samedi 9 mars 2019

TCHAIKOVSKI – Symphonie N°2 "Ukrainienne" (1872/1880) – Mariss JANSONS (1987) – par Claude Toon



- Dites M'sieur Claude, j'espère que cette symphonie de Tchaïkovski est moins austère que la pochette du CD… Imitation cuir façon maroquin, hihihi…
- Oui, je vous rassure Sonia, une jolie symphonie expansive, émaillée de thèmes folkloriques ukrainiens, aucunement la gravité de la symphonie "Pathétique"…
- Mariss Jansons a déjà été au centre de chroniques, mais avec des orchestres plus prestigieux que celui d'Oslo, la philharmonie de Berlin entre autres…
- Ne jamais avoir d'a priori Sonia. Ce chef a hissé cet orchestre au sommet et a gravé des intégrales de références dans Brahms et Tchaïkovski…

Tchaïkovski vers 1872
Les symphonies de Tchaïkovski, au nombre de six, se répartissent en deux groupes. Les trois dernières (4 à 6) sont des œuvres majeures du répertoire et ont déjà donné lieu à la rédaction d'une chronique globale opposant au sommet Evgeny Mravinsky (la légende) à Valery Gergiev (la jeune génération), sans compter une chronique sur la 6ème dite pathétique par Igor Markevitch, un article conséquent et indispensable, car chacune de ces symphonies de la maturité mérite que l'on s'y attarde dans le détail.
Je ne sais pas pourquoi, mais la 3ème symphonie dite "polonaise" m'ennuie… Dirigée par des pointures comme Karajan, Gergiev ou peu importe le maestro de service, rien n'y fait. Il est donc fort possible que jamais ne soit publié un papier sur une œuvre qui ne me passionne pas malgré surement des qualités que je ne perçois pas. J'avais écrit un petit papier sur la charmante symphonie N°1 "Rêve d'hiver" qui chante toute la poésie russe ; le début prometteur en 1868 d'un compositeur de 28 ans dans l'univers de la symphonie. Et aujourd'hui, on se régale avec la 2ème sous-titrée au choix "petite Russie" ou "ukrainienne". Une symphonie courte et enjouée même si certaines maladresses de composition alourdissent de-ci de-là son écriture. Certains mélomanes ne l'aiment pas… L'affinité avec la musique reste décidément un mystère… Le plus bizarre étant de n'aimer aucune musique dans aucun genre, une forme d'infirmité auditive et émotionnelle !
La 2ème symphonie sera composée quatre ans plus tard, en 1872, entre juin et novembre. Éternel insatisfait, Tchaïkovski apportera de profondes modifications en 1879-1880 donc après la fulgurante 4ème symphonie qui le fait entrer dans la cour des grands symphonistes. L'ouvrage gagnera en concision même si ceux qui connaissent la version originale pensent qu'elle perd en spontanéité.
Depuis 1866, Tchaïkovski occupe un poste de professeur au conservatoire de Moscou grâce à l'appui d'Anton Rubinstein. Il a travaillé durement sur sa 1ère symphonie, jusqu'au Burn out. L'homme est et restera un hypersensible. État de fragilité psychologique qui s'explique par son homosexualité qu'il cache au mieux. Un trait de personnalité qui le condamnera à l'opprobre absolue voire, selon certaines sources, au suicide "obligé" lorsque la chose sera rendue publique dans la très prude Russie de 1893
En 1872, il est déjà un compositeur influent qui entreprendra bientôt l'écriture de l'une de ses œuvres les plus célèbres : le 1er concerto pour piano.  
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Mariss Jansons
"Petite Russie" est un sobriquet sympathique donnée à "l'Ukraine", même si les deux pays ou régions sont en bisbille depuis la nuit des temps… Ce surnom a été donné par le critique Dimitrievich Kashkine en référence aux trois thèmes folkloriques ukrainiens que le compositeur a introduits dans son œuvre à côté d'idées musicales plus générales. Et puis n'oublions pas qu'en cette seconde partie du XIXème siècle, la musique russe s'attache à explorer un courant nationaliste. Attention pas de patriotisme intégriste, non plutôt une cohabitation entre les formes traditionnelles occidentales européennes et une thématique héritée des musiques populaires slaves et une inspiration nourrie de la littérature et des légendes russes. La manifestation la plus connue de ce mouvement est la création du Groupe des cinq réunissant des compositeurs autodidactes : Alexandre Borodine (1833-1887), César Cui (1835-1918), Mili Balakirev (1837-1910), Modeste Moussorgski (1839-1881), Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908). Les deux derniers étant des compositeurs d'importance et Rimski-Korsakov étant comme Berlioz considéré comme un maître de l'orchestration moderne. Tchaïkovski, élève brillant de conservatoire, ne faisait pas partie du groupe, mais sa 2ème symphonie, par son attachement aux musiques villageoises et son orchestration enrichie de percussions, démontre son intérêt pour ce courant artistique ; à propos d'orchestration, nous avons :
1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes (en si bémol et ut), 2 bassons, 4 cors en fa, 2 trompettes en ut, 3 trombones (2 ténors et 1 basse), 1 tuba, timbales, cymbales, grosse caisse, tam-tam (final) et cordes
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Nous écoutons une vivifiante interprétation par Mariss Jansons qui a dirigé l'orchestre d'Oslo de 1979 à 2002. L'élève letton d'Evgeny Mravinsky a hissé ce modeste orchestre nordique au rang international pendant son long séjour. Ses intégrales des symphonies de Brahms et de Tchaïkovski apparaissent souvent dans les Best of (Clic).
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Cérémonie villageoise - Constantine Savitski (1844-1905)
1 - Andante sostenuto - Allegro vivo (ut mineur) : Un accord rituel en tutti. Plus original : un premier thème élégiaque de sept mesures inspiré d'un chant traditionnel ukrainien est entonné par deux cors. [0:45] Ce thème pastoral est repris par le basson accompagné par des pizzicati légers des violoncelles et des contrebasses. Tchaïkovski nous émeut d'entrée par un climat résolument slave empreint de mélancolie, et aussi en recourant à un tempo andante qui élargit l'espace sonore, celui des immenses plaines russes. L'andante se construit sur une péroraison inventive à partir du thème initial. [1:20] Seconde reprise aux cors mais avec un accompagnement en scansion des flûtes et des clarinettes. Ce grand thème serpentera ainsi maintes fois dans l'andante, mais coloré de mille facettes orchestrales. On ressent l'influence du traité d'orchestration de Berlioz.
Petits rappels de deux a priori lus à droite et à gauche : "la musique de Tchaïkovski tend vers la fanfaronnade", "le style de direction de Mariss Jansons se révèle parfois éthéré"… Je m'inscris en faux, car si c'était le cas, jamais cette symphonie pétulante n'aurait profité ici d'une lisibilité et d'une légèreté révélant sa faconde populaire… Tchaïkovski doit bénéficier d'une lecture acérée comme Mravinsky avait du le montrer à son élève. Quant au chef letton la transparence est une obsession en opposition aux lourdeurs postromantiques d'une certaine tradition germanique…
[3:57] Hautbois, clarinette et basson énoncent le thème court et enflammé de l'allegro, thème repris avec vaillance par les cordes appuyées par les timbales. Contrairement à la version initiale de 16' de ce premier mouvement que je trouve très délayée, Tchaïkovski développe avec énergie et clarté une musique allègre mêlant les deux thèmes principaux très différents : l'élégie et l'héroïsme russes. Les chants des bois sont très présents et même virtuoses. [5:18] Une idée secondaire énigmatique apparait, dramatique… Ô juste une facétie pour réintroduire le second thème dans un orchestre qui crescendo acquiery une intensité lyrique peu courante dans les symphonies du premier groupe. Deux thèmes attachants : un procédé simple qui conquiert immédiatement l'auditeur. La richesse de l'orchestration et des variations apporte le petit plus de toute œuvre populaire et captivante. [10:51] La réexposition in extenso du thème initial aux cors suivi d'un solo de basson conclut par une belle symétrie ce premier mouvement.

Enfants et poules - Constantine Savitski
2 - Andantino marziale, quasi moderato (mi bémol majeur) : [12:02] Le second mouvement commence par une marche pastorale facétieuse que Tchaïkovski a extrait d'un opéra jamais achevé Undine. Une seconde idée plus mélodique est jouée par les cordes avant une reprise du motif martial égayé de pizzicati. Début des années 70, une enseignante m'avait sollicité pour illustrer un conte imaginé par ses jeunes élèves (histoire, dialogues, dessins, le tout en support d'un diaporama sonorisé présenté aux familles en fin d'année). Les enfants racontaient les pérégrinations d'une marguerite lassée d'être enracinée et voulant découvrir le monde… Ah le talent onirique des gosses ! Chaque étape de la fleur était illustrée par cette jolie marche en leitmotiv. On retrouve de nouveau des dialogues de bois ravissants. [13:55] la partie centrale est construite sur un air folklorique ukrainien chanté par les bois, la clarinette solo puis les violons. [15:48] Le motif martial reprend illuminé de trilles de flûte et nous entraîne joyeusement vers la conclusion. La beauté du phrasé de l'orchestre d'Oslo est stupéfiante et peut faire la pige à des phalanges illustres… L'andantino s'achève sur des suites d'accords au bois suivant la rythmique des timbales qui s'éloignent…

3 - Scherzo. Allegro molto vivace (ut mineur) : [18:42] Cette symphonie est née sous le signe du rythme. Le scherzo endiablé mais sans précipitation s'élance telle une farandole syncopée avec des ruptures de rythme chorégraphiques. Tchaïkovski se présente comme le génie de la musique de ballet qu'il deviendra. [21:09] le trio permet à chaque pupitre de vents, notamment les flûtes, d'apporter une note supplémentaire de vie et d'humour que le compositeur développe peu pour éviter la moindre longueur et permettre le retour rapide du scherzo [22:06]. La coda est traitée en forme de variation farfelue…  

4 - Finale. Moderato assai - Allegro vivo (ut majeur) : [23:51] Après deux mouvements qui côtoient le divertissement, retour du Tchaïkovski robuste et du style hardi qu'on lui attribue souvent à juste titre. Une courte introduction majestueuse à la limite de l'emphase nous conduit vers un premier groupe thématique de nouveau très martial [24:31] et dans lequel les cuivres prennent une importance qu'ils n'avaient pas jusqu'à présent. Il s'agit encore d'un thème populaire ukrainien. Un air très allant que le compositeur développe avec grandeur et puissance en faisant intervenir la percussion à volonté. [26:45] Adepte des contrastes, Tchaïkovski aborde un second groupe thématique plus bucolique. La combinaison des deux groupes offre au final une péroraison fantaisiste et bougrement abrupte qui se conclura par quelques traits de piccolo et un coup de tamtam [32:26]. La conclusion à la velléité olympienne très contrastante avec le climat plaisant des trois premiers mouvements est assez rugueuse, il faut bien l'avouer…
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Moins fournie que celle du second groupe des trois dernières symphonies, la discographie des trois premières n'est heureusement pas maigre. Pour mémoire : l'interprétation pleine de feu de Claudio Abbado avec le Philharmonia marquait au début des années 70 son entrée chez DG. Elle n'est hélas plus disponible dans le couplage avec la 1ère dirigée par Michael Tilson-Thomas. Le triptyque a connu une belle gravure récente par Valery Gergiev et le tranchant orchestre symphonique de Londres (Index pour la 1ère).
DG a eu la bonne idée de rééditer ces symphonies gravées tardivement (1979) par Herbert von Karajan à Berlin. Le chef autrichien interprète ces œuvres de jeunesse avec le même bonheur que les dernières qu'il a servies plusieurs fois. Un double album qui comble un vide (DG - 5/6). Son soyeux et affable, même la morne 3ème a trouvé son maître…
Enfin, un enregistrement original, la deuxième mouture de la 2ème symphonie seule par Mikhaïl Pletnev à la tête de son orchestre national de Russie. Plus fougueux que lors de sa première intégrale, le chef russe propose en complément le 1er mouvement dans sa version originale longue. Une curiosité (Pentagone – 5/6).

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