lundi 27 mai 2019

COMANCHERIA de David Mackenzie (2016) – par Claude Toon




Toby et Tanny
Le titre français de ce film de 2016 n'a qu'un rapport indirect avec le sujet et le titre original, l'histoire se déroulant sur les anciennes terres spoliées aux indiens comanches lors de la conquête de l'Ouest. Le titre original étant "Hell or High Water", expression idiomatique pouvant être interprétée par "Contre vent et marée" ou encore" en plus détaillée "quand bien même l'enfer ou le déluge s’abattrait sur nous", une formule qui figure sur les contrats de prêts bancaires et stipule sans ambages, vous l'avez déjà compris, les conditions de remboursement sont non négociables !!
N'ergotons pas. Cette histoire dramatique dans une certaine Amérique en perdition se déroule justement dans cette région qui réunit l'ouest du Texas et le Nouveau Mexique. Frontière commune au sud : le Mexique et, à la limite des deux États, El Paso. Ville mythique prétendument calme mais jumelle de Ciudad Juárez, la ville frontalière parmi les plus violentes du monde, passoire pour le passage de la drogue d'origine latino et des migrants qui tentent de gagner un Eldorado qui n'a jamais existé que dans leurs rêves. Tous les lecteurs ont déjà vu dans les westerns spaghetti (Et pour quelques dollars de plus) ou dans Kill Bill des images de ce type d'écosystème quasi désertique, desséché par un soleil de plomb, et où vivre de l'agriculture se révèle une vocation teintée de masochisme…

Dans ce cadre paradisiaque, les frères Toby et Tanny Howard (Chris Pine & Ben Foster) refusent de survivre en maintenant à bout de bras une ferme héritée récemment de leur mère, mais hypothéquée….  


Hamilton et Parker
Le premier plan séquence ouvre le bal des oubliés de la grande puissance économique US : un bled gagné par la platitude, tant au niveau des constructions que dans l'écoulement du temps. Un parking près d'une route poussiéreuse. Sur un mur blafard, cette inscription: "3 missions en Irak et pas d'aide financière pour des gens comme nous". Désert ou presque, juste une femme entre deux âges la clope au bec ; au sol, des déchets qui semblent attendre un éventuel ramassage… Le top !
Et déjà un premier braquage, la femme a à peine fini sa clope que deux types cagoulés l'entraînent dans une agence de la Texas Midlands Bank. Peu de liquidité, pas les clés du coffre et puis de toute façon le personnel (au singulier et au féminin) semble vacciné au point de vanner nos deux gangsters. "Pour l'instant votre seul délit c'est la connerie". Oui vacciné, car nos deux braqueurs qui ne sont rien d'autres que Toby et Tanny qui enchaînent les casses (ils enlèvent leurs cagoules le temps de foncer entre deux agences en traversant une zone périurbaine visant le statut de bidonville). Dans la seconde succursale de la même banque, un client : un papi qui n'en fait pas une crise cardiaque mais leur reproche quasiment leur manque de motivation… Une forme d'humour très noir chez David Mackenzie dont le film oscillera entre le western, le polar et le drame social…
Un western sans chevaux mais avec des bagnoles crasseuses et hors d'âge ; pas de cache-poussières à la Sergio Leone, mais quand même le Stetson vissé sur la tête. Le réalisateur dépeint en quelques plans un Texas à bout de souffle. Un bon siècle plus tôt les colons européens ont chassé les comanches de leur territoire. Au XXIème siècle, les multinationales épuisent la énième génération de descendants des pionniers. La suite du film sera l'illustration de ce cycle cruel et éternel, Wall Street a-t-elle pris la place de la cavalerie et des winchesters ? Oui ! Une once d'humour dans l'introduction ; l'un des frères glisse un pourboire dans le décolleté généreux de la caissière… "C'est pas vous qu'on vole, c'est la banque". Ils s'échappent fissa car le papi les canarde, le Texas comme tous les USA reste le paradis des armes…

Une banque aussi déserte que les praires rabougries
En bref, pas un film de braquage car le protocole des deux "bandits" confine au pathétisme. Les deux frangins surexcités rejoignent une ferme et, plus surprenant, enterrent la voiture, le tout sur une B.O. country pour faire couleur locale côté musique. Le ranch ? Vétuste, quelques vaches qui ont la peau sur les os, pas idéal dans le pays du T-Bone. Des cadavres de vieux conflits familiaux dans les placards… Tanny sort de taule, et Toby a deux fils, loin avec leur mère…
Pourquoi piller les tiroirs-caisses ? La raison est simple, rembourser des emprunts usuraires souscrits naïvement par feue leur mère auprès de ladite Texas Midlands Bank après blanchiment dans les casinos-saloons qui ont toujours pignon sur rue. Dans la région, la banque est pour tous les fermiers survivants le charognard à abattre…
Pas d'angélisme, une attaque de banque concerne la police, et même si le Texas Ranger Marcus Hamilton (Jeff Bridges) vient de recevoir son avis de "mise à la retraite obligatoire" il doit s'investir. Extraordinaire Jeff Bridges acteur fétiche des frères Coen, se glissant avec brio dans les personnages les plus typés dans une filmographie en forme de liste à la Prévert ; deux références : le Duke de The Big Lebowski ou le marshall borgne, poivrot et héroïque de True Grit. Près de la sortie mais encore motivé pour débusquer les deux emmerdeurs qui sortent de la léthargie les forces de Police. Son adjoint Alberto Parker (Gil Birmingham) cultive les a priori sur le profil des suspects. Hamilton est plus circonspect, d'où cette vacherie de Parker "tu vas t'emmerder quand tu n'auras plus personne à contredire". Les répliques font mouche portées par des dialogues ciselés qui vont à l'essentiel…

Hamilton ne va pas lâcher le morceau. Comencheria n'est en rien une course poursuite pittoresque pour coffrer deux apprentis braqueurs. La tragédie, la furie des armes, les croix qui fleuriront dans les cimetières comme au bon vieux temps de John Wayne. Une dimension shakespearienne ? Possible.
David Mackenzie filme avec maestria la légende de l'Ouest définitivement morte au Texas. Les pompes à pétrole rongent les plaines où les cowboys démoralisés souhaitent ne pas voir leurs fils connaître le racket des "investisseurs". Une scène en plan large montre un troupeau fuyant un pâturage racorni et en flammes. Une ligue entre pétroliers et sécheresse pour repousser l'agriculture toujours plus loin ?
Le récit se concentre sur le quatuor formé par les deux frères, le Marshall et son adjoint. Les comanches ont disparu, perdus dans une population cosmopolite : Alberto Parker est mi-comanche mi-mexicain, une caissière métis se nomme Martinez… Comanche veut dire "ennemis de tout le monde" apprend-on. Tanny, violent et au casier judiciaire chargé se revendique donc comanche. L'ennemi commun étant symbolisé par la banque ; d'ailleurs on s'amusera en ville des pillages dans un premier temps, pas longtemps.

Le tempo du film est lent mais régulier, tournant le dos à la mode frénétique actuelle du cinéma d'action. La photographie privilégie les chaudes lumières texanes dans un film pourtant bien noir. Les cadrages sont parfaits, pas de fioritures de cinéastes en quête d'expérimentation sans objet ici. Un casting d'exception au service de protagonistes à la psychologie complexe, jamais manichéenne.

Format : couleur — numérique — 2,35:1.
Durée : 102 minutes.
4 nominations aux Oscars.



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