mercredi 14 novembre 2018

RIP Deborah COLEMAN (3/10/1956 - 12/04/2018), by Bruno


   
       Deborah Coleman s'est éteinte le 12 avril dernier, dans l'indifférence générale. Ou presque. Visiblement, seuls certaines revues et autres blogs spécialisés dans l'idiome des douze mesures, lui ont rendu un dernier hommage.
Certes, cela faisait des années qu'elle n'avait plus rien  enregistré et composé. Et dans ce monde d'intense consommation, on a tôt fait d'oublier un artiste qui n'est plus productif.

       L'histoire de Deborah Coleman commence à Portsmouth, en Virginie, où elle voit le jour le 3 octobre 1956. Bien qu'étant dans une famille de militaires, la musique a toujours fait partie du quotidien des Coleman. Avec un père et une sœur pianistes, et deux frères guitaristes, difficile de passer à côté. Elle-même apprend les premiers rudiments de la guitare à l'âge de huit ans. A l'époque, elle est bien moins attirée par le Blues que la Pop. Elle a notamment une préférence pour les Monkees. Normal pour son âge. Immergée tôt dans la musique, elle est attirée par une carrière professionnelle, et dès ses quinze ans monte sur scène accompagner diverses formations de Rock et de Rhythm'n'Blues à la basse. Un instrument qu'on lui aurait imposé. Mais il est plus probable que c'était alors simplement la seule place disponible.
Cependant, si pendant plusieurs mois son rôle de bassiste lui convient, à partir du moment où elle a été irradiée par la fabuleuse comète "Jimi Hendrix", elle rêve d'arpenter la scène en tant que guitariste soliste. Auparavant, il y a eu la claque "Beatles", ainsi que celle de "James Brown". Depuis la découverte du gaucher de Seatlle, sa curiosité l'a amenée à s'intéresser de près à Cream, à John Mayall, à Fleetwood Mac, puis Joe Cocker et même Led Zeppelin. Ce qui est loin d'un Blues pur et dur, et loin de l'image d'Epinal de la musicienne Afro-américaine à l'aube des 70's. Même pas un groupe américain, à l'exception de Jimi. C'est donc vers vers le Blues-rock qu'elle s'oriente, en intégrant un power-trio.

       Il faut attendre l'an 1977, pour qu'elle fasse son épiphanie. C'est en se rendant à concert qu'elle juge mémorable où se côtoient John Lee Hooker, Howlin' Wolf et Muddy Waters (!), qu'elle a une révélation. "Je n'oublierai jamais ce concert !" dixit Deborah Coleman.
Elle remonte alors aux racines du Blues-rock, faisant la découverte des pionniers, des pères fondateurs.

       A 25 ans, une suite d'évènements vont la contraindre à arrêter sa carrière. Elle se marie et une maternité suit rapidement. Hélas, elle découvre que son mari a un comportement immature, et en conséquence préfère divorcer et s'occuper seule de sa fille. Elle jongle désormais avec les petits boulots afin de subvenir aux besoins de la petite famille.

   Cependant, sa passion ne la quitte pas pour autant, et elle ne résiste pas à remonter sur scène. La première fois en 1985. Sa fille maintenant plus grande, elle parvient à s'organiser pour assumer son rôle de mère, un emploi alimentaire (elle alterne entre différentes professions dont les plus longues sont infirmière et électricien) et la musique. Elle rejoint Moxxie, une formation Rock et 100 % féminine. En 1988, elle rallie un trio, The Misbehavin, où elle renoue avec des expériences plus centrées sur le Blues. Après d'incessantes tournées, elle prend une décision pour le moins atypique : elle arrête les tournées pendant près d'un an pour partir à la rencontre des musiciens de Blues, les observer sur scène, et apprendre d'eux. Lors de ce périple éducatif, elle fait la rencontre de Lonnie Brooks et de Koko Taylor.

       Il faut attendre 1993 pour la voir se produire en solo. Elle recrute des musiciens pour se préparer en vue de se présenter au "National Amateur Talent Search". On raconte que sa prestation fut historique et que le jury et la foule furent conquis. Elle remporte le premier prix. Rassérénée, elle fonde un groupe fixe et se lance dans une carrière solo.
Grâce à ce tremplin, dont le premier prix comporte des journées de studio offertes,elle enregistre un premier disque sous son nom : "Taking A Stand" chez New Moon Records. Une carte de visite qui lui ouvre de nombreuses portes dont celle de Blind Pig Records, chez qui elle va enregistrer quatre disques dont un live.
Généralement, il est admis que cette période, sous l'égide du label indépendant à la tête de cochon rose à lunettes noires, est sa meilleure. Le label français Dixiefrog en distribua deux ; "Where Blues Begins" et "Livin' On Love").

     La qualité de ses prestations scéniques font qu'elle est souvent sollicitée pour les festivals, et les gérants de club dédié au Blues et consorts lui ouvrent grand leurs portes.

     Néanmoins, en dépit de son indéniable talent, de musicienne et de compositrice (elle compose les 3/4 de son répertoire), elle témoignera des difficultés à s'imposer en tant que femme ; témoignant d'une scène Blues encore bien ancrée dans un machisme primaire, où il est nécessaire de redoubler d'effort pour imposer le respect aux collègues masculins. A ce sujet, la remarque de James Peterson (le père de Lucky) lui resta en travers la gorge : "C'était super ! Mais t'es une fille. Si tu pouvais juste mettre une mini-jupe, ça ne serait pas mal" (1)

        Son style se situe au carrefour du British-blues et des bluesmen de la fin des années 60. La fougue d'un Albert Collins et la finesse d'un Magic Sam couplée à l'expressivité d'un Peter Green. Elle incorpore parfois quelques inlexions jazzy.
On peut noter deux reprises d'Albert Collins de très bonne facture"If You Love Me Like You Say" et de "", alors que le style singulier du Texan n'est pas facile d'accès.
C'est dans les moments où elle semble ressuciter l'esprit du British Blues, - volontairement ou pas - en particulier celui de Fleetwood Mac (époque Peter Green) qu'elle paraît être la meilleure.  Excellente guitariste, elle est capable de jouer de longs soli sans lasser. Son style de guitare est assez robuste, pour ne pas dire carrément viril. Elle clame d'ailleurs que si elle a appris à chanter en écoutant des femmes, c'est des hommes qu'elle apprit à jouer. Ses soli ont du vocabulaire. Ils sont soit chantant, soit rythmés, dans le prolongement du morceau.
Sans avoir la nécessité de faire dans la pyrotechnique et la démonstration pour briller, elle se place parmi les meilleures guitaristes féminines du Blues-rock.
   A ce titre, en 2001, le Orville Gibson Award lui décerne le titre de "Best Blues Guitarist, Female" de l'année. Tandis que le magazine américain Guitar Player l'a incluse en janvier dernier, dans la liste de son "50 Sensational Female Guitarists". Et en matière de gratification, elle a été nommé à dix reprises par les W.C. Handy Blues Music.
    Avec Joanna Connor, elle a ouvert la voie à d'autres consoeurs dans un monde encore grevé par le machisme.

     En 2004,elle quitte le cochon aveugle pour Telarc, puis JSP en 2007. Bien que dans l'ensemble assez bons, ces deux derniers disques ont perdu en consistance.
       Étonnamment, à partir du moment où elle intègre l'écurie du label Allemand Ruf Records, qui se fait pourtant le chantre du Blues au féminin, elle n'enregistre rien sous son seul nom. En 2007, sort "Time Bomb" en collaboration avec Sue Foley et Roxanne Poitvin. Intéressant mais disparate. Puis l'habituel témoignage de la tournée commune annuelle baptisée "Blues Caravan". Avait-elle perdu l'inspiration ? Après de bien longues années à s'être battu contre l'adversité, avait-elle fini par baisser les bras ? Un simple et juste besoin de se poser, de se reposer ? De s'offrir le luxe de faire le farniente ? Ou la lassitude l'avait-elle gagnée ? Poussée par la déception de n'avoir jamais vraiment rencontré un grand succès ? D'autant plus que le départ de Blind Pig Records semble avoir été une erreur.
La concurrence du Blues au féminin n'ayant jamais été aussi rude, et aussi fournie, elle a été supplanté dans les esprits, par une bande de jeunes donzelles talentueuses avides de faire leurs preuves.

     Elle décède le 12 avril 2018, à l'âge de 61 ans, de complications d'une bronchite cumulée à une pneumonie. Et, peut-être aussi d'un système de soins et protection sociale américains déficients.

     S'il y avait qu'un disque  de la dame à posséder, ce serait son unique live, "Soul Be it !". Un témoignage brut de son talent. Son chant, un tantinet timide et à l'accent traînant se libère un peu plus sur scène. Quant à l'orchestration, et plus particulièrement sa guitare, jamais elle n'est prise en défaut. Par rapport aux versions studio, les morceaux prennent un peu plus de vigueur, de poils aux pattes (si l'on peut dire), et même lors des soli les plus longs, elle a toujours quelque chose de tangible et d'intéressant à exprimer.
 Manifestement, c'était son élément.

(1) Source : "Buried Alive in th Blues" de Doidy Eric.


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4 commentaires:

  1. Mince!! je ne savais rien de sa récente disparition. Guitariste de talent, j'aimais aussi beaucoup son chant qui possédait un timbre bien particulier. Quand à sa discographie j'ai un faible pour l'album "What about love" avec notamment le titre instrumental "The Wild River". Effectivement on peut se demander si le système de santé cher à Donald ne l'ai guère aider. Très triste, une vraie Blues-Story.

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    1. "What About Love" fait partie de ses meilleurs albums studio. Avis largement partagé.
      Effectivement, son périple aurait de quoi alimenter un sympathique biopic. A mon sens, on ne relève pas suffisament le courage des femmes lorsqu'elles doivent conjuguer une maternité avec un travail - artistique ou pas -. Et bien sûr la présence et l'éducation auprès des enfants. Les femmes restant généralement bien plus présentes que les hommes dans ce rôle.
      Quant au système de santé américains, malheureusement, il ne date pas d'hier. Comme le dit Timsit dans un de ses sketchs, "en Amérique, le médecin te fait un diagnostic en une minute ... : il appelle ta banque. Pas d'argent ? T'es pas malade ...". "C'est le rêve américain" ...

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  2. Merci Bruno, j'ignorais aussi sa disparition...."what about love" est son meilleur studio ? Je vais aller voir cela de plus près. D'elle je n'ai que le Blues Caravan de chez RUF

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    1. Les avis divergent, cependant, généralement, c'est la période "Blind Pig" (majoritairement relayée par Dixiefrog dans l'hexagone) qui récolte le plus d'avis favorables.

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