- Chuis de retour M'sieur Claude, zavez vu, couleur pain d'épice… Sinon
voyons… Debussy comme il y a deux semaines ? Une passion dévorante
hihihi…
- Pensez à mettre de la Biafine Sonia. Oui rebelote. Dernier jour d'août
avec des danses chambristes pour harpe et cordes… Très légères…
- Bonne idée, ça a l'air court en plus. Retour des vacances, préparatifs
de la rentrée des classes, reprise du taf, les lecteurs ont envie de
fraîcheur…
- Debussy a composé ces deux danses titrées successivement sacrée puis
profane pour une harpe chromatique, un instrument compliqué qui n'a pas
connu de lendemain…
- Il y a beaucoup d'enregistrements ? Ces danses font-elles le bonheur
des harpistes des deux sexes ?
- Oui la discographie est vaste… Soit en complément de programme consacré
à Debussy, soit dans des récitals pour ce bel instrument au timbre si
cristallin !
À l'évidence
Claude Debussy
aimait la harpe, instrument imposant souvent considéré comme complémentaire
dans l'orchestre ou synonyme de soirées chics lors desquelles une jolie
adolescente de bonne famille passe une heure à accorder sa harpe puis une
heure à jouer faux (blague de
Lily Laskine, grande harpiste française et grande humoriste). La harpe, l'instrument
antique d'Orphée, des troubadours celtiques, déjà très perfectionnée à
l'époque baroque, pose problème tant pour la construction de son mécanisme
très sophistiqué que par son jeu de 7 pédales qui imposent des règles de
choix de tonalité ardus. Par ailleurs sa grande sensibilité à l'humidité de
l'air impose un accordage fréquent et délicat.
Nous avons déjà apprécié la sonorité cristalline et raffinée de la harpe
dans le blog à travers quatre articles : côté soliste,
le concerto pour harpe de Joachim Rodrigo
(l'auteur du
concerto de Aranjuez) et une pièce atypique de
Maurice Ravel
:
Introduction et allegro pour flûte, clarinette, harpe et quatuor à
cordes. Côté orchestre, la semaine passée, je soulignais le rôle important des
deux harpes dans
Orpheus, un poème symphonique de
Liszt
mettant en scène les mésaventures du héros mythologique… (Voir l'Index) Et n'oublions pas le très élégant et volubile
concerto pour flûte et harpe
de
Mozart.
- Très sentimentale cette musique M'sieur Claude, ça ne plaira pas aux
fans de hard-rock…
- Bah pourquoi Sonia, il existe sans doute des hard-rockeurs
sentimentaux, drôle d'a priori ma chère !!
Gustave Lyon, directeur de la
société Pleyel a fait breveter
en 1894 une
harpe chromatique. En quelques mots : les pédales ont été supprimées, deux plans de cordes
s'entrecroisent en X (j'ai proposé la meilleure photo possible pour voir le
principe). Gustave Lyon,
polytechnicien et musicien cherche à concurrencer la firme
Erard qui peut s'enorgueillir
de l'invention en 1821 du piano
moderne dit "à double échappement", innovation qui permet, au contraire du
piano forte, de répéter avec célérité la même note, et plus avant, en
1810, on doit aussi à
Erard la création de la fameuse
harpe diatonique classique qui
avec ses 7 pédales permet d'aborder toutes les tonalités… Un double plan de
cordes : un pour les notes naturelles (les touches blanches du piano) ou
altérer par un ♮ dans une l'une des douze gammes chromatiques ; un second
plan de cordes pour les notes altérées (touches noires) par un # ou un ♭.
Le harpiste peut jouer très rapidement des suites de notes ou des accords,
mais, Inconvénient et de taille : impossible de jouer ces arpèges en
glissando prisés par les harpistes. Un dernier problème demeure :
l'accordage… Heu, vous me suivez au fond ?
Pour se faire une place au soleil, tout instrument nouveau a besoin d'un
répertoire.
Gustave Lyon commande à au
moins deux personnalités de renom des œuvres de démonstration de préférence
peu académique…
Debussy
et
André Caplet
sont contactés. Habiles et prudents, les deux compositeurs écriront des
pièces jouables aussi sur la harpe diatonique. La harpe chromatique
disparaîtra avec le temps d'ailleurs. La fabrication s'arrête en
1930, même si quelques nostalgiques essayent de lui donner une
nouvelle vie…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Claude Debussy
compose sa partition en 1904 à l'intention de la classe de harpe
chromatique du conservatoire de Bruxelles.
Il s'agit donc d'un morceau de
concours. (La dernière classe de ce type fermera ses portes en 2005).
Debussy
raffole des gammes modales jouée sur une octave mais sans altération, soit 7
gammes possibles aux sonorités mystérieuses, des sonorités héritées de la
Grèce antique ou de l'Extrême-Orient.
On retrouve souvent ces sonorités anciennes chez
Debussy
et cet intérêt pour les sujets antiques ou le moyen-Âge, exemple :
les danseuses de Delphes, le premier
prélude
du premier cahier ou une pièce de jeunesse,
Tarentelle styrienne. L'orchestration est volontairement réduite à un petit ensemble de cordes
voire à un simple quatuor à cordes. (Partition)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
La communauté des virtuoses "classiques" offre la part belle aux pianistes,
violonistes et violoncellistes… parfois aux clarinettistes qui officient
dans l'univers jazz. Difficile de citer de prime abord le nom d'une ou d'un
harpiste célèbre. Ou alors on pensera à ceux qui nous ont quittés comme
Lily Laskine ou
Nicanor Zabaleta…
J'avoue avoir découvert
Claire Jones
en cherchant une interprétation raffinée par un ou une artiste de la
nouvelle génération. La jeune trentenaire d'origine galloise a même été la
"harpiste officielle" de Charles, SAR Le prince de Galle, une vielle tradition british datant
de l'époque de la reine Victoria remise au goût du jour par le prince ; les
anglais me font marrer !!
Hannah Stone, une autre harpiste également blonde et au look de mannequin a succédé à
Claire. Hum hum, sacré Charles, un vrai Rockin'…
Plus sérieusement,
Claire Jones
a débuté sa carrière dès l'âge de dix ans et joué en concert devant
la Reine Elisabeth II et le Duc d’Édimbourg à 16 ans… Quand je vous parlais
de jeunes filles de bonne famille et de soirées mondaines à propos de la
harpe, hihihi… Elle a enregistré de nombreux disques, mais sa carrière est
hélas freinée par un symptôme de Grande Fatigue Chronique* (SFC). J'ai
découvert son jeu de harpe, très aérien…
(*) Bien reconnue dans les pays anglo-saxons, cette affection invalidante
aux origines mal identifiées (virus ?) n'attire que sarcasme ou suspicion
en France où l'on parlera plutôt de "paresse chronique"
😣.
Le violoncelliste et maestro
Paul Watkins, également gallois, l'accompagne pour cet enregistrement de 2014 en
dirigeant les cordes de l'orchestre de chambre anglais.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Danse sacrée
: avec son tempo élégant (noté
très modéré puis évoluant vers
sans lenteur et en animant un peu…), son aura ombré et son atmosphère élégiaque, on pourra établir un
parallèle stylistique avec la sarabande de la
Suite pour le piano
écoutée il y a deux semaines. La partie de harpe est assez difficile avec
ses sauts de tessitures larges.
Debussy oppose arpèges et staccato sur des thèmes intimistes. On appréciera la
magie et la clarté subtile du phrasé.
Danse profane
: [5:15] Si la danse sacrée est à six temps (3/2), la danse profane affiche
3 temps. On ne sera pas surpris d'entendre enchaînés gaiement des arpèges
sur un rythme de valse. La partie de harpe se compose de séquences très
rythmées tandis que les cordes offrent à l'instrument un écrin sous les
étoiles.
Charmant et charmeur.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire