vendredi 22 février 2019

THE MULE de Clint Eastwood (2019) par Luc B.


On n’avait pas revu Clint Eastwood sur un écran depuis 2012 (UNE NOUVELLE CHANCE, un mélo pas terrible qu’il accepta de tourner pour faire plaisir à Robert Lorenz qui avait été son assistant), mais surtout depuis GRAN TORINO en 2008, dirigé par lui-même. Comment l’acteur-réalisateur-producteur de 88 ans allait-il s’en sortir ? Comme d’hab’ : avec classe, talent, et auto dérision. Eastwood se filme sans tricherie, les bras sont veinés, ridés, y'a plus que de l'os et de la peau, la démarche est chancelante, mais l'œil plus vif que jamais. 
le "vrai" Earl Stone
Le personnage de Earl Stone s'appelle en réalité Léo Sharp - surnommé El Tata dans le gang de El Chapo - puisqu’Eastwood adapte ici un fait divers réel. Stone ressemble au Walt Kowalski de GRAN TORINO, vétéran de Corée, retraité, vieux ronchon (avec 10 ans plus) vivant seul, fâché avec sa famille… mais en moins misanthrope. Earl Stone aime les gens, même s’il a une curieuse façon de leur dire…
Ainsi, cette répartie lorsqu’il aide un couple sur la route à remplacer une roue crevée : « c’est toujours un plaisir d’aider mes amis nègres ». Stupéfaction de madame, qui lui fait la leçon : « On peut dire Noir, ou gens de couleur, ou juste… des gens. C’est vrai vous êtes blanc, et nous noirs, mais… » et goguenard il lance un truc du genre : « Non sans dec’ ? ça m’troue l’cul ! ». Franchement, quel metteur en scène filmerait une scène pareille aujourd’hui… Clint Eastwood n’en a plus rien à foutre des conventions, et joue avec l’image qu’on se fait de lui. Libéral conservateur, raciste, facho, aigri, j’en passe et des meilleurs.
Dans le même genre, Earl Stone croise des motards, en rade. Il donne ses conseils de mécanique. Mais stupeur, les bikers sont des filles : le club des lesbiennes motorisées. La nana lui lance un « merci, le vieux » auquel il répond naturellement : « pas d’quoi, les gouines ! ». 
avec Allison Eastwood
Sauf qu’évidemment, il y a trois tonnes d’humanité chez Earl Stone. Le film le démontre. Tout l’argent gagné sera pour aider son prochain, sa famille, ses potes, des associations. Il vient d’où ce fric ? Du trafic de drogue. Quand un pur libéral américain est dans la merde, il ne vient pas mendier l’Etat, il se débrouille par lui-même. Self-made man. Donc, Earl Stone, horticulteur renommé, mis en faillite, ne va pas pleurer des allocs, mais s’en sortir, seul. Et accepter de faire la mule pour des narcotrafiquants. Avec son vieux pick-up, et plus tard un 4X4 flambant neuf, il va transporter des kilos de coke à travers les Etats Unis. Payés à la livraison. Et l’enveloppe est plus épaisse à chaque fois.
Un octogénaire blanc ne risque pas d’attirer la brigade des stups. Voilà pourquoi Earl Stone est une des meilleures mules du circuit. En plus, il ne pose pas de questions. Il fait le job. Ce n’est qu’au quatrième voyage qu’il regarde dans les sacs qu’on lui confie. Mais Earl Stone ne suis pas les protocoles, marche à son rythme. Ce qui emmerde ses nouveaux patrons qui lui mettent dans les pattes des mecs chargés de le surveiller. Quand Earl disparait quatre jours avec 300 kg de came dans son coffre, le cartel exige qu’il soit éliminé. « Il était à l’enterrement de sa femme ! » plaide le tueur. Rien à foutre, il faut faire un exemple.
avec Andy Garcia
THE MULE s’apparente au polar (pépère le polar, c’est pas Michael Bay à la caméra) et au road-movie. Earl traverse les états, scènes évidemment récurrentes (comme sont récurrentes les plans d'entrées et sorties du garage), mais les paysages changent, qu’Eastwood filme merveilleusement. Le vieux Earl chante au volant au son de son auto-radio (blues, country…). Excellent : lorsque les trafiquants placent un micro dans son 4X4 pour une filature plus efficace, ils se mettent à fredonner avec lui !
Earl a tendance à faire la leçon aux plus jeunes, que ce soit le tueur Julio, ou Colin Bates, le flic de la DEA, croisé dans un motel. Earl répète à l’envi l’importance de la famille, lui qui a sacrifié la sienne. Il a délaissé sa fille (jouée par Alison Eastwood, qu’il a fait tourner plusieurs fois, depuis qu’elle est toute jeune), mais va se rattraper sur sa petite-fille. Sans être un film testament - on ne lui souhaite pas ! - THE MULE remet certaines valeurs à leur place, la bonté, la tolérance, l’entraide, les relations humaines. Il est chiant le vioc, mais au final tout le monde l’aime bien. Il attire la sympathie.
Et la mise en scène… Eastwood tourne vite, une prise ou deux, c’est tout. Chez lui il faut qu’une réplique sonne comme si elle était prononcée pour la première fois, naturelle, et pas rabâchée. Eastwood c’est l’anti Actor-studio. Tout le monde sur le plateau connait son job, connait son texte. Les plans paraissent simples, évidents. C’est ce qui me bluffe chez ce réalisateur : ça coule de source. Voyez les scènes d’expositions, un plan et tout est dit. Comme la scène au motel entre Earl et le flic Colin Bates, le thermos oublié, le 4X4 Lincoln garé, ou la scène du chien policier… Tout cela aurait pu être filmé à grands renforts d’effets tintintin : mais non. Simple. Limpide.
faites pas chier les vieux
Bon, Eastwood nous en tartine sans doute un peu trop dans le genre vieillard aigri incompatible avec le monde moderne. Certaines redondances au sujet des téléphones portables et Internet. Et le cinéaste va un peu trop loin lorsqu’il filme la séquence chez le trafiquant Laton (Andy Garcia) à se régaler de culs de jeunes bimbos, dont deux finiront dans son pieu… Je ne sais pas si c’est réel, mais peu crédible me semble-t-il. Les mules d’Escobar étaient-elles invitée à siroter un mojitos chez le boss ?

En fait, Earl redevient comme un gamin, il ne se rend pas compte de ce qu’il est en train d’accomplir (Léo Sharp était apparemment un peu gâteux…) il n’a pas de jugement moral. D'ailleurs, jamais chez Eastwood, contrairement à 99% du cinéma hollywoodien. Pour Earl c’est juste l’occasion de payer ses dettes, reprendre sa maison, continuer à vivre. 
THE MULE n’est pas un chef d’œuvre crépusculaire comme pouvait l’être IMPITOYABLE ou GRAN TORINO, mais un film très agréable, drôle, sarcastique, un divertissement plus incisif qu’il n’y parait. Les policiers sont tout de même vus comme des andouilles incompétents, le chef de la DEA (excellent Laurence Fishburne) passe son temps à valider ce que lui propose Colin Bates (Bradley Cooper) en martelant : « ouais, faites comme ça, super, mais je veux des résultats » 10 fois dans le film ! Le plan final est juste magnifique. Earl retourne à l’essentiel : ses fleurs.
PS : L’histoire est donc vraie, Léo Sharp a été arrêté à 87 ans, a plaidé coupable, a fait trois ans de taule avant de sortir pour raison de santé, il est mort à 92 ans. On peut voir sur Internet les images de son arrestation, filmée par la caméra de la voiture de flic, avec le même 4X4 noir.

 couleur  -  1h55  -  scope 1:2.35

1 commentaire:

  1. J'ai aimé ce site et pour moi je trouve des films tous https://skstream.tube/ que je regarde gratuitement et sans problème, je vous conseille donc de l'étudier.

    RépondreSupprimer