lundi 30 septembre 2019

CALCULS MEURTRIERS de Barbet Schroeder (2002) – par Claude Toon




Richard et Justin
Tiens, aucun commentaire dans le blog sur un film du cinéaste suisse très éclectique Barbet Schroeder. Le réalisateur n'a sans doute pas marqué l'histoire du 7ème art, mais a offert quand même quelques pépites. 1969, Woodstock, peace and love, "l'herbe", les cheveux longs et les chemises à fleurs. Barbet Schroeder réalise à 27 ans More, film dans l'air du temps avec des hippies baignant dans la musique de Pink Floyd ; le drame de deux jeunes hippies plongeant dans l'enfer des drogues dures (héroïne) dans le paradis ensoleillé mais artificiel d'Ibiza. 1974, un premier documentaire, Général Idi Amin Dada, portrait en live et risqué du monstrueux dictateur africain. En 2007, avec l'avocat de la terreur, il dresse un portrait du controversé Maître Vergès, défenseur des criminels à grande échelle et des dictateurs, l'idée du réalisateur en complicité avec l'avocat étant de montrer que la France n'a pas toujours le beau rôle qu'elle essaye de nous faire croire tant lors de l'occupation nazie que de la colonisation…
Barbet Schroeder se passionne pour les âmes tourmentées, les psychotiques. En allant à Hollywood en réponse aux sirènes des budgets confortables, il tournera plusieurs thrillers psychologiques sans tueries de masse et courses de bagnoles à la mode outre atlantique. Petits meurtres supposés en famille dans L'affaire von Bülow (nomination aux oscars comme meilleur réalisateur), le flippant JF partagerait appartement, un duel de filles digne de psychose, et enfin en 2002 Calculs meurtriers, là encore la psychanalyse prend le pas sur les règlements de compte et les flingues…
À noter que Barbet Schroeder a été aussi activement acteur et producteur, notamment des films d'Éric Rohmer.

Cassie et Sam
Les premiers plans sont fondamentaux dans la construction et toujours zappés par les sites de ciné !? Une grande bâtisse en ruine de style colonial s'effrite doucement mais sûrement au bord d'une falaise battue par les vagues du Pacifique. Elle sert de repère à une secte composée de deux adolescents, pas plus… Justin Pendleton (Michael Pitt) et Richard Haywood (Ryan Gosling, premier rôle), 17 ans, garçons intelligents, travailleur l'un, fainéant le second, concoctent le meurtre parfait. Intellectuellement ? On peut se poser la question en écoutant leurs diatribes philosophiques confuses nourries des théories nietzschéennes du surhomme, "ce qui ne me tue pas me rend plus fort" et blablabla… A priori, simple phantasme de deux adolescents perturbés dont un fils à papa arrogant persuadé de son impunité, Richard. Ryan Gosling, une belle tête à claque…

Petit matin frisquet, les lieutenants Cassie Mayweather (Sandra Bullock) expérimentée et Sam Kennedy (Ben Chaplin), tout jeune promu, arrivent sur une scène de crime près d'un torrent en forêt. La victime (identifiée tardivement sous le nom d'Olivia Lake) a été étranglée, lardée de coup de tournevis post mortem, elle gît enveloppée dans une bâche. Habile, Barbet Schroeder n'établit à ce stade aucun lien avec les projets morbides de Justin et Richard. Si eux, pourquoi et comment ? Mystère. Quelques rares indices peu exploitables : brins de moquette courante, plus bizarre : une flaque de vomi ? Moins banal, un poil de babouin ! L'appartement d'Olivia est sens dessus dessous, il y a eu bagarre, on relève des traces de chaussures de sport de luxe…
Lisa et Justin
Chaussures hors de prix si peu courantes que déjà Cassie identifie Richard comme le propriétaire… Sauf qu'on lui a volé bien avant le crime… dépôt de plainte garantie. Mais Cassie déteste déjà ce dragueur de lycée qui ne doute de rien. Mais aux USA, conviction n'est pas preuve. Et puis son patron ne veut pas de sac avec le père, une personnalité en vue… Cassie est une tête brulée surnommée la hyène (mammifère dont la femelle a un pseudo pénis, manière vulgaire de la désigner comme garçon manqué). Sam est dans la droite ligne de la hiérarchie quand les indices permettront de remonter à Ray Feathers (Chris Penn), homme à tout faire du lycée, un raté limite débile qui deale de l'herbe à Richard, se gave de vidéos porno, vivote dans une baraque immonde en compagnie… d'un babouin.
Depuis le meurtre, il a pris la tangente et on le retrouvera suicidé. Dossier clos ! Par pour Cassie pour laquelle ce crime digne d'un tueur en série confirmé ne correspond en rien au profil de Ray. Un serial Killer ne se suicide pas, trop d'indices tuent l'indice. Les relations avec Sam seront orageuses, mais Cassie, motivée car ancienne miraculée de 14 coups de couteau de son petit ami de l'époque du lycée, va poursuivre ses investigations pour confondre les deux jeunes, les manipuler. Aux USA, le complice risque moins que le tueur contrairement à la France. Barbet Schroeder nous transforme en témoin de l'enquête complexe mais parfaitement mise en scène. Le réalisateur suit d'un côté Cassie et Sam et de l'autre Justin et Richard qui essayent de savoir "ce qui a loupé dans ce qu'ils croyaient si parfait"… Un montage précis et rigoureux. Pour le cinéaste Il ne faut pas confondre suspens et agitation.

Le sujet n'est pas nouveau. En 1924, Nathan Leopold et Richard Loeb, deux étudiants, enlèvent pour rançon un jeune de 14 ans puis le tuent. Un grand avocat de l'époque leur évitera la corde en plaidant pendant 12 heures que la perpétuité est un châtiment pire que l'exécution… Ce fait divers tristement célèbre inspirera en 1959 Richard Fleisher qui tournera Le Génie du mal avec Orson Wells dans le rôle de l'avocat. L'intérêt de Calculs meurtriers réside dans la psychologie complexe et ambiguë des personnages. Richard et Justin, deux copains qui agissent comme les amants diaboliques qu'ils ne semblent pas être malgré leur lien malsain attirance-rejet et ces serments de fidélité jusqu'à la mort (homosexualité refoulée ?). Justin sera un temps le petit ami platonique de Lisa (Agnes Bruckner), une ex de Richard, sujet de jalousie agressive de la part de Richard comme si Justin "le trompait" avec la jeune fille assez volage mais étrangère à leurs folies. Deux tarés comme Schroeder les aime.
La Warner a sans doute obligé Barbet Schroeder à intégrer des clichés de films de flic : un brin de sexe entre Cassie et Sam sans grand intérêt hormis révéler les troubles résiduels affectifs de Cassie après son agression 15 ans auparavant ; Cassie jouant les acrobates au-dessus de 30 m de vide (Sandra Bullock adore ça… Une actrice inégale souvent cantonnée dans des films passe-temps, speed 1 & 2, Miss Détective, etc. elle assure le job), le capitaine de police et le procureur bornés. Belle photographie, attention portée aux visages et aux expressions, excellente direction d'acteurs, Barbet Schroeder fignole. Et puis le script est solide, exemple : l'incroyable coup de théâtre lors de l'avant dernier plan, dans la grande tradition des polars noirs. Certains trouveront que le film recycle trop de grosses ficelles, mais de vous à moi, le scénario est original et passionne. Surveiller les fréquentations de vos ados…

Couleurs - 35 mm - 1.85:1 - Dolby Digital
Distributeur : Warner Bros
Durée : 120 minutes (2 heures)



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