samedi 20 avril 2019

Olivier LATRY interprète BACH à Notre-Dame de PARIS




- B'jour M'sieur Claude, ce n'est pas la joie ce matin… Quel incendie ! Enfin il n'y a eu aucune victime…
- Mouais Sonia, du coup je vais changer mon programme musical de la semaine… Schumann était prévu samedi, on écoutera Bach joué à Notre Dame…
- Je sais que vous êtes un passionné d'architecture, notamment de l'art Roman et Gothique… Gros cafard devant ce désastre ?
- Oui forcément, mais des grands artisans vont la soigner…
- Vous auriez pu écrire "interprétait"…
- Non justement, par la magie du disque, la voix de la cathédrale meurtrie nous parle toujours…


Le buffet et la rosace du couchant (ouest)
Comme beaucoup d'entre nous, je me suis retrouvé hagard le soir du lundi 15 mars face à mon petit écran, regardant la charpente millénaire de Notre-Dame de Paris transformée en un volcan ravageur ; angoissé mais espérant que les flammes ne consumeraient pas complètement la voute de pierre tendre sous laquelle l'orgue faisait rugir son plein jeu depuis des siècles…
Mardi matin, quand j'écris ces lignes, l'édifice a tenu même si fiévreux et tremblant, les pierres ayant défier le feu de l'enfer si je puis me permettre cette image en de telles circonstances et pour ce lieu sacré. Tristesse et soulagement, quelques soient les convictions artistiques et spirituelles de chacun. Je ne vais pas philosopher à propos de la dimension tragique de l'accident. Les médias, les râleurs professionnels, les polémistes et les politiciens s'en chargeront. Mon sentiment ? Prendre son temps, ne pas jouer la montre pour viser une reconstruction à coup de béton pour les J.O. de 2024. Mon Dieu, mais quel est le rapport entre les deux évènements 😖 ? Cherchons à retrouver à l'aide de tous les corps de métier qualifiés l'esprit des grands bâtisseurs du passé.
Même si cette merveille architecturale se réveille martyrisée - une prouesse de nos ancêtres du moyen-Âge (107 ans de travail) - il n'y a eu aucune victime. Ne nous laissons pas gagner par le désir de hiérarchiser ce genre de drames. Pensons à l'attentat des Twin Towers en 2001 (buildings plutôt banals, mais 2700 morts) ou encore aux vieux immeubles vétustes, des poudrières habitées par de petites gens et dont les propriétaires négligent le délabrement, cause de fournaises avec des pertes humaines. En 2003, ma maison a brulé en partie, incinérant tous les souvenirs des trois enfants, des cahiers de classe aux vêtements, en passant par des peluches, trois ados tétanisés ; dur ! Mais nous avons reconstruit et regardé vers le futur.
Notre-Dame renaîtra de ses cendres même si j'ignore ce matin si je reverrai de mon vivant les merveilleuses rosaces à la lumière surnaturelle. Quant au grand orgue (souvent restauré par le passé), séché, nettoyé, accordé, il chantera de nouveau, réconciliant musique religieuse et profane. Les vibrations à la puissance cyclopéenne ou aux accents méditatifs résonneront encore et encore…
L'un de ses organistes titulaires, Olivier Latry, se retrouve orphelin ce matin… J'improvise une chronique au fil de ma pensée et je la lui dédie, comme à tous ceux qui ont un pincement au cœur.
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La musique est un art vivant. Ce papier ne sera surtout pas une épitaphe et je reprends ma maquette habituelle, un billet plus court, sans détour musicologique. Certes le disque ne permet pas de s'offrir des frissons comparables à ceux de l'écoute réelle d'un orgue déchaîné, cette force qui prend aux tripes lorsque l'on pénètre impromptu dans la nef quand l'organiste répète. Peu importe, les couleurs sont assez fidèles de nos jours avec du bon matériel. L'orgue de Notre-Dame de Paris est l'un des plus grands instruments romantiques des cathédrales françaises. Pourquoi choisir Bach et ses partitions conçues a priori pour des orgues baroques à traction mécanique, et non des œuvres monumentales de Widor, Vierne ou Messiaen ? Parce que joué sur n'importe quel type d'orgue et même sur un accordéon, Bach reste universel… Si notre belle cathédrale a perdu provisoirement sa beauté, sa voix continuera à nous parler grâce aux gravures qui y ont été réalisées.
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Olivier Latry dos à N.D. avant la catastrophe...
De nombreux orgues se sont succédés à la tribune de la cathédrale. Sans doute modeste aux moyen-Âge et à la Renaissance, celui que nous connaissons de nos jours atteint ses vastes proportions au XVIIIème siècle. Au XIXème siècle et depuis la composition d'œuvres grandioses notamment par Liszt, l'orgue romantique connaît son heure de gloire. Une variété de jeux et de claviers sans cesse grandissante se met en place. En 1868, le célèbre facteur d'orgue Aristide Cavaillé-Coll lui donne sa majesté quasi définitive à la demande de l’architecte Viollet-le-Duc. Le compositeur Louis Vierne, titulaire de 1900 à 1937, auteur de symphonies imposantes, apporte des compléments. Pierre Cochereau, titulaire de 1955 à 1984 fera de même. Pierre Cochereau, l'homme qui démocratisera l'orgue auprès du grand public grâce au microsillon. Enfin en 1992, l'instrument est entièrement restauré, des tuyaux changés, d'autres jeux ajoutés, une nouvelle console et l'électronique font leur arrivée. Agrandir ce joyau et l'entretenir n'a jamais de fin. Depuis 2014, il comporte 115 jeux ce qui en fait le second orgue de France en termes de richesse de registration.
Les organistes titulaires en poste sont : Olivier Latry (depuis 1985), Philippe Lefebvre (1985) et Vincent Dubois (2016) qui a succédé à Jean-Pierre Leguay (1985-2015) qui reste organiste titulaire émérite. Tous ont des fonctions de concertistes et de pédagogues en dehors de ces postes et seront amenés à apporter leurs compétences lors de la restauration.
Olivier Latry est né en 1962 et poursuit une carrière internationale. Au-delà de sa virtuosité, le musicien a la réputation d'un grand improvisateur, péché mignon des organistes. Au début du siècle, il a gravé pour DG une intégrale en 6 CD de référence de l'œuvre d'Olivier Messiaen à Paris ; je l'écoute en écrivant. Et, il y a tout juste un mois, est paru un album consacré à un florilège d'œuvres de Bach dont la très connue Toccata et Fugue en ré mineur.
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Des puristes estiment que jouer Bach sur un orgue romantique surdimensionné est un contresens ! On doit jouer Bach sur des petits orgues baroque de 20 à 30 jeux et à traction mécanique pour obtenir plus de réactivité dans le touché… Bof ! Qui peut affirmer que le Cantor n'aurait pas souhaité disposer d'orgues aux registres plus étendus, à la puissance plus spectaculaire, offrant la possibilité de crier vers son Dieu. Marie-Claire Alain avait gravé trois intégrales, deux sur des instruments modernes, l'autre sur des instruments anciens comme l'orgue de Saint-Donat dans la Drome. Deux cycles tout aussi passionnants. André Isoir avait lui aussi fait la tournée d'orgues baroques en Europe pour sa belle intégrale. Et au début du XXème siècle, Albert Schweitzer, médecin philanthrope et organiste, jouait à merveille Bach sur des orgues romantiques. Le débat est clos. L'inspiration est la clé de la réussite, surtout pour les deux ouvrages de musique pure que j'ai choisi de vous faire entendre. À l'interprète de sélectionner les jeux qui magnifient la belle polyphonie des fugues sans provoquer des acouphènes.
Donc Olivier Latry vient de faire paraitre un album innovant. Sans doute le dernier enregistré dans la cathédrale avant bien des années. Vous serez surpris par les sonorités obtenues notamment lors de la transition entre la toccata et la fugue en ré mineur [3:05]. L'organiste passant de la furie mystique à une douceur plus intime, plus terrestre, la fugue devenant un prodigieux crescendo, un symbole de l’Élévation. La vidéo offre une visite en forme de voyage astral dans la nef, le buffet et les mécanismes d'orfèvres de l'instrument. À noter la modernité de la console par rapport à l'ébénisterie très "romantique" du buffet à voir sur certains plans…
Olivier Latry, assez provocateur, fait mugir et murmurer Bach, à l'encontre d'une certaine tradition. Nul mieux que lui peut justifier cette approche : "Il faut se nourrir du passé pour se projeter dans l’avenir". "L’orgue ici est un instrument symphonique, gigantesque". "Or si on le compare à certains instruments que Bach a pu jouer, on est loin du compte." "Je voulais imaginer comment la musique de Bach pouvait passer les siècles au-delà de toutes contingences musicologiques."

Plus développé, le Prélude et fugue en mi bémol majeur (BWV 552) présente un long, méditatif et joyeux, presque fantasque prélude, suivi d'une fugue à 4 et 5 voix [9:05].
Vidéo 1 : Toccata et fugue en ré mineur ;  Vidéo 2 : Prélude et fugue en mi bémol majeur
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Dernière heure : l'orgue à souffert, on s'en doute. La suie et les cendres, l'eau des pompiers, les gouttelettes de plomb fondu, la chaleur sur les 8000 tuyaux en étain… L'électrification est à refaire, la console aussi vraisemblablement, et le buffet est déstabilisé. Il est envisagé de le démonter "au plus vite" l'orgue, tout réparer pièce par pièce chez un facteur trèèèès qualifié avant de tout remettre en place après la reconstruction de la cathédrale… Là encore, on parle d'années de travail ! Actuellement, c'est le facteur d'orgue corrézien Bertrand Cattiaux qui est en charge de l'instrument depuis des décennies.

2 commentaires:

  1. Je suis étonné de ton choix, vu la tragédie de l'événement, j'aurais pensé que tu aurais pris un classique de Cochereau ou de M.C Alain (j'ai une vieille enregistrement chez Erato que j'ai hérité de ma grand-mère)

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  2. J'ai préféré être dans le présent. Un Bach moderne, un organiste moins connu que ceux qu tu cites et pourtant...
    Et puis les vidéos (un drone ?) pour visiter l'orgue.
    Donc, oui, l'actualité, y compris celle du disque. Pas nos souvenirs de grands-mères.

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