lundi 19 novembre 2018

CHLOÉ de Atom Egoyan (2009) - par Claude Toon



Chloé rencontre Catherine...
Tourné en 2009 Chloé est un remake US du film Nathalie d'Anne Fontaine de 2004. On peut épiloguer à propos des adaptations de films français à Hollywood qui ne seraient que des pâles copies des originaux, ou l'inverse. Je n'entrerai pas dans cette polémique, même si j'avoue n'avoir résisté qu'une demi-heure devant la production d'Anne Fontaine. Une réaction tout à fait subjective et qui peut sembler inattendue de ma part car, en général, j'aime les films de cette réalisatrice. Je m'en expliquerai à la fin. J'avais consacré un article à Perfect Mothers dans lequel Anne Fontaine filmait les liaisons dangereuses entre des êtres à la psychologie et à la sexualité tourmentées, en l'occurrence des chassés-croisés amoureux entre deux amies d'enfance quadragénaires et leurs deux fils devenus de jeunes adultes aux corps d'Apollon. Psychanalyse provocante, huis-clos au bord d'une mer paradisiaque, d'après un roman du prix Nobel Doris Lessing. Troublant et fascinant, bien accueilli par les critiques "officiels" et le public. (Clic)

Nota : Wikipédia raconte Nathalie de A à Z ! Le scénario de Chloé reprend la même trame principale mais avec de grandes libertés, donc ne pas se laisser influencer… La fin est totalement différente. Non Sonia, pas de spoiler…


Premier assaut. Attention au sucrier, il a un petit rôle...
Catherine Stewart (Julianne Moore) exerce la gynécologie dans les beaux quartiers, une quadragénaire à qui tout sourit en apparence : du fric, une maison d'architecte, des amis BCBG, un fils adolescent assez stable et excellent pianiste ; un futur bon prétendant pour Harvard. Catherine est mariée à David (Liam Neeson), un professeur d'université en musicologie. Grand, brillant, bel homme aimé de ses élèves, David semble le prototype de l'enseignant séduisant (peut-être séducteur) qui fait frissonner d'un désir "coupable" certaines étudiantes. Catherine en a conscience. Dès les premières scènes, la frustration de l'épouse est palpable. La bagatelle effrénée de leur jeunesse est loin, très loin. Ombre au tableau décevante dans l'apparente réussite conjugale et sociale de ce couple nanti.
Catherine organise l'anniversaire de David sans compter la note ni le nombre d'invités. Un coup de fil : David ne sera pas de la fête. En déplacement, il a raté son avion… David a de toute façon horreur de ces mondanités. La peste du doute contamine ainsi dans l'esprit d'un naturel anxieux de Catherine. Retard aérien réel ou dîner avec une jeune beauté suivi de… ? Un couteau a-t-il déchiré le rideau de la fidélité comme règle de bienséance chez les Stewart. Catherine s'interroge, voit des maîtresses potentielles et concurrentes partout, y compris une simple serveuse de restaurant que David ne traite pas en esclave. Catherine ne situe plus la frontière entre la courtoisie naturelle de son mari et des tentatives de séductions.
De son cabinet, Catherine observe dans la rue les allés et venus actives d'une très jeune femme blonde, d'une beauté hypnotique et dotée d'une garde-robe hors de prix. Des hommes mûres l'accompagnent, ou plutôt se succèdent à ses côtés : quinquagénaires habillés Gucci et chaussés Armani, genre sénateurs, banquiers, avocats… Une escort-girl de luxe à l'évidence. Catherine la rejoint, l'air de rien, dans un snack lors d'une "pause" de la jeune fille et l'entreprend "par hasard". Juste la causette. La ravissante gigolette s'appelle Chloé Sweeney (Amanda Seyfried). Catherine lui confiera une mission très étrange, celle de détective privée du sexe : tenter, à l'aide de sa plastique digne d'un Botticelli et de son charme énigmatique, de tester la fidélité de David. Intriguée mais professionnelle, Chloé accepte… Elle fera ses comptes-rendus régulièrement : des avances jusqu'à l'éventuelle tromperie ? Quelles seront les révélations de cette expérience ?  Trahison accomplie par David ? Affabulations polissonnes d'une Chloé amusée par la parano de Catherine ? Voilà l'enjeu du film.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Chloé a le sens du récit, réel ou imaginaire ?
Le film se concentre sur la relation ambiguë entre Catherine et Chloé. Catherine (fabuleuse Julianne Moore) croit manipuler Chloé comme un espion au corps de rêve. Corps de rêve à ses yeux aussi, jusqu'à la fascination. Autre sujet de fascination qui devient une forme de voyeurisme, de jouissance onirique : les récits croustillants de l'adultère consommé, a priori, bien rapidement dirait-on pour un homme dont le sexe ne semblait plus la priorité première. Catherine écoute sans douter, gagnée par la haine. Étrangement, les témoignages l'émoustillent, la rapprochent de Chloé. Un transfert disent les psys. Catherine, si prude, au point de "pourrir" son fils de 17 ans comme un gamin de 10 ans, parce qu'il a passé une nuit coquine avec une minette de son âge, voit ses certitudes sur la nature taboue du sexe bien bousculées…
Tourné à la manière d'une pièce de théâtre, Chloé adopte cependant le style du thriller érotisant avec subtilité. C'est rare. Atom Egoyan enferme ses personnages et leurs fantasmes dans trois lieux essentiels : le cabinet de gynécologie, un snack ou un restaurant chic et le luxueux pavillon familial. Le décorateur a créé une maison immense, glacée ; des murs blancs, du métal, aucune chaleur. Les scènes se déroulent souvent dans les couloirs où les personnages se croisent comme s'ils étaient devenus des inconnus. La chambre conjugale sera entrevue, on y couche, mais en ayant perdu l'art d'aimer.
Le rythme est intense, mais pas de frénésie ni de plans de deux secondes, mode insupportable du cinéma de notre temps. La direction d'actrices au cordeau se veut nerveuse, à l'image du comportement des deux femmes. Amanda Seyfried n'a que 23 ans lors du tournage de ce rôle difficile. Un premier rôle d'importance. Elle reconnaîtra devoir beaucoup à Julianne Moore qui la guidera pour créer son personnage trouble, notamment lors de scènes de nudité d'un réalisme plus pictural que licencieux. Chloé prendra conscience qu'à travers ces marivaudages diaboliques, on achète son corps de nymphe comme un article de boutique de luxe, ses sentiments ne font pas partie du lot, un unique objet de désir qui là, n'a rien d'obscur. Liam Neeson, à 55 ans, est l'acteur de la situation. Un acteur chevronné, bien servi pour le rôle par sa haute taille, sa prestance, son habitude des rôles d'officiers, de professeurs, et même de chevalier chez John Boorman (Excalibur), des atouts pour crédibiliser une masculinité paternaliste qui peut rassurer une midinette déçue des teen-agers irresponsables. (Maggy Toon est séduite, quant à moi, j'avoue, heuuu, j'en pince pour Amanda… Un point partout, pas de conflit 😃)

Chloè ? prisonnière ou manipulatrice ?
Peu amateur de comédie de mœurs, j'avoue que les affres sentimentaux de mes contemporains et que les personnages obnubilés par leurs problèmes de libido m'indiffèrent totalement (Jeune et Jolie de Ozon – une déception de la part de ce réalisateur), je me suis retrouvé piégé à partager ce conte vénéneux. En cause, l'interprétation sans hédonisme, la photographie de grande qualité, la brièveté du film qui évite les redites et intensifie une narration qui pourrait évoluer en une tragédie grecque si…
Nathalie m'avait donc agacé dès le début par un casting inadapté à mes yeux. Fanny Ardant, trop pimbèche et parisienne pour ourdir ce plan bizarre, Gérard Depardieu, homme d'affaire si loin du Gégé viril des valseuses, déjà ventripotent et bien peu attirant pour une jeune beauté. Certes Emmanuelle Béart est belle mais trop hautaine à mon goût, la pseudo classe vestimentaire et la vulgarité verbale de l'entraîneuse de cabaret se mariant mal. Le choix initial de Vanessa Paradis aurait apporté du piment au film grâce à la pétulance de l'actrice. Mais elle attendait un heureux évènement…

Les deux films ont divisés le public et les critiques. J'ai aimé, et le film et le personnage de Chloé, jouet pas innocent bien entendu, mais jouet d'adultes plutôt détestables d'une classe bourgeoise qui pense que tout s'achète, même les corps et les âmes. Atom Egoyan conduit son histoire de mœurs libertine vers la critique d'une certaine Amérique qui vit au rythme des dollars échangés.

Couleurs - 1,85:1 - Dolby Digital - 35 mm – 1H30



1 commentaire:

  1. J'avais plutôt bien aimé ce film, élégant, raffiné et vénéneux (comme souvent chez ce metteur en scène, sans pour égaler Verhoeven). J'ignorais qu'il était le remake de "Nathalie" (je n'ai pas vu le film d'Anne Fontaine).

    RépondreSupprimer