mercredi 4 juillet 2018

SCRAPOMATIC "I'm A Stranger ... And I Love The Night" (2012), by Bruno


       Lorsque l'on écoute les disques du Tedeschi-Trucks Band, on ne regrette qu'une chose. Une seule mais de taille. Que le chanteur Mike Mattison ne soit pas plus présent. Quel dommage que l'on entende pas plus cet homme à la sympathique bouille de "grand bébé" et au timbre doux-rocailleux et enfumé, entre Buddy Miles et Gregg Allman, qui chante comme s'il était le médium des musiques Afro-américaines.
Evidemment, ce n'est pas que Susan Tedeschi chante mal ou moins bien, loin de là et ce n'est pas le propos, c'est simplement qu'un gars de sa stature relégué au statut de choriste et de chanteur occasionnel, c'est du gaspillage. (Même si chaque membre du Tedeschi-Trucks Band est un crack à lui tout seul).
Cependant, le père Mattison a aussi son aire de jeu personnelle. Un groupe né à Minneapolis en 1998, Scrapomatic.
 

     Scrapomatic
est le fruit d'une rencontre à un concert de P-Funk en 1993, celle de Paul Olsen et de Mike Mattison. Tous deux parlent musique, se découvrent des affinités musicales, tapent le bœuf ensemble, et finissent simplement par se produire en duo dans les clubs de Minneapolis et de Saint Paul. (Les deux villes n'en faisant pratiquement plus qu'une). 

Tous deux pratiquent la musique depuis quelques années, parallèlement à leurs études. Mattison a fini en 1991, diplômé en littérature Anglaise et Américaine avec mention honorifique.
   De son côté, Paul Olsen est impliqué corps et âme dans la musique, et choisit donc pour ses études supérieures de suivre une formation en guitare classique et jazz. Ses talents reconnus de musicien (dès ses 17 ans, il accompagne sur scène une gloire locale) lui ont permis d'obtenir une bourse pour poursuivre ses études à l'université du Minnesota, où il obtient un diplôme de compositeur. Il est aussi à deux reprises lauréat de l'ASCAP (American Society of Composers, Authors and Publishers).

       Visiblement, le duo est imperméable aux pressions médiatiques et aux diktats de l'industrie musicale. Ils sont le vecteur d'une musique roots, désuète et sans intérêt pour les radios. Leur objectif est de faire vivre une musique proche des racines tout en évitant de s'enfermer dans un contexte daté. Soit en suivant l'exemple - suivant leurs propres références - des Nina SimoneTaj Mahal, Tom Waits et Dr John. Ainsi que le Blues rugueux d'Howlin' Wolf et le country-blues de Charley Patton. Bien qu'à la base multi-instrumentiste, Mattison se concentre sur le chant, tandis qu'Olsen officie seul à la guitare, tout en prenant de temps à autre le micro quelques instants.
Interpréter à deux du Blues, du Rhythm'n'blues et de la Soul plus ou moins intimistes, sans effets, sans samples, sans grosse sono, bref avec un strict minimum de matos qui s'apparente à un kit de survie, est - commercialement - un suicide. Sauf si l'on a derrière soi une grosse boîte qui décide de faire le forcing et de l'imposer dans les médias comme la chose que l'on doit impérativement écouter et aimer pour être dans le coup.
Mais tout ça, ils n'en ont cure et ne concèdent rien. Ces hommes sont des purs ; ils ne sont pas là pour l'argent, ni pour courir coûte que coûte derrière le succès. Même dans le choix du matériel, on discerne un souci d'éviter le clinquant. Ainsi, Olsen a une préférence pour les vieilles demi-caisses. Des Gibson vintage que l'on associe généralement au Jazz. Dont une antique Gibson ES-125 TD, qu'il a pris soin de boucher les ouïes (!).
Ils finissent tout de même par enregistrer un disque en 2002, dans un souci de garder un témoignage de leur créativité, sous l'égide du producteur John Snyder. Bien que la sortie soit assez confidentielle, ce premier essai éponyme remporte un Grammy de la ville de Minneapolis.


       Alors que le duo semble suivre son petit bonhomme de chemin, en s'installant même un temps à Brooklyn pour tenter d'élargir son public, un jeune chevelu du Sud, de Georgie, au look vaguement hippie, passionné de musique authentique, tombe sous le charme de cette formidable voix enfumée, d'un éraillement feutré, pure émanation de la Soul et du Blues réunis. Ce n'est autre que John Snyder, leur producteur commun, qui a fortement conseillé à Derek Trucks de prendre à sa suite Mattison
C'est une bénédiction pour Derek car de suite, l'intensité du chant de Mattison lui permet d'élargir considérablement son horizon. Ce qu'atteste le live magistral de 2004 : "Live at Georgia Theatre". D'un coup, la musique du Derek Trucks Band a pris une ampleur considérable, l'amenant à rivaliser avec les meilleures formations de Blues-Soul-world-jazz-rock des années 60-70. Ce que confirment les albums suivants.

       D'un autre côté, même si Mattison n'oublie pas Scrapomatic, sa carrière est désormais intermittente.
D'autant plus que de son côté, Paul Olsen est également accaparé par ses fonctions d'auteur-compositeur, de producteur, de directeur musical et de session-man (studio et tournée) .
En conséquence, l'envol potentiel de Scrapomatic est désormais sérieusement contrarié. Il faut attendre quatre années pour un second opus, "Alligator Love Cry" (sur Alligator Records) ; et encore deux autres pour un troisième, "Sidewalk Caesars".

       L'intensité des tournées, couplé aux enregistrements avec en plus le nouveau projet du couple Tedeschi-Trucks, oblige à reporter à quatre années plus tard un quatrième chapitre à l'aventure. Toutefois, l'attente en valait la chandelle, car, à ce jour, "I'm A Stranger ... And I Love The Night" est probablement leur disque le plus réussi. Chaque morceau a eu largement le temps d'être porté à maturité, et cela s'entend car tous sont franchement irréprochables et exquis.
Dans l'ensemble, c'est le volet le plus intense ; le plus électrique aussi, probablement grâce à l'embauche du guitariste Dave Yoke. Si ici ce sideman réputé ne compose pas, son apport est indéniable. Il y injecte de l'intensité, une relative épaisseur et parfois un doux saupoudrage de douces particules Rock. Notamment avec quelques soli mordants. Toujours avec concision et concordance. Lui aussi fait partie du cercle de la famille Tedeschi-Trucks puisqu'il a accompagné quelques temps madame (et il a laissé sa trace sur l'album "Back To The River"). Et puisqu'on reste en famille, on a profité du Swamp Raga studio (1).
Et tant qu'à faire, au passage, on invite deux autres membres de la famille : Tyler Greenwell, l'excellent batteur de Susan et maintenant du D.T.B. Et Ted Pecchio pour la basse (2).

     La musique de Scrapomatic a une âme. Une bonne âme, dont l'aura dégage, non pas une odeur de sainteté, mais quelque chose d'apaisant. Quelque chose qui génère de bonnes et saines vibrations, aptes à chasser les orages pour laisser briller le soleil, ou au contraire, apporter une pluie rafraîchissante et régénérante aux régions arides. Aujourd'hui, ce sont les cœurs des hommes qui le sont, et ils auraient bien besoin d'une telle musique pour se requinquer et croire, ou espérer, au bonheur. Mais, hélas, ce n'est pas trop ce que les hautes instances recherchent. Même les morceaux les plus énergiques, tels que "Rat Trap" et " Mother Of My Wolf", gardent une fraîcheur qui exorcise notre humeur de toute idée noire. Loin d'être une simple et énième resucée d'un Blues - rock ou pas -, elle est la progéniture d'un héritage afro-américain. Celui du Blues, de la Soul, du Rhythm'n'Blues ; principalement ceux des années 60 aux années 80. Du Funk même, en l’occurrence celui des Meters
Un rejeton préservé des ersatz communément et faussement nommés R'n'B, et autres expériences technico-commerciales désincarnées.
Un petit bijou sans âge à découvrir.

     Aujourd'hui encore, lorsque l'emploi du temps de chacun le permet, Scrapomatic reprend la route, pour ouvrir les concerts du Tedeschi-Trucks Band. Quelle belle fête ce doit être alors.




(1) Le studio fondé par le couple Tedeschi-Trucks, dans une propriété arborée, dans la commune de Jacksonville, pour avoir toute latitude pour travailler et enregistrer.
(2) Ted Pecchio qui joue déjà sur "Sidewalk Caesar" des Scrapomatic, et que l'on retrouve aussi sur les disques de Shemekia Copeland, The Chris Robinson Brotherhood, Doyle Bramhall II, Tinsley Ellis, Rich Robinson. 


🎶  bonus
 
🎶♬♩♯ 


1Alligator Love Cry       (Paul Olsen)  - 3:45
2I'm A Stranger (And I Love The Night        (Paul Olsen)  -  3:14
3Rat Trap      (M. Mattison)  -  3:07
4Night Trains, Distant Whistles      (M. Mattison - P. Olsen)  -  4:59
5Don't Fall Apart On Me, Baby     (P. Olsen)  -  3:24
6I Surrender                 (P. Olsen)  -  4:12
7The Mother Of My Wolf      (M. Mattison)  -  2:36
8Crime Fighter         (M. Mattison)  -  5:35
9Malibu (That's Where It Starts)          (Paul Olsen)  -  3:17
10How Unfortunate For Me       (Paul Olsen)  -  4:37
11The Party's Over       (Paul Olsen)  -  4:14
12

Gentrification Blues          (M. Mattison)  2:57

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