Bien discret depuis quelques années, son dernier effort studio remontant à 2009, Carl Weathersby est un bluesman peu connu. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir réalisé des albums de qualité et des prestations scéniques qui ne l'étaient pas moins. A la fois respectueux des anciens, de ceux qui ont officié dans les années 60, et ouvert vers une relativité modernité, notamment dans un son et une tonalité plus issus du Blues-rock des décennies précédentes, il s'inscrit dans la mouvance des Larry McCray et Lucky Peterson.
Né a Jackson (Mississippi) le 24 février 1953, il passe une partie de son enfance à Meadville, avant d'émigrer à huit ans, avec ses parents, à Chicago. C'est là, dans l'East Side, qu'il découvre le Blues. A l'adolescence, il pratique la guitare et se forge en tentant de reprendre quelques classiques.
La légende raconte qu'il s'était appliqué à reproduire "Crosscut Saw", et une fois maîtrisé, l'avait interprété devant son père. Puis, plus tard, devant un ami de la famille. Un mécanicien. Ce dernier lui dit que ce n'était pas ainsi que la chanson se jouait ; que ce n'était pas de cette façon que lui-même la jouait. Il s'avéra que l'homme en question n'était autre qu'Albert King.
[Si à l'origine ce grand morceau de Blues est un Country-blues de Tommy McClennan, "Cross Cut Saw Blues" (1941), c'est bien la version d'Albert King de 1966, remaniée sous un rythme cubain qui est restée dans les mémoires. Il a aussi celle plus funky de 1974, toujours d'Albert King, sur l'album "I Wanna Get Funky"]
Toutefois, en dépit de sa remarque, Albert King fut tout de même touché par la prestation du jeune homme. Suffisamment pour qu'un jour il l'embarque avec lui en tournée, en qualité de guitariste rythmique.
Cela aurait pu être le tremplin d'une carrière professionnelle, mais longtemps Weathersby se satisfait de jouer en dilettante, tout en arrondissant ses fins de mois avec divers petits boulots. Jusqu'à ce jour de 1971 où, alors qu'il avait une proposition pour jouer pour les studios de la Motown, il est mobilisé par l'armée qui l'envoie au Viêt-Nam. Il n'a alors que dix-huit ans. Il survit et reste sous les drapeaux jusqu'en 1977.
Ce n'est que deux ans plus tard, en 1979, qu'il embrasse la carrière professionnelle en retrouvant le vieil ami de son père, Albert King, avec qui il reste jusqu'en 1982.
Peu après, il rejoint The Sons of Blues, le groupe de Billy Branch. D'un point de vue technique, c'est un tournant pour lui en devant adapter son jeu. Etant désormais le seul guitariste, il délaisse le plectre pour jouer aux doigts (picking), afin d'occuper plus d'espace. En 1985, pour la première fois, avec "Romancing The Blue Stone", son nom apparaît sur les crédits d'un disque.
Parallèlement, il est sollicité pour participer à des sessions studio, dont celles pour Hubert Sumlin, Carey Bell et Buster Benton.
Bien que les Sons of blues soit avant tout le groupe de Billy Branch, ce dernier n'a aucun a priori pour laisser Wheathersby s'exprimer librement, lui laisser occuper seul le devant de la scène l'instant de quelques chansons. Où le temps de quelques discours guitaristiques l'amenant parfois à prendre un bain de foule.
De ce fait, il a suffisamment d'espace pour que le public le découvre et l'apprécie. Sa popularité grandissante entraîne la maison de disque, Evidence, à insister pour qu'il réalise un album solo. Lui qui n'avait pas envisager un avenir en solo et qui se voyait bien continuer ainsi une carrière en restant respectueusement derrière un leader.
C'est la raison pour laquelle cet excellent musicien n'a enregistré un premier effort solo qu'à 43 ans, en 1996. Manifestement, le label a eu du nez puisque "Don't Lay Your Blues on Me", son premier disque, se fait remarquer, reçoit des critiques positives et est nominé pour le prix du meilleur disque de Blues de l'année au WC Handy. (En tout, il en aura trois).
Ce Bluesman à l'allure débonnaire possède un timbre de voix relativement profond, chaleureux, grave et sourd devant autant à son mentor Albert King qu'à Sam Cooke , avec parfois quelques faux airs de The O'Jays. Moins de « coffre » et de chaleur que ces derniers, mais un chant toujours juste, quelque soit le genre abordé. Un chant autant baigné de Blues que de Soul et de Rhythm'n'Blues (dans un style fin 60's - début 70's).
La touche Stax est palpable, la présence aux cuivres des Memphis Horns (!) y étant pour beaucoup. Quant à son jeu de guitare, il doit donc beaucoup aux deux Kings : Albert, évidemment, pour les slows-blues et Soul-blues, où des bends puissants se disputent à des vibratos monstrueux, et bien sûr ce jeu « aux doigts » marqué par un pouce vigoureux ; Freddie pour ce qui s'apparente, ou s'approche, du Blues-rock (une filiation bien plus évidente en concert). Le tout avec une approche plus moderne, ne serait-ce que par rapport à une tonalité plus ancrée dans son époque. Sa vélocité et sa virtuosité en font un des meilleurs guitaristes Blues de sa génération avec Lucky Peterson et Larry McCray. Il affectionne particulièrement le son chaud et crémeux du mariage Gibson et Humbucker ; cela ne l'empêche de s'afficher avec une Fender Telecaster avec manche en érable ... oui, mais une Deluxe, montée en humbuckers. (il se présente toujours avec de magnifiques guitares).
Si tous les albums de Weathersby sont d'une indiscutable qualité, « Come to Papa » semble être le plus abouti. En plus de bénéficier d'une excellente production de John Snyder, il jouit d'une « dream team » du Blues, un super groupe quasi idéal pour faire vivre le Blues moderne.
Lucky Peterson aux claviers (le meilleur joueur d'Hammond B3 de la confrérie Blues ?), Rico McFarland à la guitare rythmique (Little Milton, Lucky, Big Daddy Kinsey, James Cotton, Junior Wells), Willie Weeks à la basse (Donny Hathaway, Robert Cray, BB King, Joe Walsh, John Mayer, Bobby Womack, Doobie Brothers, Bowie, Clapton, Rod Stewart, Gatemouth Brown, etc...) et Steve Potts à la batterie (K.W.Sheperd, Peterson, J. Lang, Ike Turner, Rufus Thomas, Booker T, Otis Rush, Mavis Staples, Buddy Guy, etc...). On y retrouve aussi Ann Peebles (chanteuse de Soul des 70's - et mère de Mario Van) sur la reprise de « Come to Mama », rebaptisé pour l'occasion en « Come to Papa ».
La marque de fabrique de Weathersby, c'est un Blues solide qui, plutôt que de se laisser submerger par le Rock, préfère fricoter allègrement avec la Soul, . On retrouve ainsi un peu de l'essence du Albert King de la période Stax, avec un chouia plus de velours. Mais surtout avec un apport de gaieté, d'insouciance et de plénitude. Un Blues plus ensoleillé et optimiste.
Weathersby compose peu sur cet album, au contraire des précédents, mais la chaleur de sa voix, la présence de sa guitare, jamais prolixe, l'implication des musiciens, permettent d'imposer une touche toute personnelle sur les reprises.
Un album Blues de grande classe et de qualité, auquel, néanmoins, j'octroie un bémol. On regrettera de ne pas y retrouver l'énergie que Wheathersby était capable de déployer en concert, où son set progresse vers un Blues-rock énergique et terrassant, épais et fumant. Du moins à l'époque, ses concerts étaient l'assurance d'un pur moment de Chicago Blues gorgé de Soul qui s'envolait progressivement vers un Blues-rock torride.
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