Toby et Tanny |
N'ergotons pas. Cette histoire dramatique dans une certaine
Amérique en perdition se déroule justement dans cette région qui réunit l'ouest
du Texas et le Nouveau Mexique. Frontière commune au sud : le Mexique et, à la
limite des deux États, El Paso. Ville mythique prétendument calme mais jumelle
de Ciudad Juárez, la ville frontalière parmi les plus violentes du monde,
passoire pour le passage de la drogue d'origine latino et des migrants qui
tentent de gagner un Eldorado qui n'a jamais existé que dans leurs rêves. Tous
les lecteurs ont déjà vu dans les westerns spaghetti (Et pour quelques dollars de plus)
ou dans Kill
Bill des images de ce type d'écosystème quasi désertique, desséché par un
soleil de plomb, et où vivre de l'agriculture se révèle une vocation teintée de
masochisme…
Dans ce cadre paradisiaque, les frères Toby et Tanny Howard (Chris Pine & Ben Foster)
refusent de survivre en maintenant à bout de bras une ferme héritée récemment de leur
mère, mais hypothéquée….
Hamilton et Parker |
Et déjà un premier braquage, la femme a à peine fini
sa clope que deux types cagoulés l'entraînent dans une agence de la Texas Midlands Bank. Peu de liquidité,
pas les clés du coffre et puis de toute façon le personnel (au singulier et au
féminin) semble vacciné au point de vanner nos deux gangsters. "Pour l'instant votre seul délit c'est la connerie".
Oui vacciné, car nos deux braqueurs qui ne sont rien d'autres que Toby et Tanny qui enchaînent les casses (ils enlèvent leurs cagoules le temps de foncer entre deux agences en traversant une zone périurbaine visant le statut de
bidonville). Dans la seconde succursale de la même banque, un client :
un papi qui n'en fait pas une crise cardiaque mais leur reproche quasiment leur manque
de motivation… Une forme d'humour très noir chez David Mackenzie dont le film
oscillera entre le western, le polar et le drame social…
Un western sans chevaux mais avec des bagnoles
crasseuses et hors d'âge ; pas de cache-poussières à la Sergio Leone, mais quand même le Stetson
vissé sur la tête. Le réalisateur dépeint en quelques plans un Texas à bout de
souffle. Un bon siècle plus tôt les colons européens ont chassé les comanches
de leur territoire. Au XXIème siècle, les multinationales épuisent
la énième génération de descendants des pionniers. La suite du film sera
l'illustration de ce cycle cruel et éternel, Wall Street a-t-elle pris la place de
la cavalerie et des winchesters ? Oui ! Une once d'humour dans l'introduction ;
l'un des frères glisse un pourboire dans le décolleté généreux de la caissière…
"C'est pas vous qu'on vole, c'est la
banque". Ils s'échappent fissa car le papi les canarde, le
Texas comme tous les USA reste le paradis des armes…
Une banque aussi déserte que les praires rabougries |
Pourquoi piller les tiroirs-caisses ? La raison est
simple, rembourser des emprunts usuraires souscrits naïvement par feue leur mère
auprès de ladite Texas Midlands Bank
après blanchiment dans les casinos-saloons qui ont toujours pignon sur rue. Dans
la région, la banque est pour tous les fermiers survivants le charognard à
abattre…
Pas d'angélisme, une attaque de banque concerne la
police, et même si le Texas Ranger Marcus Hamilton (Jeff Bridges) vient
de recevoir son avis de "mise à la
retraite obligatoire" il doit s'investir. Extraordinaire Jeff Bridges acteur fétiche des frères Coen,
se glissant avec brio dans les personnages les plus typés dans une filmographie
en forme de liste à la Prévert ; deux références : le Duke
de The Big
Lebowski ou le marshall
borgne, poivrot et héroïque de True Grit. Près de la sortie mais encore
motivé pour débusquer les deux emmerdeurs qui sortent de la léthargie les forces
de Police. Son adjoint Alberto Parker
(Gil Birmingham)
cultive les a priori sur le profil des suspects. Hamilton est plus circonspect, d'où cette vacherie de Parker "tu
vas t'emmerder quand tu n'auras plus personne à contredire".
Les répliques font mouche portées par des dialogues ciselés qui vont à
l'essentiel…
Hamilton ne va
pas lâcher le morceau. Comencheria
n'est en rien une course poursuite pittoresque pour coffrer deux apprentis
braqueurs. La tragédie, la furie des armes, les croix qui fleuriront dans les cimetières comme au bon
vieux temps de John
Wayne. Une dimension shakespearienne ? Possible.
David
Mackenzie filme avec maestria la légende de l'Ouest
définitivement morte au Texas. Les pompes à pétrole rongent les plaines où les
cowboys démoralisés souhaitent ne pas voir leurs fils connaître le racket des
"investisseurs". Une scène en plan large montre un troupeau fuyant un
pâturage racorni et en flammes. Une ligue entre pétroliers et sécheresse pour
repousser l'agriculture toujours plus loin ?
Le récit se concentre sur le quatuor formé par les deux
frères, le Marshall et son adjoint. Les comanches ont disparu, perdus dans une
population cosmopolite : Alberto Parker
est mi-comanche mi-mexicain, une caissière métis se nomme Martinez… Comanche
veut dire "ennemis
de tout le monde" apprend-on. Tanny, violent et au casier judiciaire chargé se revendique donc comanche.
L'ennemi commun étant symbolisé par la banque ; d'ailleurs on s'amusera en ville
des pillages dans un premier temps, pas longtemps.
Le tempo du film est lent mais régulier, tournant le
dos à la mode frénétique actuelle du cinéma d'action. La photographie
privilégie les chaudes lumières texanes dans un film pourtant bien noir. Les
cadrages sont parfaits, pas de fioritures de cinéastes en quête
d'expérimentation sans objet ici. Un casting d'exception au service de
protagonistes à la psychologie complexe, jamais manichéenne.
Format : couleur — numérique —
2,35:1.
Durée : 102 minutes.
4 nominations aux Oscars.
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