Pourquoi faut-il quasi quotidiennement prendre connaissance
d'une triste nouvelle en écoutant la radio, le matin en tentant d'émerger avec
son premier café ? Ce mardi matin est gris : Jessye
Norman n'est plus. Elle nous a quittés à 74 ans, pour une cantatrice
cet âge signifie la retraite certes, mais en aucun cas un âge canonique justifiant
le trépas…
Pour mon premier article consacré au cycle des quatre derniers
lieder de Richard Strauss,
sans doute le dernier grand maître de ce genre hérité du romantisme, j'avais choisi
l'interprétation de Jessye accompagnée par Kurt Masur et le Gewandhaus
de Leipzig. Un enregistrement du début du numérique, lyrique et
crépusculaire qui pour la première fois faisait de l'ombre aux enregistrements d'Elisabeth Schwarzkopf de 1953 et 1966. (Clic)
Je copie in extenso le portrait de la
diva au sourire généreux écrit en 2014 :
C'est bizarre ! Les sopranos semblent plus marquer la
mémoire des mélomanes "classique" que les altos, et il me semble qu'à
l'inverse les voix graves fascinent les amateurs de jazz et de blues : de Billie Holiday à Mahalia
Jackson et bien d'autres… La cantatrice afro-américaine Jessye Norman avec sa tessiture
exceptionnelle jouait sur les deux tableaux.
Née en 1945
en Géorgie, Jessye Norman parvient, dans
l'Amérique ségrégationniste, à étudier le chant dans plusieurs universités des États du nord (Washington, Baltimore et Détroit). Elle se fait remarquer en
Europe lors de concours et commence sa carrière sur le vieux continent. La
chanteuse est dotée d'une voix de soprano dramatique, donc elle possède une
tessiture large et beaucoup de puissance. Elle excelle dans deux langues :
l'allemand et le français et pourra ainsi triompher à Covent Garden dans les troyens
de Berlioz au début des années 70. Pendant
des décennies, on peut l'entendre à la fois sur la scène lyrique mais également
en concert pour des récitals de lieder avec orchestre ou accompagnée au piano.
Je me rappelle d'un concert mémorable des années 70 : les Gurrelieder de Schoenberg,
avec Ozawa tenant la baguette au palais des
congrès de Paris. Elle a d'ailleurs enregistré cet ouvrage gigantesque du compositeur viennois
avec le même chef et le symphonique de
Boston pour le label Philips. Un disque toujours
disponible.
Et comme toutes les sopranos à la voix à la fois veloutée et puissante, Jessye Norman a chanté les innombrables
mélodies de Richard Strauss et les grands rôles des opéras de Wagner. Ah, je parle de
diva… Comme toutes ces dames, Jessye Norman
alternait caprices et fantaisies et ne dédaignait pas mettre sa voix au service
d'événements divers et variés. Je la revois chanter la Marseillaise pour le
bicentenaire de la Révolution dans une robe géante bleue blanche rouge… Un peu
kitsch, mais quelle voix ! Enfin, origine oblige, Jessye
Norman côtoie aussi l'univers du gospel, du blues et du jazz...
Je complète ce jour : Jessye Norman
a merveilleusement servi la musique française : Berlioz
notamment en complicité avec le chef anglais Colin
Davis qui, en addiction avec notre Hector national, avait gravé la quasi-totalité
des œuvres symphoniques et lyriques du génie français si novateur.
Et c'est peut-être cette passion pour notre pays et le
chant français qui lui permettra de rester une légende parmi les divas afro-américaines, pour les mélomanes "classique" assurément, mais pour les autres aussi. Pour les
premiers, elle rejoint d'autres grandes voix plus confidentielles comme Léontyne Price (née en 1927), Grace Bumbry (née en 1937) et Katleen Battle (née en 1948). Des artistes toujours
parmi nous.
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Son répertoire étant immense, j'ai immédiatement eu un
tas d'idées pour proposer un hommage en forme de récital… Par contre je suis
absolument furax car je m'aperçois que la discographie disponible est réduite à
une peau de chagrin. Quelques hits, des compilations assez sympas – et qui
montrent que la dame à un vaste public de fidèles – mais franchement, j'espère
que sa disparition donnera lieu à des rééditions qui s'imposent !! Donc six
grandes gravures majeures (extraits) ; puis en complément, je saisis l'opportunité offert par cet hommage de
parler d'une très attachante partition de Maurice Ravel ; une mini chronique
dans la chronique :
1 : L'un des plus crépusculaires et poétiques lieder
de Richard Straus, Morgen (Demain).
L'un de ses premiers opus datant de 1894,
toute la délicatesse du texte de John
Henry Mackay est magnifiée par Jessye. Strauss l'a écrit en tant que cadeau de
mariage à sa femme Pauline. Aucun
vibrato hédoniste de la part de la chanteuse, sensualité sans concurrence. Elle
est de nouveau accompagnée par Kurt Masur
et le Gewandhaus de Leipzig.
Et demain le soleil brillera à nouveau, / Et sur les chemins que
j'emprunterai, / Il nous unira à nouveau, nous les heureux, / Au sein de cette
terre qui inspire le soleil, / Et vers la plage, vaste, aux ondulations bleues,
/ Nous descendrons calmement et lentement, / Silencieux nous nous regarderons
dans les yeux, / Et sur nous descendra le silence muet du bonheur.
2 : Les Wesendonck Lieder de Wagner ;
encore des chants d'amour composés par Wagner
à l'intention de Mathilde Wesendonck,
l'un des amours les plus chères de cet homme à femmes qui lui inspirera aussi la composition de
Tristan &
Isolde. Elle est accompagnée par Colin
Davis et l'orchestre
symphonique de Londres.
3 : Un air extrait des Noces de Figaro de Mozart. Quelle clarté dans la ligne de
chant… De nouveau Colin Davis mais à la tête
de l'orchestre de la BBC.
4 : Et, bien entendu, Berlioz. Le Spectre de la
rose extrait du cycle des Nuits d'été, sur un texte de Théophile Gautier. (Intégralité sur Youtube). Article (Clic).
5 & 6 : Dans un tout autre genre, un très
coloré standard de Jazz : Stormy Weather suivi de la chanson J'ai deux amours, un
succès kitsch de Joséphine Baker.
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Shéhérazade est une petite pièce lyrique orientalisante, donc
dans l'air du temps lors des débuts de sa composition par Maurice
Ravel en 1898 (Ravel a 23 ans). Initialement une simple
ouverture. La création fait un bide. Il faut dire que l'orchestration très
influencée par de Debussy
est pour le moins rutilante pour l'époque :
1 petite flûte, 2 flûtes, 2 hautbois, 1 cor anglais, 2
clarinettes (en la), 3 bassons, 1 sarrussophone contrebasse, 4 cors, 4
trompettes, 3 trombones, 1 tuba contrebasse, 3 timbales, triangle, tambour de
basque, grosse caisse, cymbale, tambour, gong, 1 célesta, 2 harpes et les cordes !
Il ne faut pas gâcher… En 1903, Ravel reprend les matériaux musicaux passés à la trappe pour composer
une suite de trois mélodies pour soprano et orchestre à partir de texte de Tristan Klingsor, un poète pittoresque un
peu touche à tout (1874-1966). C'est gentillet, on se croirait dans un harem,
mais il y a le charme inimitable de Ravel.
On peut rapprocher la simplicité de cette petite œuvre féérique de l'Enfant et les
sortilèges.
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En rapport avec les musiques écoutées avant et en élargissant
le catalogue, je suggère six disques parmi les plus représentatifs de l'art de Jessye Norman :
- Une album réunissant les quatre dernier Lieder
de Strauss et les Wesendonck Lieder de Wagner réédité lors du cinquantenaire de
Philips.
- Les nuits d'été de Berlioz et Shéhérazade de Ravel, un album toujours accessible en
cherchant un peu…
- Les noces de Figaro de Mozart, une très belle version éditée dans
diverses présentations.
- Les Gurrelieder de Schoenberg
sous la houlette de Seiji Ozawa et son orchestre symphonique de Boston. Une
référence.
- L'album de jazz et de variété titré Roots ; My
Life, my song d'où sont extraits les deux titres choisis.
- Enfin un disque incontournable pour les amateurs
d'opérettes, un must pour Pat : La Belle Hélène d'Offenbach
dirigée par Michel Plasson avec Gabriel Bacquier…
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