samedi 31 août 2019

DEBUSSY – Danses pour harpe et cordes (sacrée et profane -1904) – Claire JONES (2014) – par Claude Toon




- Chuis de retour M'sieur Claude, zavez vu, couleur pain d'épice… Sinon voyons… Debussy comme il y a deux semaines ? Une passion dévorante hihihi…
- Pensez à mettre de la Biafine Sonia. Oui rebelote. Dernier jour d'août avec des danses chambristes pour harpe et cordes… Très légères…
- Bonne idée, ça a l'air court en plus. Retour des vacances, préparatifs de la rentrée des classes, reprise du taf, les lecteurs ont envie de fraîcheur…
- Debussy a composé ces deux danses titrées successivement sacrée puis profane pour une harpe chromatique, un instrument compliqué qui n'a pas connu de lendemain…
- Il y a beaucoup d'enregistrements ? Ces danses font-elles le bonheur des harpistes des deux sexes ?
- Oui la discographie est vaste… Soit en complément de programme consacré à Debussy, soit dans des récitals pour ce bel instrument au timbre si cristallin !

À l'évidence Claude Debussy aimait la harpe, instrument imposant souvent considéré comme complémentaire dans l'orchestre ou synonyme de soirées chics lors desquelles une jolie adolescente de bonne famille passe une heure à accorder sa harpe puis une heure à jouer faux (blague de Lily Laskine, grande harpiste française et grande humoriste). La harpe, l'instrument antique d'Orphée, des troubadours celtiques, déjà très perfectionnée à l'époque baroque, pose problème tant pour la construction de son mécanisme très sophistiqué que par son jeu de 7 pédales qui imposent des règles de choix de tonalité ardus. Par ailleurs sa grande sensibilité à l'humidité de l'air impose un accordage fréquent et délicat.
Nous avons déjà apprécié la sonorité cristalline et raffinée de la harpe dans le blog à travers quatre articles : côté soliste, le concerto pour harpe de Joachim Rodrigo (l'auteur du concerto de Aranjuez) et une pièce atypique de Maurice Ravel : Introduction et allegro pour flûte, clarinette, harpe et quatuor à cordes. Côté orchestre, la semaine passée, je soulignais le rôle important des deux harpes dans Orpheus, un poème symphonique de Liszt mettant en scène les mésaventures du héros mythologique… (Voir l'Index) Et n'oublions pas le très élégant et volubile concerto pour flûte et harpe de Mozart.
- Très sentimentale cette musique M'sieur Claude, ça ne plaira pas aux fans de hard-rock…
- Bah pourquoi Sonia, il existe sans doute des hard-rockeurs sentimentaux, drôle d'a priori ma chère !!

Gustave Lyon, directeur de la société Pleyel a fait breveter en 1894 une harpe chromatique. En quelques mots : les pédales ont été supprimées, deux plans de cordes s'entrecroisent en X (j'ai proposé la meilleure photo possible pour voir le principe). Gustave Lyon, polytechnicien et musicien cherche à concurrencer la firme Erard qui peut s'enorgueillir de l'invention en 1821 du piano moderne dit "à double échappement", innovation qui permet, au contraire du piano forte, de répéter avec célérité la même note, et plus avant, en 1810, on doit aussi à Erard la création de la fameuse harpe diatonique classique qui avec ses 7 pédales permet d'aborder toutes les tonalités… Un double plan de cordes : un pour les notes naturelles (les touches blanches du piano) ou altérer par un ♮ dans une l'une des douze gammes chromatiques ; un second plan de cordes pour les notes altérées (touches noires) par un # ou un . Le harpiste peut jouer très rapidement des suites de notes ou des accords, mais, Inconvénient et de taille : impossible de jouer ces arpèges en glissando prisés par les harpistes. Un dernier problème demeure : l'accordage… Heu, vous me suivez au fond ?
Pour se faire une place au soleil, tout instrument nouveau a besoin d'un répertoire. Gustave Lyon commande à au moins deux personnalités de renom des œuvres de démonstration de préférence peu académique… Debussy et André Caplet sont contactés. Habiles et prudents, les deux compositeurs écriront des pièces jouables aussi sur la harpe diatonique. La harpe chromatique disparaîtra avec le temps d'ailleurs. La fabrication s'arrête en 1930, même si quelques nostalgiques essayent de lui donner une nouvelle vie…
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Claude Debussy compose sa partition en 1904 à l'intention de la classe de harpe chromatique du conservatoire de Bruxelles.  Il s'agit donc d'un morceau de concours. (La dernière classe de ce type fermera ses portes en 2005). Debussy raffole des gammes modales jouée sur une octave mais sans altération, soit 7 gammes possibles aux sonorités mystérieuses, des sonorités héritées de la Grèce antique ou de l'Extrême-Orient.  
On retrouve souvent ces sonorités anciennes chez Debussy et cet intérêt pour les sujets antiques ou le moyen-Âge, exemple : les danseuses de Delphes, le premier prélude du premier cahier ou une pièce de jeunesse, Tarentelle styrienne. L'orchestration est volontairement réduite à un petit ensemble de cordes voire à un simple quatuor à cordes. (Partition)
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La communauté des virtuoses "classiques" offre la part belle aux pianistes, violonistes et violoncellistes… parfois aux clarinettistes qui officient dans l'univers jazz. Difficile de citer de prime abord le nom d'une ou d'un harpiste célèbre. Ou alors on pensera à ceux qui nous ont quittés comme Lily Laskine ou Nicanor Zabaleta
J'avoue avoir découvert Claire Jones en cherchant une interprétation raffinée par un ou une artiste de la nouvelle génération. La jeune trentenaire d'origine galloise a même été la "harpiste officielle" de Charles, SAR Le prince de Galle, une vielle tradition british datant de l'époque de la reine Victoria remise au goût du jour par le prince ; les anglais me font marrer !! Hannah Stone, une autre harpiste également blonde et au look de mannequin a succédé à Claire. Hum hum, sacré Charles, un vrai Rockin'…
Plus sérieusement, Claire Jones a débuté sa carrière dès l'âge de dix ans et joué en concert devant la Reine Elisabeth II et le Duc d’Édimbourg à 16 ans… Quand je vous parlais de jeunes filles de bonne famille et de soirées mondaines à propos de la harpe, hihihi… Elle a enregistré de nombreux disques, mais sa carrière est hélas freinée par un symptôme de Grande Fatigue Chronique* (SFC). J'ai découvert son jeu de harpe, très aérien…
(*) Bien reconnue dans les pays anglo-saxons, cette affection invalidante aux origines mal identifiées (virus ?) n'attire que sarcasme ou suspicion en France où l'on parlera plutôt de "paresse chronique" 😣.
Le violoncelliste et maestro Paul Watkins, également gallois, l'accompagne pour cet enregistrement de 2014 en dirigeant les cordes de l'orchestre de chambre anglais.
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Danse sacrée : avec son tempo élégant (noté très modéré puis évoluant vers sans lenteur et en animant un peu…), son aura ombré et son atmosphère élégiaque, on pourra établir un parallèle stylistique avec la sarabande de la Suite pour le piano écoutée il y a deux semaines. La partie de harpe est assez difficile avec ses sauts de tessitures larges. Debussy oppose arpèges et staccato sur des thèmes intimistes. On appréciera la magie et la clarté subtile du phrasé.
Danse profane : [5:15] Si la danse sacrée est à six temps (3/2), la danse profane affiche 3 temps. On ne sera pas surpris d'entendre enchaînés gaiement des arpèges sur un rythme de valse. La partie de harpe se compose de séquences très rythmées tandis que les cordes offrent à l'instrument un écrin sous les étoiles.
Charmant et charmeur.
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