Mais c'est que c'est du bon ça, madame. Justement, un "madame" approprié puisque Thunderpussy est un all-female band. Une formation 100% féminine qui, n'en déplaise aux machos bas du front, n'a rien d'un petit combo fragile et délicat. Au contraire, ça envoie du bois, et c'est capable d'asséner un uppercut décisif au premier minet imprudent (impudent ?). Du brutal ? Du frontal ? Oui, relativement, mais pas que. Pas du genre à toute berzingue et les potards à donf, car derrière cette décharge électrique, pointe une nuance que l'on pourrait attribuer à une certaine sensibilité féminine qui n'est pas sans évoquer une sensibilité Pop propre aux années 60. Un bon mélange donc. Offensif, mais pas trop ; sexy, mais pas trop ; électrique et organique, totalement.
Thunderpussy prend forme courant 2013, à Seattle, sous l'impulsion conjuguée de Molly Sides et de Whitney Petty, respectivement chanteuse et guitariste.
Molly Sides était venue à Seattle pour étudier la danse au Cornish College of the Arts. Mais happée par l'ambiance des clubs et le Rock, elle remballe ses ballerines et fréquente une nouvelle école : celle des clubs dans lesquels elle chante, en se servant de sa formation de danseuse pour arpenter la scène et retenir l'attention.
Whitney Petty, elle, était venue prendre un emploi sur un bateau. Mais lorsqu'elle découvre la scène locale, elle y plonge tête baissée en s'équipant d'une Fender Fat Strat (une mexicaine avec un double en position bridge, dont la production a été interrompue en 2005). Elle bosse sérieusement sa guitare car elle ne voit pas cela comme une récréation mais bien comme un sacerdoce. Elle finit par jouer dans deux groupes distincts à deux postes différents : à la batterie dans The Grizzled et à la guitare dans Deerhunter.
Cependant, malgré toute sa passion, elle ne s'épanouit pas. Elle végète. Ce qui lui faudrait, à l'image de certains grands groupes qu'elle chérit, c'est trouver un binôme, une sœur d'armes, un Steven Tyler à elle (1), ou autres Robert Plant et Mick Jagger.
La nuit, elle maraude, espérant trouver chaussure à son pied (et question pompes, les escarpins ne sont pas son genre ; plutôt que chaussons de vair, elle arbore bottines, bottes ou santiags), et finit par tomber sous le charme de Molly Sides (qui commençait d'ailleurs à avoir une petite réputation scénique locale). A son sens, cette dernière a tous les attributs d'une future star. Elle possède une voix et une présence magnétique.
Le courant passe entre elles et chacune abandonne son groupe respectif pour partir sur de nouvelles bases. Après diverses moutures, et notamment après quelques difficultés à trouver un batteur solide et pugnace, le quatuor se stabilise avec Leah Julius à la basse et aux chœurs, et la cogneuse Ruby Dunphy à la batterie (qui venait tout juste d'emménager à Seattle).
Ensuite, c'est la routine. Compositions, travail acharné, écumage en règle de tous les clubs de Seattle et alentours, avec quelques raids avisés dans des boîtes californiennes. Ce qui se révèle être payant, attirant toujours de nouveaux curieux attirés par leur réputation grandissante. Parmi eux, Mike McCready, l'un des deux guitaristes de Pearl Jam.Totalement séduit, il leur propose, via son propre petit label indépendant, d'enregistrer leurs chansons. Un réel lien d'amitié se tisse entre les donzelles et McCready. Un premier single, "Velvet Noose" est envoyé en pâture au public, et se retrouve dans le film "Molly's Game", (succès de 2017 avec Jessica Chastain). Hélas, tout comme pour la chanson "Blow Away" de George Harrison, le titre est absent de la B.O. officielle. On passe à un cheveu d'une bonne pub.
Qu'importe ; au début de l'an 2018, un premier Ep tâte le terrain : "Greatest Tits".
En remplaçant le "H" de hits par un "T", ça devient, en traduction, "Les plus gros seins". C'est fin, délicat, et subtil 😊. En fait, c'est bien probablement une réaction provocatrice face à une société qui a depuis longtemps fait passer l'image avant la musique. Et des médias qui y travaillent, n'ayant aucun scrupule à encourager de jeunes poulains et pouliches à passer par la chirurgie plastique pour correspondre à leurs canons. Des instances reléguant bien souvent leurs "biens humains" à un rôle d'objet et de désir. Machisme et perversion. Dans une société où les implants mammaires et autres semblent être devenus la norme. Et encouragés.
Enfin, cette carte de visite se révèle être un ticket gagnant avec quatre titres imparables. Trois pièces de choix d'un solide Hard-rock et une power ballade, digne enfant de Led Zeppelin.
Avec ce premier jet plus qu'encourageant, quasi parfait même, et bien accueilli par les médias du cru, il fallait battre le fer tant qu'il était chaud. Chose faite avec ce premier opus envoyé six mois plus tard.
Ce qui frappe d'entrée, et c'est le cas de le dire, c'est la frappe de Ruby. Sa gestion du charleston et des toms basses évoque la patte de feu-John Bonham. Certes, c'est un brin moins appuyé et violent, mais la puissance déployée donne à réfléchir à deux fois avant de s'exposer à une belle tarte de la demoiselle ; surtout qu'elles a les épaules assez carrées et l'ossature robuste. Il faut savoir que Ruby a quitté son Chicago natal pour Seattle, pour y étudier le Jazz. Idiome que l'on ne retrouve guère dans son jeu, sinon pour une oreille exercée. Toutefois, cet enseignement lui a donné les capacités nécessaires à un jeu expressif à la fois fluide et groovy, sachant alterner entre une frappe ferme, appuyée même, et une de velours. Elle offre un réel plaisir d'écoute et non juste un support métronomique.
Bref, sur la robuste assise de "Speed Queen", Whitney peut se contenter d'un riff basique dans la lignée de Steve Jones et Billy Duffy. Et Leah de dérouler un tapis de basse ronflante et moelleuse. Molly n'a plus qu'à déclamer son histoire d'amour entre femmes, avant que les trois musiciennes ne clôturent le morceau dans un dernier spasme Stoogien. Manifestement, on est à des années lumières des Spice Girls. Et le reste est du même acabit. Pas de déception ; ce combo n'essaye pas de jouer sur les deux tableaux en se parant de deux ou trois guimauves raffinées en laboratoire pour ratisser large et plaire aux radios. Rien à foutre.
Bien sûr, il y a des accalmies et des ballades. Ce n'est pas un album de bourrin où se bousculent sans ménagement des morceaux plus durs et belliqueux les uns que les autres. Thunderpussy alterne les ambiances et les tempi. C'est aussi ce qui fait sa richesse. Mais, il n'est nul besoin de glisser dans le sirupeux - voire le gluant - pour interpréter de douces chansons que l'on peut classer dans la catégorie de "ballade", voire de "slow".
Ainsi, "Torpedo Love" - repêché du précédent Ep - en est un excellent exemple. Une "torpille de l'Amour" qui harponne les esgourdes et charme les synapses, les entraînant dans un voluptueux voyage onirique. Une superbe ballade romantique mélangeant le folk, le progressif et, avec l'éruption finale, le Heavy-rock ; une habile rencontre entre Led Zeppelin (majoritaire - "Rain Song" ? -) et Cheap Trick. Mais aussi "Young & Pure" qui boucle l'album par une autre ambiance éthérée et aérée. Un dernier morceau nimbé d'une fraîcheur de pluie d'automne, enlacé par l'ombre de Police. Référence caractérisée par des notes de guitare noyées d'abyssales réverbes et d'échos, et surtout par le jeu Ruby dont l'aiguisé pattern est foncièrement typé Stewart Copeland, terriblement rythmé et à la fois tout en retenue et en subtilité.
En terme de batterie, on remarque aussi la partition élaborée et fluctuante de "Gentle Frame" qui prend les commandes après un début plus basique. Alors que la guitare se contente de quelques arpèges typés New-wave gothic 80's brisés par des power-chords chargés de fuzz épaisse (Big Muff), Ruby se taille un moment la part du lion en tricotant des patterns d'équilibriste. Où, enfin, le charleston est utilisée à bon escient et surtout, audible.
Cependant, plutôt qu'alterner entre balades et morceaux appuyés, ce quatuor de Seattle se complaît dans des morceaux à l'humeur changeante, jouant avec l'ombre et la lumière, la retenue et la rage, tout en gardant une approche brute et organique.
Ainsi, "Badlands" se meut dans un chemin obscur et sinueux, chargé d'obstacles. C'est une quête spirituelle où l'on doit faire preuve tantôt de douceur, tantôt de rage pour passer les épreuves et parvenir au but. L'intérêt étant non le terme mais le chemin. "... les collines peuvent nous cacher, elles connaissent notre histoire. Elles tairont nos secrets, ne briserons pas le silence"
Ou "Velvet Noose" qui débute comme un morceau de proto-hard né à San-Francisco en 68, pour se terminer dans une furia Hard-rock, d'un matériau typé "The Cult", avec des couches de guitares faites de wah-wah, de soli stridents et de riffs chargé de fuzz.
"All In", lui, débute pratiquement comme un slow-blues, une complainte introspective qui lutte un moment contre la poussée d'une puissance sonique grondante, avant de rompre sous la pression.
"The Cloud" entame sa litanie sur une fine brume psychédélique qui ne tarde pas à s'estomper, laissant tout l'espace au finger picking de Whitney, avant de prendre de la vitesse pour s'élever vers les cieux - les nuages - dans un aéronef bigarré et décapotable qui éclate subitement, ses débris rougeoyants retombant épars tels les dernières étincelles d'un feu d'artifice ; laissant derrière lui une vague odeur de "The Alarm".
Et "Pick It Up" recycle le riff de "Proud Mary" pour l'amener doucement vers un Heavy-glam-rock avec un orgue Farfisa qui surgit pour tenter de retenir le morceau dans les 60's.
Tandis que "Utero Tango" serait du Jefferson Airplane mixé avec du Santana cuvée 69.
Mais ces donzelles savent aussi sortir les griffes et mordre. En plus donc du titre d'ouverture, la chanson éponyme est une déflagration d'émanations de furieux Heavy-rock high-octane, symbiose de prestations sous acides des Stooges et du MC5, ou des Hellacopters.
Sans être vraiment à proprement parler un pur groupe de "harderoque", du moins tel qu'on l'entend aujourd'hui, on peut qualifier leur musique de Strong Rock, de Rock "viril". Ce dernier épithète n'ayant pas ici une valeur de genre, et n'étant pas discriminatoire, mais juste d'orientation et d'approche musicale. Il y a donc une robustesse que l'on attribue exclusivement à tort au genre masculin. Comme si les musiciennes devaient être reléguées à la Pop.
Ainsi, le jeu de guitare de Whitney Petty et celui à la batterie de Ruby Dunphy n'ont absolument rien à envier à leur homologues masculins en termes de burné ou de solide. Quand il faut lâcher les watts, envoyer du bois ou fracasser d'imprudentes esgourdes, elles n'ont manifestement besoin de personne. Et sans l'appui d'un mur d'amplis de deux mètres de haut.
Finalement, seule la voix de Molly Sides est là pour un indéfectible lien avec un trait purement féminin. Elle qui a tendance à chanter à gorge déployée, a une force et une assurance qui ne sont pas sans évoquer quelques grandes dames des années 60 ; à commencer par Grace Slick.
En dépit de leur combat pour s'imposer en tant que femmes libres - dans leur musique comme dans leur vie -, luttant contre un machisme moindre mais toujours en vigueur, elles ne veulent surtout pas qu'on les considère comme un groupe féministe. Ce n'est ni leur but ni leur credo. Elle ne font que composer et jouer du Rock, mais pas question qu'on leur impose quoi que ce soit sous prétexte qu'elles sont des femmes.
Même la pochette est réussie, entre l'imagerie Alice Cooper (d'autant qu'au verso, les filles sont lourdement maquillées sous les yeux) et un logo typé groupe de Heavy-Metal fin 70's. Pour leur tournée d'été 2018, elles affichent leurs références en la baptisant "School's Out Tour"', et en incorporant à leur logo un petit cœur pour "Heart" (dont Whitney est fan) et la double Sieg Rune pour Kiss.
Pour les amateurs de Led Zeppelin, Cheap Trick, The Cult, Birtha, Alice Cooper, Rival Sons,
(1) Son premier disque acheté avec ses propres deniers est "Nine Lives" d'Aerosmith, et Tyler demeure son chanteur préféré.
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à lire aussi, le très bon article de Ranx (clic-lien) ⇨ THUNDERPUSSY
Sur la première chanson, c'est une rythmique Led Zep (sacrée batteuse effectivement) et un chant très Chrissie Hynde, non ? (de très bonnes références...)
RépondreSupprimerChrissie Hynde ? Sincèrement, je n'y avais pas pensé mais effectivement. Cependant, Molly a plus de coffre.
RépondreSupprimerQuant à la rythmique de "Speed Queen", je n'irai pas jusque là pour la guitare (même si ...), mais au niveau de la batterie c'est du 99%.
Sinon, il est évident que Whitney a bien étudié son petit "Jimmy Page".