Alors
ça, coco, c’est du film à oscars ! « D’après une histoire vraie »
qui disent, ça peut rapporter des points. Et c’est vrai, que reprocher à ce
film ? Une belle paire de charentaises confortable, on s’y glisse et on
laisse rouler pendant deux heures. Rouler, parce que ce film s’apparente au
road-movie, deux types en voiture qui tracent la route. A ceci près qu’on est
en 1962, dans les états du sud, que la Cadillac est conduite par l’italo-américain
Tony Lip (de son vrai nom Tony Vallelonga) et que le passager est un Noir. Et
un artiste, en plus : Don Shirley.
Don
Shirley (1927-2013) est pianiste, a fait le conservatoire de musique classique
(comme Nina Simone), et ne trouvant pas de contrat à cause de sa couleur de
peau, s’est mis à jouer du jazz (comme Nina Simone, bis). Puis a passé un
diplôme de psychologie (d’où le surnom de « doc »), tout en
continuant les récitals, les tournées, et en écrivant des symphonies, des
concertos. Bref, pas un pianiste de bastringue.
Don
Shirley fait passer des entretiens pour trouver un chauffeur/assistant en vue d’une
tournée dans les états du sud, accompagné d’un violoncelliste et d’un
contrebassiste. Tony Lip lui inspire confiance, il aura le job. Pourtant, ce
type mal dégrossi qui travaillait comme videur dans une boite de nuit de New
York, a quelques à priori sur les Noirs. Dans une scène, on le voit jeter à la poubelle,
dégoûté, deux verres dans lesquels avaient bu deux ouvriers Noirs venus bosser
chez lui.
« Green
book » c’est le nom d’un guide de voyages, avec une section pour les "negro travelers" en ces
temps de ségrégation. Toute star qu’il
est, quelques soit les courbettes dues à son talent, Don Shirley reste un
Nègre, et si on l’invite à de prestigieuses réceptions où le gratin local s’émoustillera
à l’entendre jouer, ben pour aller pisser, le virtuose, il ira dehors, au
fond de la cour… A Birmingham (Alabama) on lui refuse une table de restaurant,
là même où des centaines de convives se délectent d’entendre sa prestation.
Autre scène, où son hôte va servir en son honneur du poulet frit, parce que ça
mange quoi d’autre les Noirs ?
Ce
qui nous vaudra une scène humoristique, où Tony Lip apprend à Don Shirley à
bouffer son poulet KFC avec les doigts, parce que c’est comme ça que c’est meilleur !
En fait, l’opposition entre les personnages tient moins - à mon sens - à leur couleur de peau (et non pas "race" car les humains sont tous de la même race...) qu’à leur classe sociale. Don Shirley est éduqué, cultivé, maniéré, le
costard toujours impeccable, comme sa diction, son vocabulaire. Tony Lip est
brut de décoffrage, honnête, on le paie il fait le boulot, et s’empiffre à longueurs
de scènes (Viggo Mortensen a pris 30 kg ?!!), il gagne le concours de plus
gros mangeur de hot-dog, 26 en une heure.
Don Shirley est accablé par la pauvreté stylistique des lettres que Tony envoie
régulièrement à sa femme, et va à la manière de Cyrano de Bergerac, lui servir
de nègre (« merci pour les lettres » le remerciera discrètement Dolores, pas dupe une seconde). Tony,
lui, va lui apprendre les rudiments de la culture populaire, et notamment la
musique. Tony n’en revient pas qu’un musicien Noir ne connaisse pas Aretha
Franklin ou Little Richard ! Jolie
scène dans un juke-joint, où Don Shirley s’installe au piano pour quelques virtuosités
classiques, avant d’être rejoint pour un groupe de blues, et balancer un
boogie-woogie !
La
BO du film est une petite merveille, du R’n’B 60’s, ce qui invariablement nous fait penser au cinéma de Martin
Scorsese, patchwork musical et italo-américains… La comparaison s’arrête là,
car question mise en scène, Peter Farrelly la joue très académique, c’est propre,
joliment photographié, reconstitution impeccable, mais ça manque un peu de
personnalité. Est-ce parce que Nick Vallelonga (le vrai fils de Tony) est co
scénariste et co-producteur, qu’on a un film finalement assez lisse, sans
aspérités ?
Rappelons
que Peter Farrelly est le frère de Bobby, avec qui il a commis quelques-unes
des comédies les plus drôles et bien trash du cinéma US de ces dernières
décennies, DUMB AND DUMBER, MARY A TOUT PRIX, DEUX EN UNS, LA FEMME DE MES RÊVES…
On
ne ressent pas d’animosité entre le maître et son chauffeur. Quand Don Shirley est coincé par la police
dans des douches publiques, à poils avec un jeune blanc-bec... Tony lui dit, blasé :
« Dans mon boulot - les boites newyorkaises - j’en ai vu d’autres… ».
Et c'est tout ? Cet aspect n'est pas développé, alors pourquoi le balancer comme ça entre deux portes ?
Ce
qui fait le plaisir du film, ce sont les deux acteurs, Viggo Mortensen (un
danois qui joue un italien !!) impressionnant, imposant, le mec quand il
menace de cogner, on obtempère ! Et Mahershala Karim-Ali au maintien
impeccable, rigide et fragile à la fois, son personnage est en réalité très
seul, qui noie son blues dans une bouteille de Cutty Sark contractuellement
déposée dans sa chambre tous les soirs. On aurait aimé que Farrelly développe
un peu de ce côté-là, ce pianiste virtuose sans cesse humilié par sa couleur de
peau, mais qui peut avoir Bobby Kennedy au téléphone en pleine nuit en cas d’arrestation
frauduleuse par des flics racistes.
On
remarquera deux scènes où les flics arrêtent la voiture, dans le Sud ça se
termine en taule, en chemin vers New York, c’est le flic qui aide à changer une
roue crevée. Un peu schématique ?
GREEN
BOOK est un joli film, qui suit un schéma narratif convenu et ne fouille sans
doute pas assez les caractères, mais qui ne se dresse pas en étendard de la
cause (comme le BLACKKKLANSMAN de Spike Lee), préférant les chemins de
traverses, dire les choses simplement, humblement, ce qui au final, s’avère
tout aussi efficace.
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