L'ANGLAIS de Steven Soderbergh (1999) - par Claude Toon
Terence Stamp - Wilson (buter maintenant ou plus tard ?)
Fin des années 90, une palme d'or pour Sexe, Mensonge et Vidéo et quelques films
bien accueillis aidant, Steven
Soderbergh est devenu un cinéaste prometteur. Un an avant, sort
en salle Hors d'atteinte, un polar
sur fond d'évasion de prison et de cavale. George Clooney
et Jennifer Lopez, une réalisation speedée
et un défilé de personnages pittoresques (Le cambrioleur qui se bute lui-même
en trébuchant dans l'escalier, à chaque fois, je me marre…). Le réalisateur
montrait déjà sa maîtrise du récit riche et bondissant, adapté d'un roman d'Elmer Leonard qui la même année inspirera
Quentin Tarantino pour Jacky Brown.
On attend donc beaucoup de l'Anglais
(The Limey, titre original et mot d'argot
traduisible par "rosbif"). La critique sera partagée tout
comme le public. Il faut dire que le genre thriller est tellement saturé que
l'on devient exigeant.
Contrairement aux deux décennies suivantes, Steven Soderbergh, qui aime faire appel à
des acteurs fidèles, engage ici deux acteurs mythiques el vieillissants : le
fantasque et ténébreux londonien Terence Stamp
habitué aux rôles de composition les plus divers et difficiles et Peter Fonda, pas un acteur de premier
plan mais une icône depuis son rôle de Wyatt,
un biker qui taille la route avec Dennis Hopper
dans le road-movie Easy Rider. Un type de grande taille
et jouant les hautains comme pouvait l'être son père. Cela étant dit…
Wilson et Eduardo (Luis Guzmán)
Wilson (Terence Stamp) qui vient de purger neuf
ans au frais de sa majesté, troisième condamnation, celle-ci pour braquage à
main armée, médite dans un vol Londres-Los Angeles. Quand je dis médite, rumine
des idées noires. Wilson avait une
fille, Jennifer "Jenny" Wilson
(Melissa George) qui est morte dans des
circonstances troubles. Un accident de voiture dit-on, sur Mulholland Drive.
Bon choix que Terence Stamp, visage fané
et blafard, cheveux argentés, yeux bleus au regard incisif, mais aucun humour,
anglais ou pas. Dès son arrivée dans la cité des mauvais rêves, il prend
contact avec Eduardo Roel (Luis Guzmán, autre acteur fétiche de Soderbergh - Traffic),
un ami mexicain qui essaye de raccrocher des activités illicites, lui aussi
ayant trop tâté de la case prison. Les deux hommes sont amis à l'évidence, le
pourquoi et le comment resteront un mystère. Eduardo sait beaucoup de choses. Jenny avait un petit ami, Terry
Valentine (Peter Fonda), un dandy stylé
qui règne sur une bande de types douteux depuis une villa chic sur les hauteurs
de L.A.. Valentine, une planche pourrie, un producteur de disque réputé,
mais dont les comptes en banque servent de pivots pour blanchir le fric des
narcotrafiquants de la région. À ses côtés un costard-cravate nommé Jim Avery (Barry
Newman) une allure de comptable impavide qui fout la trouille à Adhara (Amelia
Heinle), une latino dans la vingtaine, belle comme un ange, au parfum
de rien des activités de son chéri Terry
Valentine, son job : décorer et coucher. Ah oui, la trouille, logique avec
ce sphinx d'Avery chargé de régler
"les points de blocage dans le business", vous voyez le genre.
Jim Avery (Barry Newman) et Valentine (Peter Fonda)
Le montage (oscarisé) enrichit l'intérêt de cette mise
en bouche a priori peu innovante (on parle beaucoup). Wilson et Eduardo
échangent en face à face devant un godet. Un plan séquence serait ennuyeux. De manière
très rythmé, le réalisateur scande son récit de flashbacks traversant les
pensées de Wilson : Jenny gamine, sur la plage ou brandissant
un téléphone menaçant (important),
minois d'une fillette énergique. Soderbergh
comme souvent joue sur différents styles photographiques : floutés, N&B, instabilité
du plan comme le sont nos souvenirs lointains, Wilson marchant le long d'un infini mur de briques, symbole répétitif
du destin et de la détermination. Du grand art d'autant que la narration n'en
souffre aucunement dans sa logique et sa continuité, des personnages à
rencontrer ayant déjà un visage dans une affaire a priori embrouillée. Wilson sort de l'entretien avec une
certitude : un assassin ou un instigateur, Terry
Valentine. Pas de spoiler, on le sait depuis le générique. Demeure le plus
hard : dénicher le malfrat pour vérifier sa culpabilité et régler les comptes.
Donc un scénario de vengeance, de justicier paternel,
thème vu mille fois et qui préfigure l'élémentaire : chercher,
trouver, buter ! Face à cette simplicité, seule la narration
visuelle et le jeu des acteurs peuvent sauver la mise, produire un film à ne
pas jeter après emploi. C'est un peu le cas ici, surtout dans la première
partie. Wilson qui a demandé à Eduardo un soutien logistique ose tout.
(Et pour contredire Lino Ventura,
ce n'est pas un con). Une séquence d'anthologie. Jenny a été vue dans un quartier mal famé dans un repère de voyous,
des gros cons ceux-là. Petite visite juste pour avoir l'adresse de Valentine, rien d'agressif pourtant.
Les gars dégagent le papi british à coup de lattes sur le parking. Ils ne se
laissent pas importunés par le 3ème âge. Manque de courtoisie
fatale, Wilson avait prévu un second
flingue, un automatique. Soderbergh
plante sa caméra face à la sortie du hangar. Wilson y retourne ; quelques éclairs, des détonations, des
hurlements et un gars (le seul encore en vie) s'évade chargé d'une mission :
informer Valentine qu'on le cherche.
On a atteint le stade 2 : "trouvé". Wilson a piqué la carte de visite de Valentine sur une table… La caméra est toujours là. Bref, sans
bavure et sans massacre visible, propre. Wilson
n'a pas l'intention de jouer les papas éplorés dépressifs…
Jenny dans un lointain souvenir...
Dans sa quête, Wilson
va se mesurer avec des tueurs (deux crétins), la DEA, des mondains, autour de
la piscine chez Valentine où Wilson déboule sans carton d'invitation.
Occasion d'un suspens visuel ingénieux, Wilson
nous prête ses yeux et imagine plusieurs solutions pour accomplir sa vengeance,
le stade 3 :"buter".
Tout de suite ou plus tard, le cœur, la tête, des grosse taches sanguinolentes
sur le complet immaculé de Valentine,
un prétentieux et un lâche de haut vol. Plus tard… Une seule bouffée d'air pur,
l'évocation de la vie de la jeune victime par Elaine (Lesley Ann
Warren), une amie de Jenny.
Bon Ok, côté photographie, cadrage, éclairage et mise
en scène, nous sommes au top. Je déplore un manque d'originalité dans le
scénario de Lem Dobbs, encore un
complice de Soderbergh. Terence Stamp assume une froideur de gangsters convaincu de son droit de tuer (changera-t-il d'avis au dernier
moment ? La scène finale arrivera à nous surprendre par son habileté, une
interrogation quasi existentielle sur ce droit). Moins convainquant, Peter Fonda trimballe sa morgue flegmatique
avec une telle application sur la dimension "trouillard" que l'on se
demande comment il a pu se hisser à un tel niveau de parrain dans la pègre ?
Même les deux tueurs accros au baratin vantard et débile pourraient nous faire
sourire par leur bêtise cosmique comme leurs confrères de Hors
d'atteinte. Hélas non, ils sont pathétiques…
Donc un film léché sur le plan cinématographique mais qui
à mon sens manque de punch et d'humour noir attendus de la part du cinéaste. Quelques
joyeuses scènes de tueries quand même… Ce ne sont pas des braves gens… Ô j'oubliais
une bonne idée : pour les plans montrant Dave
Wilson jeune avec sa femme et Jenny
bébé, Ken Loach a accepté la
reprise en flashback d'images de son film Pas de larmes
pour Joy (Poor Cow)
sorti en 1967 avec Terence Stamp
en vedette.
RIP : Peter Fonda nous
a quittés 16 août après la rédaction de ce billet le. Son plus grand rôle
restera bien évidement celui de Wyatt
dans Easy
Rider dont il fut le coscénariste avec Dennis
Hooper et le producteur. Il avait 79 ans. Condoléances à sa sœur Jane et à sa fille Bridget.
Format : couleurs - 1,85:1 - DTS /
Dolby Digital / SDDS - 35 mm
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