lundi 16 juillet 2018

BORÉAL de Sonja Delzongle (2018) – par Claude Toon



Bœufs musqués du Groenland
À la fin de ce livre, Sonja Delzongle remercie les commentateurs en général et les blogueurs amateurs en particulier pour leurs critiques. C'est gentil, mais hélas l'auteure va me maudire car je dois avouer que mon sentiment à la toute dernière page est celui d'un rendez-vous manqué voire d'un beau gâchis…
A mon sens, un échec dû à trop de genres entremêlés qui font que ce livre accumule les poncifs et les situations inabouties : du polar, de l'aventure en milieu hostile, de la science, de la géopolitique, des bribes de combats écologiques (ce que j'espérais), du sexe gratuit pour voyeurs. Par ailleurs, bravo pour le carnage ; ce n'est plus un roman mais un cimetière bondé ; 3 protagonistes sur des dizaines et plus survivront, dont un clebs… Essayons de reprendre depuis le début.
Pourtant le fond de l'histoire, très peu exploité, est séduisant. Le nord du Groenland (Thulé) a servi de base de déploiement d'armes nucléaires pour les Yankees pendant la guerre froide. Des bases creusées dans les glaces, des bombardiers et des bombes A et H, enjeux de ce combat de mâles dominants entre les superpuissances. L'immense île gelée étant la terre la plus proche de la Russie via le pôle nord pour les avions. On suspecte que le crash d'un B52 (janvier 1968) a provoqué l'explosion d'une de ses quatre bombes, irradiant ainsi instantanément hommes et bêtes… (C'est impossible techniquement, mais ça, les littéraires ne le savent décidément pas et se croient dans Le salaire de la peur et ses bidons de nitroglycérine instables. Par contre oui, ça pollue, mais localement.) Alors, un pamphlet sur la folie nucléaire ? Non…

Une obsession pour ce bel animal : manger sur une banquise qui se réduit
La ou les intrigues multiples gravitent autour d'une équipe de scientifiques hivernant sur Inlandsis, le glacier du Groenland et ses 2 millions de km2. Oui Bruno, un premier plagiat inspiré de The Thing de Carpenter. Une équipe hétéroclite : Roger Ferguson, écologiste et danois, chef de l'expédition, Anita Whale, climatologue anglaise, Atsuko Murata, japonaise et dépressive*, Dick Malte, glaciologue canadien (cherchant les preuves secrètes des accidents nucléaires*), Mathieu Desjours, traducteur français et schizophrène*, Akash Mouni, le cuistot. Enfin, Lupin, le chien loup de Mathieu. Leur mission… Bof, on ne sait pas trop précisément…
* Détails ignorés des autres membres de l'équipe, et on s'en doute : sources de bien des problèmes et des gros !
Lors d'une sortie, il découvre un troupeau de bœufs musqués morts ensemble depuis des lustres, entassés et enchâssés dans la glace. Un mystère. Atomisés ? Secte de bovidés angoras adepte du suicide collectif ? Plus sérieusement, encore une piste du livre peu exploitée voire abandonnée à l'imagination du lecteur. On fait appel à Luv Svendsen, une biologiste norvégienne spécialiste des morts de groupes d'animaux non élucidées, un sujet encore traité en quelques pages et qui m'aurait passionné par ses implications sur l'avenir du vivant sur notre planète souillée… Elle rejoindra l'équipe avec son photographe Niels Olsen.
Digression policière. Luv doit d'abord filer à Londres car sa fille adulte (née quand Luv avait 16 ans et qu'elle a confiée aux grands parents) a été percutée par un 4x4 et va mourir. La jeune femme avait une petite amie Flynn qui est suspecte. Luv, en tant qu'écologiste militante, a beaucoup d'ennemis. Stop ! Peu importe le dénouement policier digne d'un téléfilm à deux balles. Je me demande ce que ce drame et cette enquête viennent faire dans un techno-thriller en arctique ?!
Base secrète US sous la glace vers 1960
Autre digression incongrue : Roger Ferguson est amené à disséquer un ours abattu car dangereux et mourant de faim, une conséquence du recul de la banquise (encore un sujet grave escamoté). Atsuko Murata interrompt Roger pour se faire "sauter" (désolé, mais la scène est très vulgaire donc, ma rhétorique se justifie). Par -10° devant la carcasse du plantigrade. Dehors, Mathieu les mate en se faisant un petit plaisir solo. Encore un chapitre inutile, incohérent et salace, d'autant que la japonaise va s'égorger dans le hammam, le lendemain. Quand j'écris qu'on meurt beaucoup. Et puis le Mathieu, il gonfle tout le monde à aller faire pisser son chien dans le blizzard. Lupin se barre et son maître se paume. Une première escouade part à sa recherche et disparaît aussi. Avec un sens aigu de la sécurité, les autres scientifiques s'enfoncent aussi dans la nuit… Il ne reste plus que le cuistot avec son ragoût d'ours qui refroidit ! Beurk !
La suite : un soupçon de fast and furious version motos-neige. Mille dangers : les gelures, la trahison, les prédateurs, la mort… Il y aura un autre passage inspiré de La colline a des yeux mais par -35°, je passe sur la complaisance assez sordide des scènes cannibalesques entre dégénérés. Quelques idées isolées en rapport avec l'époque de la guerre froide, mais jamais un développement réel et encore moins d'explication. Dommage.
Pour compliquer le tout : les mésaventures (mortelles bien sûr) du Shérif Sangilak de Qaanaaq, ville de Thulé. Un gars du coin qui ne peut qu'archiver des cas de disparitions inexpliquées depuis des décennies. Des autochtones, des aventuriers traversant ce continent gelé. Jamais encore des scientifiques. Point commun : on ne retrouve jamais de trace des disparus : rien, l'anéantissement, pas un ouvre-boîte, une chaussure ou du matériel abandonné, et encore moins… de restes humains après un hypothétique festin de plantigrade. Là aussi, pas de suite donnée à l'affaire. Enfin si, vaguement…

Sonja Delzongle
Quel fourre-tout ! Le bilan humain est effroyable…
Etc. etc. etc. 300 pages de course poursuite sur glace.

Épilogue : Luv et Malte ont failli mourir de froid, sont polytraumatisés physiquement et psychologiquement, sans compter avoir couru le risque de finir boulotés par les ours, les loups, les cannibales ou alors butés par le dingue de l'équipe… Eh bien, dernier chapitre : ils baisent comme des hardeurs. Quelle santé et quelle conclusion grotesque et racoleuse ! Lupin, le toutou s'en sort bien. Il se trouvera une gentille louve, vivra heureux car ils auront plein de petits louveteaux. Un vrai conte de Perrault 😊. Gentil, mais cucul en regard de la noirceur ambiante.

C'est pourtant assez bien écrit, mais il y a des perles comme cette réplique de Malte une fois que tout le monde est porté disparu, que la station est ruinée par un "tremblement de glacier", qu'il va sans doute y rester : "je trouve que rien ne va bien depuis le début de l'expédition". Encore un Sherlock Homes qui s'ignore 😁. Non, je n'ai pas aimé cet entrelacs surchargés de scènes sordides mises bout à bout sans grande logique. Pour les amateurs d'histoire à tiroirs et un tantinet glauque, ça peut le faire.

Denoël – (Collection Sueurs froides) – 448 pages. Sympa le Groenland en période de canicule.


1 commentaire:

  1. Critique qui correspond tout à fait à ce que j'ai pensé du livre "Boréal". Trop d'idées dans ce livre malheureusement évoquées et non développées. Je n'ai pas réussi à croire un instant à cette histoire pleine de poncifs. De plus, je n'ai pas retrouvé l'écriture de Sonja Delzongle de ses précédents ouvrages. Dommage, un peu de maturation et de relectures auraient abouti à un excellent roman policier.

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