Catherine et André |
On ne change pas une équipe qui gagne. Jean Grémillon (1901-1959), bien que moins célèbre que Carné,
il ne tournera qu'une quinzaine de longs-métrages de 1928 à 1953. Il a déjà
travaillé avec Jean
Gabin dans Gueule d'Amour et décide d'adapter un
roman noir et sentimental de Roger
Vercel, Remorques. L'auteur est fasciné par la mer bien que n'ayant aucune
expérience maritime. Il a rencontré Louis Malbert qui fut le capitaine de l'Iroise,
un bateau de sauvetage en mer. Malbert est un héros breton avec 80 sorties et
38 sauvetages dans la mer d'Iroise située entre les îles de Sein et d'Ouessant
et le Finistère, un enfer de déferlantes en cas de tempête. L'écrivain s'est
aussi inspiré du naufrage du vapeur danois Hélène dans lequel quatre marins
trouvèrent la mort à Sein en 1935.
L'écriture du scénario piétine. Jacques Prévert est sollicité et modifie le script ébauché par Charles Spaak, André Cayatte et le romancier, puis écrit les dialogues. Le
tournage débute en juillet 1939. À
l'époque, seules deux semaines sont prévues pour tourner les extérieurs à Brest.
Tout le reste est filmé au Studio de Billancourt. Impossible bien sûr de
programmer une tempête et un sauvetage en mer, surtout en plein été 😅. En 2000, Wolfgang
Petersen tournera En pleine
tempête, le chavirage d'un chalutier pris dans un cyclone près de
Terre-neuve ; hyperréaliste, logique quand l'image numérique fait tout le boulot !
Un peu nanar malgré George Clooney en capitaine courage.
Yvonne et André |
La première moitié du film est consacrée au sauvetage.
Le récit est parfois chaotique. Le remorqueur est une maquette filmée dans un
grand court-bouillon à Boulogne. L'image est noirâtre, de nos jours on peut en
rigoler. Le plus important n'est pas là. Jean Grémillon
nous fait partager le calvaire des sauveteurs du remorqueur balloté par le maelstrom, la peur au ventre, les blagues
débiles pour exorciser celle-ci. Beaucoup de ces hommes ont des inquiétudes quant
à la fidélité de leurs épouses pendant les sorties en mer, non sans raison, ainsi Gabriel Tanguy, le second du Cyclone
qui "saoule" tout le monde avec ses problèmes de cœur… Gabriel Tanguy interprété par Charles Blavette,
un acteur fétiche de Pagnol
qui parle à Brest avec un drôle d'accent marseillais. Ça ne choquait guère à
l'époque. Jean Grémillon filme avec
réalisme la violence des éléments et de la situation. Gros plans sur les bielles de la machine à vapeur qui font penser à Lucien Léger
ou bien, musique et bruit de métal aidant, à Pacific 231 d'Honegger.
Le cargo en détresse est repéré, le Mirva. À bord de
ce bateau, rien ne va plus, les hommes sont harassés et en conflit avec Marc (Jean Marchat), le capitaine,
aussi odieux que lâche et incompétent. Marc,
une brute qui humilie sa femme Catherine
(Michèle Morgan),
une blonde vaporeuse qui étrangement fait partie de la cargaison… Des hommes et
Catherine embarquent dans la tourmente
pour rejoindre le Cyclone. L'accueil de la jeune femme par André est glacial
vues les circonstances…
A bord... Fernand Ledoux au centre |
Les relations entre André et Yvonne se
dégradent une fois de plus. Catherine
qui a plaqué Marc demande de l'aide
à André, ils en parlent lors de la
scène culte de la promenade sur la plage… André restera-t-il insensible malgré
sa rugosité au charme magnétique de la belle blonde ? Tout est en place pour
que le drame passionnel éclate…
Moins parfait que quai des brumes, Remorques
pâtit d'une réalisation par épisodes puisque le film sera terminé fin 1940, début 41 alors que les deux vedettes sont déjà parties se réfugier aux US. On
est toujours surpris de voir ces personnages, des travailleurs de la mer, des
gens humbles, parler une langue très littéraire et nous faire savourer les bons
mots presque philosophiques de Prévert.
Exemple "Un
mariage de marin, ce n'est pas un mariage comme les autres, car, comme l'a dit
le poète, chaque marin a deux femmes, la sienne et puis la mer, mais, mesdames,
ne soyez pas jalouses, la mer n'est pas méchante, même quand elle est mauvaise,
et tant qu'ils sont avec elle, vos maris vous restent fidèles"
citation improvisée par le Docteur.
Jean Gabin est idéal
en combattant des coups de tabac. Madeleine Renaud, à la comédie française à
l'époque, minaude de manière théâtrale plutôt comme une épouse de chirurgien
surmené que comme une femme de marin. Fernand Ledoux en marin usé et buriné crève
l'écran, la vie l'ennuie "on ne peut pas échapper à l'ennui, j'ai tout essayé".
Extraordinaires seconds rôles du cinéma d'autrefois. La photographie et les
éclairages des visages confinent à l'art, ça compense les scènes en mer qui
bien entendu sont artisanales. Michèle Morgan joue Michèle Morgan. Désolé, c'est
mon opinion. Au moins, elle se joue bien.
Beau témoignage d'une époque et d'un style. Et puis en 85
minutes, Jean Grémillon ne se perd
pas dans les chamailleries conjugales à rallonge. Côté bande-son, la fin du film souffre d'un chœur religieux
sulpicien hors sujet… Prévert était
furax de terminer sur ce "cantique", mais les deux hommes travaillèrent encore ensemble…
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