vendredi 4 octobre 2019

DOWNTON ABBEY de Michael Engler (2019) par Luc abbey.


Ce film est un cas d’école : adaptation d’une série télé au cinéma. Dans trois heures je ramasse les copies. Nombreux ont essayé, beaucoup ont échoué. L’intérêt d’une série est de développer une intrigue et des personnages sur le temps long, façon saga dans l'exemple d'aujourd'hui. Les scénaristes, une fois posé le contexte, peuvent s’attacher à tels personnages dans un épisode et à d’autres dans les suivants. Et même dans le cas d’une série, on peut parfois se demander « mais qu’est-ce qu’il devient Machin ? ». C’est tout l’enjeu au cinéma de ce qu’on appelle le film chorale : l’équilibre. La juste proportion. Le maître en la matière était Robert Altman, avec NASHVILLE, THE PLAYER, DOCTEUR T, et évidemment son chef d’œuvre SHORT CUTS. Et pourquoi je vous cause d’Altman ? Vous allez voir comme je suis malin… Parce qu’il a réalisé GOSFORD PARK (2001) scénarisé par un certain Julian Fellowes, créateur de la série DOWNTON ABBEY, et qui à l’origine devait se tourner dans les mêmes décors…
Cette série anglaise a été un immense succès, six saisons entre 2010 et 2015. Je l’ai beaucoup aimée. On y suivait la famille Crawley, avant et après la guerre de 14 (l’histoire commence avec le naufrage du Titanic), nobles, propriétaires terriens, dans leurs histoires de cœur, d’affaires, de famille, autant que l’histoire de leurs domestiques. Si ça vous rappelle LA RÈGLE DU JEU de Jean Renoir (1939) ce n’est pas un hasard, GOSFORD PARK étant une déclinaison assumée du chef d’œuvre de Renoir. La série a tout de même accusé quelques signes de faiblesses scénaristiques dans les ultimes saisons, difficile d’être au top pendant 52 épisodes, mais c’était un régal d’interprétation (accent british oblige), de finesse d’observation, chassés croisés élégants et pince sans rire dans un décor fastueux.
Qu’en reste-il sur grand écran ? Hélas pas grand-chose. Mais il fallait s’y attendre. Ceux qui connaissaient les personnages n’en ont retrouvé que de vagues esquisses. Ceux qui les découvraient n’ont vu que des coquilles vides. Forcément. Plus de 2600 minutes à la télé, 120 au cinéma. Si vous chaussez du 44, vous n’achetez pas du 38. Dans la série, les personnages évoluent avec le temps, c'est tout l'intérêt. Sur grand écran, ils sont figés, monochromes.

Les maîtres des lieux, Robert Crowley, comte de Grantham, et sa femme Cora passent par hasard sur l’écran, tout juste des seconds rôles. Leur fille Edith Crowley, femme de conviction, célibataire malgré elle, qui se bat pour la cause des femmes en travaillant (ce qui ne se faisait pas dans son monde) écrivant dans un journal... Elle est résumée à une bonne épouse, dépendante de la carrière de son époux, transparente. #Edith ! Chez les domestiques, il y avait Thomas Barrow, odieux et arriviste, personnage complexe, torturé par son homosexualité qu’il refoulait à coup de martinet. Et qui nous revient danser la gigue dans un dancing homo clandestin.
Et Tom Branson. Ancien chauffeur, devenu un des gendres, irlandais, républicain, socialiste. De quoi mettre un peu de piment dans cette royauté. Si son origine est rappelée, son coup d’éclat dans le film est de sauver in extremis le roi George V d’un attentat. Hop, ripoliné le socialo ! Il n'est pas insensible aux charmes d'une servante... qui rassurez-vous est en réalité de sang noble ! L'intrigue du film tient en cela : 1927, George V et la queen Freddy, euh non Mary, sont attendus à Downton Abbey, pour y passer la nuit. Grande effervescence du petit personnel, alors que la famille royale débarque avec ses propres majordomes et cuisinier (un français caricatural à souhait). Pas d’intrigues réelles, juste un cadre permettant de faire évoluer les nombreux personnages.
Et là est le problème. En deux heures, impossible. Maîtres et domestiques n’impriment la pellicule que pour une scène ou deux. Pourquoi ? Pour être certain que chacun retrouve à l'écran tous les personnages de la série, éviter la déception de ne pas voir tel ou untel. Sans parler de la frustration ou égo des comédiens, à tous vouloir être sur la photo de famille...

Exemple avec le pauvre Molesley, personnage attachant, sensible, premier valet de pieds contraint de revoir sa condition dans la série, est ici réduit à un numéro de clown. Et où sont passées toutes les recettes de cuisines appétissantes de la truculente Miss Patmore, la cuisinière en chef, dont les élaborations culinaires étaient filmées avec gourmandise ?
Heureusement, on retrouve intacte la comtesse douairière de Grantham, Violet Crawley, jouée par la doyenne des comédiennes anglaises Maggie Smith (84 ans) bien connue des ados pour son rôle du professeur McGonagall dans HARRY POTTER. Elle cabotine en veux-tu en voilà, le dialoguiste lui laissant les meilleures répliques, piques acerbes et sarcastiques bien senties. Mais on est loin de ses joutes verbales avec Isabelle Crawley, autre personnage progressiste sacrifié sur l’autel du grand écran. Car si on a pastelisé les caractères, on a gommé la politique.
Les violons majestueux de John Lunn résonnent toujours, mais quid de la mise en scène ? Plans de drone sur le magnifique domaine, on est passé au format scope, mais la réalisation ne dépasse pas le niveau de la série télé. Décors, costumes, accessoires, tout est nickel. Encore fallait-il les transcender à l’image. C’est joli, mais c’est plat. J’imaginais d’amples mouvements de caméra, plans séquences embrassant la distribution. Peau d’zob ! Michael Engler, qui avait déjà réalisé quelques épisodes, comme certains de DREAM ON, SIX FEET UNDER, SEX AND THE CITY n’est pas Robert Altman, ni Renoir ou Ophuls. Tout est très académique, l'argenterie brille, parfaitement alignée sur la nappe. Mais aucune prise de risque.
On en revient à mes premier propos. Comment réussir une adaptation cinéma d’un feuilleton télé. Comment contenter les adeptes et les nouveaux venus ? C’est presque impossible. Ce n’est pas pour rien qu’il y a la télé d’un côté, et le cinéma de l’autre. Et ce, sans aucun jugement de valeur. Juste que ce sont deux formats incompatibles.
Vous imaginez un film LES SOPRANOS ? Un film GAME OF THRONES ? Un film DALLAS ou DYNASTIE, pour ne prendre que des feuilletons, où les épisodes et saisons se suivent ? Car en termes de séries "unitaires", c'est plus simple : CHAPEAU MELON, AGENTS TRÈS SPÉCIAUX, STAR TREK, SEX AND THE CITY, ABSOLUTY FABULOUS, LES MYSTÈRES DE L’OUEST, STARKY ET HUTCH... sont passés du petit au grand écran avec plus ou moins de bonheur. DEUX FLICS A MIAMI et LE FUGITIF étaient particulièrement réussis. Sans oublier BOB L'EPONGE !
Parfois dans les séries télés, les producteurs nous offrent des épisodes spéciaux, rallongés, à l’occasion de Noël. Ce film n’offre finalement pas grand-chose de plus, on a plaisir à revoir les lieux, les protagonistes, mais les caractères sont tout juste effleurés, comme le splendide Carson, majordome dont on adorait les tonitruants  « yes my Lord » qui n’est plus que l’ombre de lui-même.  

DOWNTON ABBEY est une jolie carte postale. Une belle image technicolor au recto, mais pas beaucoup de place pour écrire au verso.

couleur  -  2h00  -  scope 1:2.35 

  

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