- Petite confirmation
M'sieur Claude, Brahms a bien écrit quatre symphonies ? Donc avec cet article
vous bouclez le parcours symphonique de ce compositeur ?
- Oui tout à
fait Sonia ! Cet ensemble d'œuvres d'exception aura été intégralement commenté
avant ceux de Beethoven, Schumann, Bruckner, Mahler, et quelques autres…
- Le passage
que j'entends me semble très connu, on l'entend souvent : générique, pub,
adaptation par divers musiciens, un peu comme les grands thèmes de Beethoven…
- Ahhh
l'allegretto et sa mélodie élégiaque qui a fait le tour du monde, le leitmotiv
de Aimez-vous Brahms de Litvak. Une des plus attachantes trouvailles de Brahms
il faut dire…
- Günter Wand
a déjà été au centre d'un article du blog… Voyons… la 5ème symphonie
de Bruckner, une belle interprétation ici encore je suppose…
- Ah mon sens
oui… dynamique et robuste, sans chichi… Un bon choix parmi d'autres. Il faut savoir
Sonia qu'il doit exister des centaines d'enregistrements de cette symphonie.
Günter Wand (1912-2002) XXXXXX |
On trouvera difficilement un mélomane de notre temps affirmant
que Brahms reste un compositeur mineur voire médiocre.
Il suffit de consulter les programmes de la Philharmonie de Paris ou d'autres salles de concert pour constater
que pas une année ne se passe sans que soient données une ou deux symphonies
du compositeur allemand, si ce n'est le cycle complet des quatre opus.
Remarque que l'on peut appliquer aux trois concertos majeurs, deux pour piano,
et celui pour violon.
Il n'en a pas toujours été ainsi. Rappelons le livre
(1959) de Françoise Sagan adapté à
l'écran en 1961 "Aimez-vous
Brahms". Même si le sujet du roman ne repose sur aucune
interrogation musicologique, il témoigne des hésitations de nos compatriotes face
au début en France d'un compositeur mort depuis plus d'un demi-siècle et
sacralisé dans son pays. Notons au passage que Mahler
et Bruckner connaîtront également une
traversée du désert bien alimentée pas le "tout musique parisien"
entre la fin du XIXème siècle et les années 60. Même à la fin des
années 60 - période à laquelle l'adolescent que j'étais découvrait avec enthousiasme
cette musique vigoureuse, grâce au maestro Karajan
qui assurait à lui seul 50% de la vente des disques de musique symphonique – j'entendais
encore des remarques d'amis proférant des "Bof, orchestration confuse et lourde".
Hasard de la rédaction, me voici à l'assaut de la quatrième
chronique (et donc dernière) dédiée au groupe des quatre symphonies alors que Benoît Duteurtre, écrivain, musicologue et éditorialiste de la revue Classica, s'interroge sur ce mystère qui
a permis à Brahms de quitter l'anonymat et le mépris
pour le statut de 'Dieu de la musique
à l'égal de Mozart ou de Beethoven". Et l'écrivain pamphlétaire de
nous rappeler les avis cinglants de quelques têtes d'affiche française : Lalo "Un esprit inférieur. Son
invention est toujours insignifiante ou pastichée", Dukas
: "Lourd, germanique, beaucoup de bière dans sa musique", Ravel, homme mesuré, d'ajouter "Lourde et
pénible", quant à Debussy,
qui oui, aimait la concision : "Fuyons, il va développer". Il est vrai
que Brahms adore les variations, mais quand
même… Et enfin, dernière perle due à Florent Schmitt
(un peu oublié, lui) parlant desdites symphonies : "Il serait préférable qu'elles n'eussent
jamais vu le jour", ce qui pour moi aurait été bien frustrant,
les connaissant par cœur😊.
Brahms en 1883 |
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Ne revenons pas une fois de plus sur la biographie de Brahms. Un portrait du compositeur était
esquissé dès 2012 dans une chronique commentant les quintettes pour alto ou
pour clarinette. (Clic) On retrouvait aussi le jeune homme sillonnant à
pied les routes allemandes pour aller demander des conseils à Schumann, époque
qui verra la composition des sonates pour piano, trente ans avant l'écriture de
cette 3ème symphonie, un temps où Johannes (20 ans), apparaît séduisant
et sans sa barbe de prophète (Clic). Blague à part, nous avions déjà épilogué
sur la pusillanimité du compositeur à entreprendre la composition d'une
symphonie, trop intimidé par le géant Beethoven…
La 1ère
symphonie attend 1876 pour
voir le jour après des années de travail. L'homme a déjà 43 ans ! C'est un
succès considérable (mérité) et, encouragé par cet accueil, Brahms compose dès l'année suivante sa 2ème
symphonie, encore un tabac (Clic) et (Clic). Sept années vont s'écouler avant
qu'une nouvelle symphonie soit écrite en 1883.
On conteste souvent à Brahms
le statut de romantique au bénéfice de celui de postclassique… Mouais. En effet, sa musique
ne propose aucun programme descriptif (6ème de Beethoven) ou métaphysique voire mystique (Bruckner). Le maître s'en tient avec
bonheur au plaisir d'une musique pure, hors référence littéraire, à Goethe aux
poètes et aux philosophes. Vienne se partage en deux camps offrant ses faveurs
à Brahms a priori continuateur de la
tradition classique étendue à des formes plus élaborées. Pourtant la 3ème
symphonie sera surnommée "l'Héroïque" de Brahms. L'encre à peine sèche sur la
partition, on se chamaille l'honneur de la création. Hans
Richter l'emportera et lui donnera le surnom cité avant. Richter le chef qui ne prend pas partie,
créant autant les œuvres de Brahms
que certaines symphonies de Bruckner
dont la fort complexe 8ème de ce dernier. La
première en décembre 1883 emporte
l'adhésion immédiate sauf celle de quelques wagnériens siffleurs présents dans
la salle. Rigolo ces supporters des uns et des autres, comme au foot 😄 !
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On dénombre 150 enregistrements au bas mot de cette
symphonie. Nous écouterons pour la seconde fois Günter
Wand dans le blog. Ce chef disparu en 2002 représentait la grande tradition allemande mais avec un style
tranché sans hédonisme. La chronique consacrée à son ultime gravure de la 5ème symphonie
de Bruckner l'année de ses 84 ans (1996)
avait permis de découvrir ce chef expert du répertoire austro-germanique. Ce CD
réalisé à la Philharmonie de Berlin s'inscrivait
dans la 4ème intégrale brucknérienne du maestro ; la mort empêchera
le chef de l'achever. Quel panache. Wand
avait dirigé pendant trente ans l'Orchestre de
Cologne (1946-1975) puis celui de la NDR
de Hambourg comme successeur de Klaus
Tennstedt (1982-1990). C'est de cette époque que date
l'interprétation écoutée ce jour. (Clic)
On parle beaucoup des compositeurs mais peu des chefs
qui servaient leurs ouvrages. Sur la photo de 1889 ci-contre, trio de grandes
baguettes de l'époque. De gauche à droite : Hermann
Levi, ami de Brahms
à qui le pourtant antisémite Wagner
confiera sans hésiter la création du très christianisant Parsifal, Felix Mottl (créateur des Troyens
de Berlioz en Allemagne) et Hans Richter.
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L'orchestration est d'un classicisme quasi absolu : 2/2/2/2 +
contrebasson, 4 cors (2 en ut et 2 en fa), 2 trompettes en fa,
3 trombones, timbales et cordes. À noter pour ceux qui pensent que Brahms
orchestrait lourdement que dans le mouvement lent et le célèbre allegretto, la
plupart des cuivres et les timbales font silence.
1 - Allegro con brio (fa
majeur) : Trois accords en tutti notés f des
bois et des cuivres ! Intro tout à fait beethovénienne par son impétuosité. Les
cordes énoncent ou plutôt proclament le premier thème vers le public : un ressac tempétueux.
Brahms
songe-t-il à la mer du Nord proche de son Hambourg natal, ou à la longue introduction de son premier concerto pour piano, l'une des grandes réussites de sa jeunesse. Il est
toujours difficile d'attribuer des qualificatifs comme symbolique ou descriptif
à cette musique pleine d'élans et d'émois… Ô rien de dramatique, plutôt une fringante poésie, un hymne, mais à quoi ou à qui ? Peu importe, ça déménage… [1:21] Après cette
chevauchée, le second thème va émerger à la clarinette. La musique délaisse mesure
après mesure un climat pathétique pour un chant plus pastoral. [2:58] Reprise
du bloc thématique introductif ; et non, Brahms
ne voit pas l'intérêt avec des thèmes aussi attachants de sortir par principe de la forme
sonate. Le compositeur développe, fait chanter les bois et les cordes dans un
affrontement viril mais sans brutalité. [5:52] N'en déplaise au grand Debussy, voilà un bienvenu développement avec
ses velléités chorégraphiques, ses scansions rythmées des cordes, ses dialogues
agrestes des bois, le chant lointain des cors surgissant – peut-être – des forêts
viennoises. [7:32] La réexposition tourne le dos à la forme sonate obligée en faisant précéder
la reprise du thème 1 d'une mélopée mystérieuse et brumeuse. Cette symphonie,
la plus courte de Brahms, montre que le
compositeur sait, lui aussi, faire preuve de concision, grâce à une imagination mélodique
et orchestrale débordante, éviter les redites, ne jamais laisser l'auditeur se
lasser.
Bateau au clair de lune (Caspar David Friedrich) |
Ravin rocailleux (Caspar David Friedrich) |
3 - Poco
allegretto (do mineur) : [20:22] L'un des morceaux de musique
les plus connus au niveau planétaire, bien au-delà de la sphère classique, célébrité doute due à l'obsédante répétition par six fois d'un motif émouvant, tendre et nostalgique.
Un air adapté de Carlos Santana à Sinatra, ou dans les B.O. les plus
diverses. C'est l'ami Gainsbourg qui
l'utilisera dans sa forme la moins torturée dans sa chanson Baby Alone in Babylone… [21:38] Joué
principalement par les cordes, le thème est ainsi repris en intégrant un joli
dialogue des bois. [23:45] place aux cors et ainsi de suite. Ni un scherzo ou
un menuet issu du style classique. Brahms laisse
son esprit vagabonder dans une forme de suite, de mélopée aux accents
populaires. Là encore, comme pour les quatre mouvements, la conclusion endort
l'orchestre avec tendresse.
4 - Allegro (fa
mineur) : [26:06] Pas d'introduction lente pour le final à la manière d'un Haydn. Pas de gloire ou de
triomphalisme pour conquérir l'auditoire. Brahms tente de résoudre ses conflits intérieurs à
travers un contrepoint combatif. Trois thèmes à la fois enjoués ou tragiques
vont se fracasser. Brahms et son
soi-disant classicisme tardif ? Plutôt un romantisme épique et dantesque dans
lequel on peut entendre des accords de cuivres qui flirtent avec le principe
des clusters. [29:07] Suivant le bouillonnant début, place à un divertissement, un
passage concertant de bois soutenu par une délicate scansion des violons : divertissement
n'est pas le mot, sans doute dans la forme mais l'esprit est à la rage malgré
la légèreté du discours. [30:01] Nouvel assaut démoniaque presque terrifiant et
qui curieusement évolue vers un intermède pastoral. Toute la magie de ce
mouvement pour le moins cataclysmique réside dans ces transitions abruptes ou
contrôlées entre gaité et détresse. La coda commence tôt après ces affrontements
mystérieux. Quant à leur signification tant pour le compositeur que l'auditoire ?
Une coda qui, comme prévu, s'éteint dans un esprit soulagé et sur le triple
accord initial pp joué par tous les
instruments. (Partition)
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Ce disque de Günter
Wand à prix dérisoire propose en complément la 4ème
symphonie. Pour la discographie alternative, le choix est
immense, un classement n'aurait pas de sens. Évidemment, les grands chefs
historiques ont signé des interprétations passionnantes : Karajan (3 fois au moins), on appréciera
son approche dionysiaque, Carlo-Maria Giulini et ses tempi méditatifs, Mravinsky dans des live frénétiques à
Vienne avec sa philharmonie de Leningrad,
Kubelik chambriste avec la Philharmonie de Vienne à l'aube de la
stéréo pour DECCA, Celibidache
extatique (un peu trop ?)… On trouve les jaquettes dans les articles dédiés aux
trois autres symphonies.
Voici trois disques plus typés :
1949, en
live, Wilhelm Furtwängler explore
la facette tourmentée de l'œuvre. Pas un enchaînement qui échappe à une réelle
logique à une époque où perdure la controverse sur le génie de Brahms. Bien entendu, c'est lent, mais moins
éthéré que Giulini. Les
ingénieurs du son ont fait des miracles. Pour amateur du chef (Audite – 6/6).
1957 : côté
tempi, on passe d'un extrême à l'autre. Fritz Reiner cravache son symphonique
de Chicago jusqu'à la folie ; moins de 10 minutes pour l'allegro, 32 minutes
pour la symphonie ! Pourtant aucune confusion, échevelé et un peu barré (RCA – 6/6).
1999 : le
chef letton Marris Jansons a
hissé l'orchestre d'Oslo à un
niveau superlatif et s'apprête à rejoindre le Concertgebouw
d'Amsterdam. Transparence, rythmique acérée, l'ombre et la
lumière brahmsiennes. Sans doute la référence moderne, mais un CD difficile à
trouver (SIMAX – 6/6).
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