vendredi 15 février 2019

GREEN BOOK de Peter Farrelly (2019) par Luc B.


Alors ça, coco, c’est du film à oscars ! « D’après une histoire vraie » qui disent, ça peut rapporter des points. Et c’est vrai, que reprocher à ce film ? Une belle paire de charentaises confortable, on s’y glisse et on laisse rouler pendant deux heures. Rouler, parce que ce film s’apparente au road-movie, deux types en voiture qui tracent la route. A ceci près qu’on est en 1962, dans les états du sud, que la Cadillac est conduite par l’italo-américain Tony Lip (de son vrai nom Tony Vallelonga) et que le passager est un Noir. Et un artiste, en plus : Don Shirley.
Don Shirley (1927-2013) est pianiste, a fait le conservatoire de musique classique (comme Nina Simone), et ne trouvant pas de contrat à cause de sa couleur de peau, s’est mis à jouer du jazz (comme Nina Simone, bis). Puis a passé un diplôme de psychologie (d’où le surnom de « doc »), tout en continuant les récitals, les tournées, et en écrivant des symphonies, des concertos. Bref, pas un pianiste de bastringue.
Don Shirley fait passer des entretiens pour trouver un chauffeur/assistant en vue d’une tournée dans les états du sud, accompagné d’un violoncelliste et d’un contrebassiste. Tony Lip lui inspire confiance, il aura le job. Pourtant, ce type mal dégrossi qui travaillait comme videur dans une boite de nuit de New York, a quelques à priori sur les Noirs. Dans une scène, on le voit jeter à la poubelle, dégoûté, deux verres dans lesquels avaient bu deux ouvriers Noirs venus bosser chez lui.
« Green book » c’est le nom d’un guide de voyages, avec une section pour les "negro travelers" en ces temps de ségrégation. Toute star qu’il est, quelques soit les courbettes dues à son talent, Don Shirley reste un Nègre, et si on l’invite à de prestigieuses réceptions où le gratin local s’émoustillera à l’entendre jouer, ben pour aller pisser, le virtuose, il ira dehors, au fond de la cour… A Birmingham (Alabama) on lui refuse une table de restaurant, là même où des centaines de convives se délectent d’entendre sa prestation. Autre scène, où son hôte va servir en son honneur du poulet frit, parce que ça mange quoi d’autre les Noirs ?
Ce qui nous vaudra une scène humoristique, où Tony Lip apprend à Don Shirley à bouffer son poulet KFC avec les doigts, parce que c’est comme ça que c’est meilleur ! En fait, l’opposition entre les personnages tient moins - à mon sens - à leur couleur de peau (et non pas "race" car les humains sont tous de la même race...) qu’à leur classe sociale. Don Shirley est éduqué, cultivé, maniéré, le costard toujours impeccable, comme sa diction, son vocabulaire. Tony Lip est brut de décoffrage, honnête, on le paie il fait le boulot, et s’empiffre à longueurs de scènes (Viggo Mortensen a pris 30 kg ?!!), il gagne le concours de plus gros mangeur de hot-dog, 26 en une heure.
Don Shirley est accablé par la pauvreté stylistique des lettres que Tony envoie régulièrement à sa femme, et va à la manière de Cyrano de Bergerac, lui servir de nègre (« merci pour les lettres » le remerciera discrètement Dolores, pas dupe une seconde). Tony, lui, va lui apprendre les rudiments de la culture populaire, et notamment la musique. Tony n’en revient pas qu’un musicien Noir ne connaisse pas Aretha Franklin ou Little Richard ! Jolie scène dans un juke-joint, où Don Shirley s’installe au piano pour quelques virtuosités classiques, avant d’être rejoint pour un groupe de blues, et balancer un boogie-woogie !   
La BO du film est une petite merveille, du R’n’B 60’s, ce qui invariablement nous fait penser au cinéma de Martin Scorsese, patchwork musical et italo-américains… La comparaison s’arrête là, car question mise en scène, Peter Farrelly la joue très académique, c’est propre, joliment photographié, reconstitution impeccable, mais ça manque un peu de personnalité. Est-ce parce que Nick Vallelonga (le vrai fils de Tony) est co scénariste et co-producteur, qu’on a un film finalement assez lisse, sans aspérités ?
Rappelons que Peter Farrelly est le frère de Bobby, avec qui il a commis quelques-unes des comédies les plus drôles et bien trash du cinéma US de ces dernières décennies, DUMB AND DUMBER, MARY A TOUT PRIX, DEUX EN UNS, LA FEMME DE MES RÊVES…  
On ne ressent pas d’animosité entre le maître et son chauffeur. Quand Don Shirley est coincé par la police dans des douches publiques, à poils avec un jeune blanc-bec... Tony lui dit, blasé : « Dans mon boulot - les boites newyorkaises - j’en ai vu d’autres… ». Et c'est tout ? Cet aspect n'est pas développé, alors pourquoi le balancer comme ça entre deux portes ? 
Ce qui fait le plaisir du film, ce sont les deux acteurs, Viggo Mortensen (un danois qui joue un italien !!) impressionnant, imposant, le mec quand il menace de cogner, on obtempère ! Et Mahershala Karim-Ali au maintien impeccable, rigide et fragile à la fois, son personnage est en réalité très seul, qui noie son blues dans une bouteille de Cutty Sark contractuellement déposée dans sa chambre tous les soirs. On aurait aimé que Farrelly développe un peu de ce côté-là, ce pianiste virtuose sans cesse humilié par sa couleur de peau, mais qui peut avoir Bobby Kennedy au téléphone en pleine nuit en cas d’arrestation frauduleuse par des flics racistes.
On remarquera deux scènes où les flics arrêtent la voiture, dans le Sud ça se termine en taule, en chemin vers New York, c’est le flic qui aide à changer une roue crevée. Un peu schématique ?
GREEN BOOK est un joli film, qui suit un schéma narratif convenu et ne fouille sans doute pas assez les caractères, mais qui ne se dresse pas en étendard de la cause (comme le BLACKKKLANSMAN de Spike Lee), préférant les chemins de traverses, dire les choses simplement, humblement, ce qui au final, s’avère tout aussi efficace.
Allez voir ce film, et en famille si possible.


 couleurs  -  2h10  -  scope 1:2.35       

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