lundi 23 septembre 2019

TUEURS DE DAMES de Alexander Mackendrick (1955) – par Claude Toon




Avec une affiche pareille, on s'attend à un film sanglant et horrifique, dans la veine de M. le maudit ou de Seven. Et bien pas du tout, même si gangstérisme et accumulation de macchabées il y aura, Tueurs de dames est une comédie satirique à l'humour noir so british savoureuse. Une perle que nos amis anglais savaient encore produire avant que leur cinéma connaisse un passage à vide à la limite de la disparition à partir des années 80, tout comme en Italie et en Allemagne… (24 films en 1981 !)

Le cinéaste Alexander Mackendrick plante le décor d'entrée. Une rue typique d'un Londres industriel de l'après-guerre. Au bout de cette rue, un petit cottage noirâtre, mais délicieusement traditionnel avec ses bow-windows, ses pignons, son architecture tarabiscotée… En contrebas, une gare hyperactive où les locomotives à vapeur vomissent un brouillard cradingue à longueur de journée. Ladite gare aura un rôle aussi important que les protagonistes.
Ce charmant cottage, un peu enfumée hélas, est le petit nid douillet d'une adorable et pittoresque vielle dame, veuve de son capitaine de mari disparu dans un typhon en Chine en 1929. Mrs Louisa Wilberforce (Katie Johnson), tel est son nom, vit donc seule avec quatre perroquets qui n'ont pas la langue dans leurs poches (oui Sonia, les perroquets n'ont pas de poches). Une vielle dame très digne portant robe à dentelle et petit chapeau surchargé hérité de la mode de l'époque de la reine Victoria…
Sa sortie favorite est la visite au commissariat ; sa victime de prédilection : le superintendant (Jack Warner). Mrs Louisa Wilberforce est une incorrigible pipelette qui se veut une citoyenne parfaite, droite dans ses bottines. La première visite sera pour infirmer que l'une de ses copines ait vu des soucoupes volantes dans son jardin… Bon enfant, la maréchaussée arrive à l'éconduire avec tendresse et honneur dus à son âge, tout en lui restituant son parapluie qu'elle oublie partout…
De retour chez elle, un homme étrange se présente sous le nom de professeur Marcus (Alec Guiness), gaillard au parlé chic voire pédant. Il se propose de louer une chambre dans le cottage. Logique, Louisa avait mis une petite annonce dans ce but. Aucun souci, juste un petit détail, Marcus cherche un lieu pour répéter en quintette avec quatre autres musiciens. Louisa adore la musique. La mise en scène de Mackendrick souligne avec gourmandise tous les petits détails désuets de la situation : meubles d'une autre époque, surenchère de napperons de dentelles, déco vintage et surtout, aucun mur ou porte vraiment droits car la maison a souffert du Blitz nazi… Un intérieur non euclidien aurait dit Lovecraft… Plan séquence d'anthologie : l'arrivée un à un des quatre autres instrumentistes. De vous à moi, tous n'ont pas des têtes à fréquenter assidument le Royal Albert Hall. Se succèdent : le Major Claude Courtney (Cecil Parker) tiré à quatre épingles, Louis Harvey (Herbert Lom) à l'air mauvais, Harry Robinson (Peter Sellers) un peu timide et enfin Lawson (Danny Green), un géant a priori pas très futé. Mrs Louisa est naïve et plutôt rassurée dès qu'elle entend les premières notes d'un quintette de Boccherini divinement joué alors que Marcus avait présenté un groupe d'amateurs. Ô rien de surprenant…
…puisque un microsillon simule la répétition pendant que les cinq malfrats (vous aviez deviné) complotent et préparent le casse du siècle dans la gare. 60 000 £ d'une compagnie d'assurance. Mackendrick sort la carte du burlesque car la vielle dame très serviable monte incessamment pour proposer du thé, du café, etc… Pour les cinq lascars, à chaque fois et en speed : couper le sifflet au pickup et empoigner les violons, les altos et LE violoncelle.

Mrs Wilberforce sera promue complice involontaire. Les compères lui demanderont d'aller récupérer le butin à la gare, une énorme malle. Le casse a eu lieu en pleine rue, encore un grand moment avec de beaux mouvements de foules, mais je ne dis rien. Mrs Wilberforce est une zizanie en vadrouille. Lors du retour de la gare, elle descend du taxi pour prendre fait et cause pour un canasson maltraité car il croque les pommes d'un marchand ambulant qui etc. L'affaire évolue comme dans la chanson de Brassens "sur le marché de Brive la gaillarde"… tout le monde finit au poste, mais Mrs Wilberforce si appréciée verra un bobby lui ramener la malle… Ouf ! Un casse plutôt réussi jusqu'au moment où l'étui à violoncelle "explose" malencontreusement montrant une montagne de billets. Louisa n'est pas gâteuse, et malgré le baratin explicatif et peu convainquant du quintette de braqueurs, elle comprend et estime "que ces choses-là ne se font pas" ! Il faut rendre l'argent à la police.
Pour les cinq malfaisants (comme disaient Audiard), impossible d'acheter son silence, une seule solution, envoyer Louisa rejoindre feu son capitaine de mari au paradis…
Ils ne savent pas qu'il vienne de mettre les pieds en enfer. Ô Mrs Wilberforce n'est pas une Warrior… Elle n'en aura pas besoin😁.

Alexander Mackendrick, futur réalisateur de Cyclone à la Jamaïque et du peu connu mais bouleversant Mandy (l'histoire d'une petite fille née sourde et muette), nous ballade et nous réjouit de gag en gag. Des gags fins, à l'anglaise. Il nous régale d'une autre scène d'anthologie lors de laquelle toutes les délicieuses mémères du quartier, copies conformes de Louisa, déboulent pour prendre le thé et cancaner sur le casse qui fait la une de la presse. Gredins et mamies dégustent le petit doigt en l'air pâtisseries et tasses de thé tout en chantant des rengaines. Marcus pédale sur un pianola. Les unes pensent coquetteries, les autres cogitent assassinat, mais tout le monde conserve au mieux le flegme britannique…
Tourné en couleur, ce qui souligne le kitsch des lieux, on apprécie une mise en scène vivante, mais jamais frénétique. Pas un plan de trop dans ce film de 1H25 environ, le standard de l'époque. Ceux qui ont vu Mais qui a tué Harry d'Hitchcock seront en terrain connu. Même remarque à propos du Pigeon de Monicelli. Maggy ajoute à la liste Arsenic et Vieilles dentelles de Frank Capra. Les scénaristes et le réalisateur infligent la scoumoune la plus totale à l'équipe de gangsters mal assortie qui avait pourtant parfaitement concocté son coup. Mrs Wilberforce devient un adorable grain de sable dans les rouages…

Ahhh Mrs Louisa Wilberforce ! Tous les spectateurs l'adopteront comme grand-mère, grand-tante, voisine exquise… À noter que les perroquets enrichissent leur argot à volonté.

Format : couleur (Technicolor) — 35 mm — 1,66:1 — son Mono
Durée : 91 minutes
Nota : casting de haut niveau, tous les acteurs ont leur fiche Wikipédia



1 commentaire:

  1. A voir du même couple Mackendrick / Guiness "L'homme au complet blanc" comédie satirique et fable politique excellente !

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