- hihi
M'sieur Claude, la musique de Chausson doit s'écouter en pantoufle, avec vos
charentaises…………… Oui bon, c'est nul ! Inutile de prendre cet air pincé…
- Je vous
charrie Sonia, mais cette vanne est vraiment usée. Je reviens cette semaine à
la musique de chambre avec ce mini concert(o) pour six instruments…
- J'aime la
musique légère… Vous avez déjà parlé de ce compositeur français. Sa symphonie
présentée comme essentielle dans le répertoire français… uniquement ?
- Non trois fois Sonia !
Mais le catalogue de Chausson est maigre. 39 œuvres en tout et pour tout pour
un compositeur exigeant et de plus mort d'une chute de vélo à 44 ans…
- Triste, il
ne devait pas porter de casque… Ah oui, exact, je vois que vous avez déjà
consacré trois chroniques à ce monsieur… Je ne me rappelle plus trop le genre…
- La musique
de Chausson est de la trempe de celles de Debussy, Fauré ou encore Franck, vous
allez aimer à tous les coups !
Ernest Chausson, Edgar Degas et Claude Debussy |
J'ai découvert sur le tard cette œuvre atypique d'Ernest Chausson. Soyons tous sincères
entre mélomanes débutants ou "confirmés", Chausson reste un compositeur
discret dans le patrimoine français, et ce peu connu sextuor ou concert(o) ou symphonie
de chambre ou etc. témoigne de notre méconnaissance collective.
La photo ci-contre aurait été prise entre 1890 et 1899 à mon sens. Ce sont les barbes et le léger embonpoint de Chausson qui me font émettre cette hypothèse.
Je l'aime beaucoup cette image bucolique car elle réunit trois acteurs du
renouveau artistique français en cette fin du XIXème siècle.
Au centre du groupe de barbus : Edgar
Degas, l'un des premiers impressionnistes, né en 1834. Si les innombrables tableaux représentant les danseuses de
l'opéra ont concouru à sa célébrité en tant que peintre, sa vue diminue en ces
années-là et l'artiste va s'adonner à l'art du pastel qui va me permettre d'illustrer
à merveille par leur légèreté diaphane la poésie du Concert de son ami Chausson. Chausson,
élève de Franck, admirateur de Wagner ; je vais y revenir. Chausson né en 1855 ami de Debussy,
le plus à droite, qui n'adhère à aucune école, franckiste ou autres. Debussy, une école à lui tout seul. Ici le
benjamin, né en 1862. En 1892, l'année de composition du Concert, il s’apprête à révolutionner l'art lyrique avec Pelleas
et Mélisande, l'opéra à contre-courant des productions
standardisées de Gounod, Massenet,
ouvrages de qualité certes, mais pas très aventureux sur la forme. Debussy
devient adepte des gammes tonales, tandis que Chausson,
en wagnérien qu'il est, va enrichir sa musique de chromatisme…
Trois amis donc réunis sur ce cliché qui évoque une
scène impressionniste qui fait penser à des tableaux comparables, telles les toiles de Gustave Caillebotte peignant les loisirs nautiques. Ô, il y aura des tensions
entre Degas, antidreyfusard et des
amis qui ne le sont pas. Debussy
n'aura pas d'avis sur l'Affaire. Debussy
est apolitique. Debussy a, dirait-on, un égo
qui l'éloignait de tout cela… Mais pour l'instant, ces hommes bousculent l’évolution un peu assoupie de arts depuis la fin du second Empire…
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Jennifer Pike, Tom Poster & le Quatuor Doric : Alex Redington et Jonathan Stone : violons, Simon Tandree : alto, John Myerscough : violoncelle |
Pour contredire l'impression de Sonia, Ernest Chausson apparaît trois fois dans
le blog. Et cet article va venir achever la série de commentaires sur ses
ouvrages les plus essentiels : La symphonie en si bémol (Clic), le très joli poème pour
violon (Clic) et le surprenant par son ambition Poème de
l'amour et de la mer pour voix et orchestre (Clic), une œuvre qui inspirera
le final du chant de la terre de Mahler.
(Rien de moins !)
La biographie du compositeur est bien détaillée dans
l'article consacré à la symphonie. Juste pour rappel, ce
fils de famille qui s'est enrichie grâce aux travaux entrepris par le Baron
Hausmann n'aura jamais besoin de travailler pour vivre. Dès sa jeunesse, il se
passionne pour la peinture et la musique. Cette dernière va l'emporter pour
guider le destin du futur compositeur autodidacte. Il fréquentera un temps la
classe de Jules Massenet
de 1878 à 1881, tout en composant déjà des pièces de musique de chambre.
Il fréquente assidument le festival de Bayreuth, temple de Wagner. Il assiste à la création de Parsifal,
une expérience qui marque profondément un jeune homme peu enclin à se soumettre
à l'académisme des opérettes à la française. Il rejoint la Société nationale de musique créée par Saint-Saëns et se rapproche de César Franck.
En complicité avec Vincent d'Indy, Il poussera
à la démission Saint-Saëns de la présidence
en 1886. La bonne vieille querelle
entre les admirateurs du renouveau et les tenants du classicisme, les anciens
et les modernes, etc. Il devient secrétaire de la Société et fréquente Debussy, Dukas et
de nombreux peintres…
N'ayant pas à travailler sur commande, Chausson peaufine et prend son temps. Il
travaillera neuf ans (1886-1895) sur son opéra Le Roi Arthus… Auteur du livret et de la musique, ce perfectionniste délaisse trop les autres genres, ce
qui explique que son catalogue soit si restreint. Les mauvaises langues
diraient "tout ça pour ça",
l'opéra sera joué une seule fois et de manière posthume en 1903. Il a été repris en 2015
à l'Opéra Bastille avec Roberto Alagna…
Chausson compose le
Concert opus 21
et de la symphonie
opus 20 en parallèle entre 1889
et 1891. La symphonie rencontre un
vif succès lors de sa création. Même réussite pour le concert dédié au violoniste
virtuose belge Eugène Ysaïe. L'œuvre est créée de fait à Bruxelles en 1892. Un chanceux, rien n'était gagné à
l'époque en termes de réception positive d'œuvres nouvelles par le public…
Chausson avait
l'esprit cocardier. Au titre italien concerto (ce que cette musique n'est
pas), il préfère le très français concert. Couperin avait déjà utiliser ce titre. La forme est inusitée : un
piano et un violon solistes accompagnés par un quatuor à cordes classique. Une
instrumentation unique pour un sextuor ; seul Mendelssohn
avait fait preuve d'une imagination similaire avec son sextuor opus 110 : piano, violon, deux altos, un
violoncelle et une contrebasse. Une œuvre de jeunesse peu connue qui ne sera
publiée qu'en 1868. Enfin peu connue
sauf si vous lisez l'article consacré à cette curiosité (Clic).
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J'ai retenu pour l'interprétation écoutée ce jour celle
de jeunes artistes anglais.
Jennifer Pike n'a que
23 ans lors de l'enregistrement de juillet 2012 de ce Concert.
23 ans, mais 15 ans d'exercice du violon derrière elle. À dix ans, elle joue à Covent Garden devant le prince Charles ! Sa discographie pour le label british Chandos comporte des sonates et des concertos
pour de grandes pages célèbres, de Mendelssohn
à Sibelius, mais aussi des œuvres moins bien
servies au disque comme le concerto pour
violon de Miklos Rozsa
signataire de la B.O. du Ben-Hur de William Wyler.
Jeune trentenaire lors de la gravure de ce CD, le
pianiste et compositeur Tom Poster
a commencé sa carrière à l'âge de 13 ans. Soliste ou accompagnateur, l'artiste
est l'un des piliers des programmes de Radio 3, l'équivalent de Radio-France classique
outre-manche. Il a enregistré avec Jennifer Pike
des sonates de Dvorak, Janáček
et Suk, CD Chandos plébiscité mais bien
rapidement disparu du catalogue. Dommage pour le programme qui sort des
sentiers battus ! (On peut écouter l'album sur Deezer mais les noms des
compositeurs ne sont pas mentionnés ! Débile…)
Fondé en 1998,
le Quatuor Doric a acquis une notoriété par
une qualité rare : une justesse absolue. Pour ce disque, l'alto est tenu par Simon Tandree. Depuis, c'est l'altiste
française très prometteuse Hélène Clément
qui occupe ce pupitre. Leur répertoire est vaste mais Haydn,
Korngold et Janáček
semblent privilégiés dans leur parcours discographique.
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1 - Décidé – calme – animé : Trois accords
en octave, "décidés" jaillissent ff
au piano. Décidé est bien le mot, il est écrit au-dessus des portées… Un motif
repris une seconde fois en complicité avec le violoncelle et l'alto, staccato.
Une autre précision sur la partition : "Moins vite". Chausson s'impose ces précisions en
français, très explicitement. Cette double exposition sent bon le double motif
vaillant de la 5ème
symphonie de Beethoven
(Le destin frappe à la porte). Cette courte phrase ressurgira à tout instant
dans l'œuvre. Un leitmotiv ? Pas au sens wagnérien du terme car il n'est pas
lié à un sentiment, un concept dramatique ou encore un trait psychologique
précis d'un personnage comme dans les opéras de Wagner.
On le retrouve comme point de départ de développements ; je ressens le
mouvement plutôt comme une suite de variations d'esprits très divers que comme
une structure de forme sonate classique. Une longue phrase poétique énoncée par
le quatuor va conduire à une redite de ce leitmotiv, mais avec douceur. [1:10] Le
piano anime un jeu ondulant d'arpèges ascendants et descendants en opposition
avec des tenues en valeurs longues du quatuor, une mélopée. Climat mystérieux
et contrasté, teinté d'un impressionnisme proche de celui des quintettes de Gabriel Fauré. [1:52] Après une accélération
du flot orchestral, le violon fait son entrée, imposant sa thématique lyrique. Rupture
de tempo, affrontement entre instruments, poésie avec un soupçon de pathétisme
: l'univers épique voulu par Chausson
se développe avec un sens aigu de la surprise et de la fantaisie.
Fasciné par les sonorités mystérieuses voire oniriques, Chausson écrit une partie de
piano noire d'altérations chromatiques (à la manière de Wagner, on l'aura deviné). Une musique où
l'on ne doit pas par ailleurs chercher une architecture très structurée et contrapuntique,
non, on doit plutôt se laisser bercer. On apprécie ici l'équilibre assuré entre les six
instrumentistes dans cette œuvre qui peut donner libre court à des artistes
prompts à tirer la couverture à eux… [13:24] Au violon de conclure par une ascension délicate dans l’extrême aigu alors que les cinq comparses instrumentaux semblent prendre congé. Merveilleux !
2 – Sicilienne
- Pas vite : [14:59] pas de scherzo mais une sicilienne, une danse
traditionnelle italienne jouée ici très calmement. Une pause après le passionné
et souvent nostalgique premier mouvement. Un passage bref, rythmé par des pizzicati.
La musique se balance avec élégance, un moment de bonheur sous le soleil
radieux d'une partie de campagne ?
3 - Grave - un peu plus vite : [19:18]
Ce mouvement lent élégiaque offre la part belle à une mélodie aux accents
nostalgiques chantée par le violon, violon soutenu par des suites d'arpèges quasi
obsessionnelles au piano. À la lecture de certains commentaires, on semble écouter
un requiem lugubre. Bizarre… Certes, ce n'est pas la fête pastorale, mais la
musique reflète plus la méditation que la lamentation. Est-ce un choix
interprétatif ? Je ne pense pas. Le style est celui d'une marche crépusculaire.
Chausson n'a pas complètement tourné le
dos au romantisme. Ô bien sûr l'introduction laisse planer bien des
interrogations. Une méditation disais-je, assurément mélancolique mais en rien
lugubre. [22:01] Le développement central paraît plus tourmenté, mais la nostalgie
domine le drame. Dans cette interprétation, la mise en relief de la beauté
plastique diaphane des mélodies et la technique concertante ensorcelante ne poussent pas au chagrin,
le discours bouleverse de par sa limpide sincérité…
[26:04] le violon incisif initie une coda, elle, réellement pathétique avec ses inquiétants
arpèges descendants du quatuor. Commencer dans un univers encore confiant,
le mouvement lent se termine dans la douleur… Le rapprochement entre l'atmosphère sombre de ce mouvement et celle tout aussi grave du quintette de Franck (1880) me semble légitime (Clic).
4 - Final - très
animé – très vif - Plus large – plus animé : Après ce mouvement lent
terminant dans les ténèbres, Chausson
apporte une folle gaité au final de son Concert. Le piano fait voltiger les
notes lors des premières mesures. Le dialogue s'anime entre les six
instruments, une joute presque symphonique. [31:18] Une seconde idée moins
endiablée émerge de cette orgie instrumentale. Piano et violon conversent sous la
ramure. Comment ne pas penser à l'amour de Chausson
pour la peinture de son temps, le déjeuner sur l'herbe de Manet et d'autres tableaux colorés de dimanches dans les guinguettes
mettant en scène jolies midinettes et élégants coiffés de canotiers… [33:26] Le
traitement saccadée et jouissif du jeu des cordes en complicité avec le piano
préfigure les audaces du XXème siècle. Chausson
le visionnaire… On entendra [35:03] le motif de trois accords initial resurgir
plusieurs fois, transformé, pétri au gré des pensées les plus facétieuses. Le
mouvement s'achève en un tourbillon d'une grande virtuosité, presque avec
férocité.
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Le disque Chandos
est complété par le quatuor inachevé. On appréciera la jeunesse ludique de
l'interprétation. Sinon :
En 1983 : un
casting haut de gamme a gravé pour CBS
cet ouvrage. Un CD sans complément, pas top car le Concert ne dure que 40
petites minutes… Au clavier : Jorge Bolet
(Clic),
au violon : Itzhak Perlman (Clic)
et le quatuor Julliard. Contrairement
aux sottises lues sur Amazon, la prise de son est large et aérée, le quatuor
offre un écrin aux solistes, les timbres sont soyeux. Une force romanesque
émane de cette interprétation musclée et toute en nuance (CBS – 6/6), toujours disponible.
Pour nos amis lecteurs qui prendraient le train du
Deblocnot en marche et souhaitent découvrir ou approfondir l'écoute de la
musique de Chausson, un double album
DECCA est pour eux, malgré la jaquette grotesque de la place de l'Étoile. Pfff
! (Tout le monde aura reconnu une reproduction d'une toile de Monet sur le CD Chandos).
Sur cet album sont réunis les must du compositeur : La
symphonie,
le poème pour
violon et le poème de l'amour et de la mer
chanté par François Le Roux, direction de
Charles Dutoit à la tête de "son
orchestre" de Montréal. Sur le second
disque : le quatuor
avec piano de 1897 et le Concert. Pascal
Rogé au piano, Pierre Amoyal
au violon et le quatuor Ysaïe. Une
interprétation enflammée du Concert (Deezer). (DECCA – 4 à 5/6)
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La vidéo du CD puis : un live d'une belle
interprétation sous la houlette de la violoniste Janine
Jansen en 2012. Bonne
vidéo, son un poil réverbéré…
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