samedi 14 juillet 2018

Albert ROUSSEL – Suite en Fa – Charles MUNCH (1947) – par Claude Toon



- Petite chronique pour un samedi férié M'sieur Claude… Mais dites, un enregistrement 78 tours de 1947, vous n'avez pas trouvé mieux, pourquoi pas un rouleau de cire ?
- Et bien non Sonia ! Toutes les interprétations stéréo YouTube écoutées sont ternes, sans humour, avec une prise de son fumeuse, un comble pour le pittoresque Roussel !
- C'est vrai que ça sonne pas si mal, on entend bien les instruments… Désolée de vous avoir chambré…
- De rien mon petit, et puis une musique dansante et un peu fantasque pour démarrer le weekend, c'est cool…

Sarabande du XVIIIème siècle
Sonia m'amuse avec ses remarques piquantes sur l'époque des rouleaux de cire et des phonographes. Je garde en souvenir une des innombrables 6ème symphonie de Beethoven "la pastorale" dirigée par Bruno Walter, sur 78 tours (un cadeau que je ne peux plus écouter faute de matériel ad hoc). Cinq disques soit dix faces dont 4 pour la scène aux champs 😎 ! Le CD comportant la 6ème de Prokofiev sous la baguette de Walter Weller écouté il y a peu dure 85 minutes ! C'est le record dans ma discographie classique dont les minutages sont plus généreux que ceux des CD de mes amis rockeurs.
Son pourri avant l'invention de la stéréophonie début des années 50 ? Et bien pas tant que ça, car pendant et après la seconde guerre mondiale, les magnétophones avaient fait de gros progrès et les ingénieurs du son réalisaient parfois des exploits pour obtenir une transparence que l'on n'a pas toujours de nos jours, à défaut d'une dynamique et d'une bande passante larges… La mise en place de l'orchestre dans la gravure réalisée à la Philharmonie de Londres pour cette Suite en Fa de l'ami Roussel est exemplaire pour illustrer ce savoir-faire. (Arpèges des harpes dans le mouvement central et triangle dans le final.)
Autre point de vue : je ne pense pas que la qualité sonore des meilleures gravures en stéréo ait été dépassée depuis l'arrivée de la stéréo en 1953. La quadriphonie des années 70-80 a fait un bide. Quant au SACD, la quantité de matériel à mettre en œuvre n'a pas connu un franc succès (en audiophile je précise, pas en DVD). La revue Diapason avait réalisé des tests comparatifs au début de l'ère SACD. Budget 30 K€, quand même, dont cinq enceintes B&W Nautilus à 3000 € pièces. Problème : l'amplificateur à cinq canaux pourtant assez couteux n'avait pas la qualité de délié, d'aération, etc. d'un ampli stéréo haut de gamme que l'économie de trois enceintes permettaient d'acquérir. Un Naïm ou un ampli à tubes costaud sans doute… Si on fait l'impasse sur le côté invasif des enceintes, la chaleur et la finesse de l'installation stéréo l'emportaient sur tous les plans en termes de fluidité et de beauté des timbres. Conclusion : le SACD reste confidentiel et rejoint la liste des technologies sans réel avenir dans l'univers classique, d'autant que pour la prise de son, il semblerait que ce soit la galère pour restituer avec réalisme la position des instruments.
J'ai profité de ce petit papier pour vous faire part de mes réflexions sur l'état de l'art en matière de reproduction sonore. Je reste fidèle à la stéréo (MP3 uniquement sur autoradio) même si ça serait chouette d'écouter Hilary Hahn jouer à mes pieds en multicanal. Faudrait que je réfléchisse à la question
Hein ? Mais non Maggy, on ne change rien… Jamais nous n'aurons cinq ou six enceintes et cinq ou six blocs mono Lavardin dans le salon, j'te jure. Aie, ouille, pas le rouleau à pâtisserie. Aie, ouille, Pitié !!!!
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Mengelberg (assis) et Roussel (debout) en 1929
Après cet aparté technique, revenons à cette pétulante Suite en Fa. Roussel n'est pas un nouveau venu dans le blog. Nous avions déjà écouté sa 3ème symphonie fantasque et énergique. Ancien capitaine de marine et d'humeur épicurienne, son œuvre laisse peu de place à la mélancolie et à la méditation. Dans cet article consacré à l'interprétation de Charles Dutoit, j'avais mentionné le disque culte de Charles Munch des symphonies 3 et 4 avec l'Orchestre des Concerts Lamoureux. Une verve inégalée. Je ne suis pas surpris de retrouver cette vitalité dans cet enregistrement de 1947 à Boston. Il dirigera le célèbre orchestre de la ville de 1949 à 1962. Il succédait à Serge Koussevitzky qui avait assuré la direction de l'orchestre de 1924 à 1949 ! Et comme le monde est petit, c'est ce chef immigré russe qui créa ladite Suite en Fa en 1927.
La Suite en Fa composée en 1926 renoue avec l'esprit des suites de Bach qui enchainaient des préludes, des arias et des pièces inspirées dans leur forme par des rythmes de danses de cour de l'époque baroque. L'humour est omniprésent dans ce pastiche, à tel point que même le très austère et autoritaire Sergiu Celibidache admirait et jouait cette œuvre anticonformiste… L'œuvre d'une quinzaine de minutes comprend trois mouvements.
L'orchestration comporte : 2 flûtes + picolo, 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes + clarinette basse, 3 bassons, 4 cors, 4 trompettes, 3 trombones, tuba, 3 timbales, grosse caisse, tambour, triangle, cymbales, tambour basque, célesta, harpe et les cordes. Un effectif étendu et très coloré dans la suite logique de ceux de Debussy, Ravel et Bartók(Source – partition).
1 – Prélude : Cavalerie légère au grand galop des cordes pour mener tambour battant les premières mesures de cette fantaisie orchestrale. Les bois et instruments virevoltent : arpèges descendants des flûtes, trilles de trompettes, des pizzicati goguenards, en un mot les mille facéties dont raffolait notre compositeur. L'esprit dansant pour le moins entrainant nous conduit jusqu'à un premier tutti syncopé ponctué énergiquement par des coups de cymbales. Roussel paraphrase la thématique de cette introduction avec gourmandise dans une forme qui de prime abord paraît classique. Il n'en est rien, le travail contrapuntique est très imaginatif et résolument moderne. Charles Munch confirme ses dons pour des tempos agrestes et la vitalité débonnaire dans sa direction, l'absence de rubato ou de pathos dans cette musique qui n'a absolument aucun lien avec le courant postromantique tardif.
2 – Sarabande : [4:02] Pour mémoire, la sarabande est une danse lente et courtoise. (Le leitmotiv de la sarabande de Haendel dans Barry Lyndon de Kubrick). Mais là, aucune gravité ! Bassons, cors et cordes énoncent une mélodie poétique et nonchalante. Sérénité et lumière diaphane sont les maîtres mots dans cette musique sinueuse en totale opposition avec les scansions vigoureuses  du prélude. Le développement central prolonge ce climat nocturne illuminé par de cristallins arpèges de harpe. Un crescendo et un court passage plus martial marquent la transition avec la coda.
3 – Gigue : [9:56] Autre danse ancienne autant en France que dans les pays anglo-saxons. Une danse animée pour laquelle Roussel renoue avec l'ardeur du Prélude. Course poursuite et chassé-croisé entre tous les pupitres, une musique capricieuse égaillée par des interventions mutines des percussions, triangle, tambourin entre autres, sans oublier le célesta.
Certains voient dans cette suite (104 pages de partition pour seulement 15 minutes) des influences du phrasé hardi et de l'orchestration percussive de Bartók. Plutôt d'accord sur ce point. Quant à l'interprétation de Munch, un seul qualificatif : poilante !
Une belle interprétation toute en finesse avec une plus-value sonore indéniable complète l'album de Sergiu Celibidache commenté à propos du concerto pour vibraphone et marimba de Milhaud (Clic). Il y en d'autres, par exemple : Charles Dutoit ou encore Paul Paray dans un album dédié à Chabrier (rapprochement judicieux) ; par contre les disques sont plus ou moins disponibles.
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