelle
mélancolie. Brahms songe-t-il à la douce lumière d'un soir d'été, les paupières s'alourdissant, ce qui sollicite quelques souvenirs nostalgiques
? Une évasion de la pensée vers l'image de Clara ? Peut-être. Le discours devient
plus saccadé avant la coda, l'ivresse musicale chassant quelques idées sombres. [19:31] la coda en
ut majeur conclut l'ouvrage sur une note optimiste. (Partition)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
La discographie n'est pas abondante mais de qualité.
On retrouve un peu les mêmes interprètes historiques que lors des chroniques
autour du Trio N°1. L'enregistrement du Trio
Katchen /Suk/ Starker pour DECCA de 1968
est toujours disponible. Un souffle épique et passionné, juste une prise de son
un peu terne, une référence (Clic).
Isaac Stern au
violon, Leonard Rose au violoncelle et
Eugène Istomin au piano ont marqué
durablement l'histoire du piano au disque, pour Schubert et Beethoven et pour
Brahms. Pour ce dernier, Isaac Stern a gravé l'ensemble des œuvres où le violon
à un rôle soliste. Sony a judicieusement réédité ce patrimoine d'origine CBS.
On trouve un cycle des trois quatuors avec piano avec Jaime
Laredo à l'alto (le monde est petit), Yo-yo
Ma au violoncelle et Emanuel Ax
au piano. Un coffret de 5 CD pour une quinzaine d'euros. (Sony – 6/6).
Et une fois de plus, une interprétation élégante et virevoltante
du Beaux Arts Trios ; on ne change pas une
équipe qui gagne (Philips – 6/6).
Pour finir, une curiosité : dans les années 90, le Trio Fontenay réalisa une intégrale des
trios bien accueillie par la critique. Aux trois trios officiels, l'ensemble
avait ajouté un 4ème
trio posthume, une partition découverte et publiée dans les
années 1920-30, les musicologues l'ayant attribuée à Brahms.
Le musicien sacrifiait nombre de partitions dont il était insatisfait ; bien exigeant
à l'écoute😀. Le
manuscrit semble devoir être daté d'avant 1865.
Le style brahmsien est bien là, sans aucun doute, même si l'œuvre ne retrouve
pas le flamboiement de l'opus 8 de 1854. (Apex - 5/6) [Deezer]
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire