lundi 27 août 2018

LES GEÔLIERS de Serge BRUSSOLO (2017) – par Claude Toon



L'arbre anthropophage  » illustration de P.Kauffmann
Il y a quelques semaines j'avais partagé ma déception à la lecture de Boréal, un roman d'aventure, un pseudo techno-thriller, qui m'avait déçu par sa confusion, l'impasse de l'intrigue due à la pléthore de sujets abordés et jamais conclus ; une langue assez pauvre voire bébête accentuant ma déconvenue… Curieusement, dans ce roman, Serge Brussolo atteint des sommets dans la surenchère thématique dans ce récit aussi loufoque qu'horrifique et qui entrelace avec maestria à peu près tous les genres du thriller et du roman fantastique et même de l'heroic fantasy… L'auteur est connu pour son imagination hors du commun, et surtout pour une forme d'humour noir qui fera sourire ceux pour qui les scènes les plus gore ne risquent pas de provoquer des cauchemars à répétition. J'avais déjà chroniqué un triptyque de 3 romans d'un même cycle : l'Agence 13 où une jeune agente immobilière était amenée à négocier des "belles opportunités" dans lesquelles sauver sa peau devenait rapidement plus essentiel que le business 😯. (Clic)
Ce nouvel opus est si délirant qu'il est assez difficile de vous en donner un synopsis bien cohérent sans trop dévoiler les surprises qui attendent le lecteur. Vertigineux !

Comme souvent chez Brussolo, l'héroïne, Jillian Caine, n'est pas une Jason Statham en jupon, plutôt une trentenaire célibataire qui essaye de joindre les deux bouts en rédigeant des scénarios pour des réalisateurs qui ont peu de chance de recueillir des Oscars. Son agent lui propose un job dans ce domaine en travaillant pour Dieter Jürgen, un cinéaste à la réputation très sulfureuse, auteur de snuff movies distribués sous le manteau et projetés plus souvent en secret dans les caves bondées de pervers que dans les salles des distributeurs. Le type vit planqué dans une usine abandonnée protégée par des bikers placés sous la responsabilité d'un brave petit gars bodybuildé surnommé "Presse-purée". Vous voyez le genre.
Promenons-nous dans les bois de Dipton...
Dernière idée tordue en date du cinéaste : tourner un biopic consacré à la tueuse en série Debbie Fevertown. Mythe ou réalité, cette charmante dame géante et obèse s'est échappée dix ans auparavant d'un bled isolé, Dipton, après avoir massacré son mari et ses deux fils (découpés en très petits morceaux, un détail capital paraît-il). Lors de cette évasion, l'accompagnait Humphrey Mallory, un pauvre gars qui depuis ment sur les motivations de cette échappée, se prétend fou, et préfère végéter dans un hôpital psychiatrique que de se promener à l'air libre! La Debbie serait toujours en vie et introuvable et traquerait sans relâche des extraterrestres appelés ECYMs qui règnent sans aménité sur Dipton… Si elle le dit… Dieter Jürgen a décidé d'aller tourner un film sur cette tragédie macabre sur place, à Dipton, où d'aucuns pensent qu'il ne sera pas le bienvenu ; lui, mais aussi son équipe et ses bikers qui ont plutôt un rôle de garde prétorienne.
Quand il faut payer le loyer, ben on accepte la mission et après une préparation et une visite à un Humphrey Mallory pourtant dissuasif, Jillian accepte ce deal sans enthousiasme. Elle va accompagner la fine équipe de tournage jusqu'à Dipton, un groupe hétéroclite dont Miranda Hollis, actrice nulle, chargée du rôle de Debbie. L'accueil par les autochtones sera glacial. Interdiction de tout : téléphone, radio, télé, se promener en ville surtout la nuit ; les amish version couvre-feux en Transylvanie… De toute façon, ils ne sont tolérés que dans un seul endroit : la maison où Debbie et son mari Matt Fevertown, feu le charmant psychopathe misogyne et "gourou" du patelin ont vécu : une demeure de 40 pièces pour 4 personnes à l'époque ! Un angoissant dédale de petites pièces, des réduits occupés par des générations successives et imbriqués les uns dans les autres comme si chaque espace devait subsister au temps et rester vierge de nouveaux occupants. L'endroit sent donc la malédiction : Samuel Fevertown, le père de Matt Fevertown, est mort avec tous ses chevaux qu'il a fait enterrer sous le seul coin d'herbes verdoyant du patelin. Serions-nous chez les dingues ? Ah détail important : chaque maison possède un arbre ancien et robuste que l'on ne doit laisser dépérir à aucun prix, mais vraiment aucun. Les geôliers y veillent, mais qui sont-ils ?

... Oui mais avec modération !!!
Jillian n'aime pas rester à glander en attendant le début du tournage. Elle visite la maison, et ose aller passer une nuit en ville où les villageois ont des occupations nocturnes des plus intrigantes, érigent des bûchers avec du bois mort, peut-être pas si mort que cela constate Jillian même un peu trop vert et remuant. Hallucination nocturne ou mystère local ?

À partir de là, le roman va s'évader dans un délire total certes, mais où chaque épisode d'une imagination effrayante trouve une fin logique pour préparer la démence du suivant. La plume alerte de Brussolo assure une cohésion parfaite. On va rencontrer (liste très peu exhaustive) : une mine d'or antédiluvienne à éviter, un pénitencier pour créatures extraterrestres monstrueuses, des arbres qui vous régénèrent en cas de maladies graves et même de décès (faire gaffe aux effets secondaires), une forêt compacte qui protège le monde extérieur de ce cauchemar, un étrange monastère où un vieux druide soigne des patients qui se couvrent de feuillage (ça démange affreusement semble-t-il). Juste un tout petit échantillon de la folie douce de l'auteur. Et puis qui est vraiment Dieter Jürgen ? Une hécatombe sera à prévoir. Quant à l'avenir de Jillian ? Vous verrez bien…

Certains pourront trouver ce livre à la narration quasi hystérique (dans le bon sens du terme) d'une bêtise assumée. Ceux qui aiment les histoires complètement "barrées" ne seront pas déçus, c'est le cas de votre cher chroniqueur… Jérôme Bosch, Dürer ou Gustave Doré auraient aimé en faire une édition illustrée…

Folio (2 février 2017) ; 496 pages


1 commentaire:

  1. Jamais rien lu de cet auteur, mais je vais "essayer" ce bouquin. Il paraît bien barré.

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