lundi 18 juin 2018

SŒURS de Bernard Minier (2018) – par Claude Toon




Sœurs est le cinquième roman de la saga de polars corsés commencée en 2011 et mettant en scène le commandant Martin Servaz. Bernard Minier connaît un succès certain chez les rédacteurs du Deblocnot puisque voici le 4ème roman de ce cycle commenté dans le blog. Luc avait commenté Glacé et Le Cercle et notait chez l'auteur un manque de concision, ce besoin un peu compulsif de pousser le bouchon vers les 600 à 700 pages. Notre chroniqueur a-t-il été lu, entendu et compris par Minier ? C'est possible puisque Sœurs ne comporte que 460 pages et, oui, le livre gagne en rythme, surtout avec son intrigue pour le moins alambiquée, ce qui n'est pas une critique négative, car un roman dont l'assassin se révèle à la page 40, ben c'est un peu rasoir… D'ailleurs les 600 pages de N'éteins pas la lumière m'avaient conduit à écrire un papier sans doute aussi un peu longuet.
Bernard Minier a travaillé dans les douanes jusqu'à la cinquantaine passée avant de se découvrir un talent pour la plume et montrer une imagination féconde. Besoin de se rattraper par de gros volumes et d'imiter la concurrence française ou américaine dans le thriller copieux ? Possible !
- Msieur Claude, vous aussi vous divergez, attention aux digressions…
- Hein ? Heu oui Sonia, revenons à nos sœurs ; des vraies, pas vraiment des nones en plus…
L'originalité de ce nouveau roman est d'en exclure le tueur en série Julian Hirtmann, démon récurrent, et de dérouler la trame en trois époques, en remontant le temps jusqu'au début de Servaz comme flic.
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Tableau de 1963 de Margaret Keane (née en 1927)
Ambre ?
1988 : en forme de prologue : Ambre 16 ans et sa sœur Aurore 15 ans ont rendez-vous nuitamment au fond d'une sombre forêt. Ok, c'est marqué sur la couverture, ça flingue mon suspens. Elles n'ont pas froid aux yeux les adolescentes blondes et filiformes. Erik Lang, un trentenaire va les rejoindre tel le grand méchant loup. Un loup avide de chair tendre ? Non, les gamines sont des admiratrices des polars, hyper violents et complaisants dans la description de scènes sordides de ce romancier à succès, des romans vénéneux qui se vendent comme des petits pains. Elles lisent sa prose sous les draps depuis l'âge de douze ans… Jusque-là, rien de bien méchant, simulacre de flirte, délire de fans, on roucoule pour jouer les grandes et on rentre faire dodo…

Margaret Keane (1962)
Alice ?
1993 : François-Régis Bercot (ça fait classe, mais voilà déjà un connard suffisant et douteux comme Minier les aime) découvre en navigant sur la Garonne les corps affreusement mutilés d'Ambre et d'Aurore attachées face à face à deux arbres et vêtues en communiantes ! Martin Servaz, 24 ans, vient d'intégrer le groupe de Léo Kowalski, un bon flic un peu butor qui n'aime guère Martin qu'un tonton influent lui a imposé dans son groupe. Kowalski : une brute à la main leste sur les suspects mais qui obtient des résultats à une époque sans ADN, sans toutes ces techniques qui transforment le crime en sport dangereux. Les deux filles sont majeures, étudiantes en médecine pour Ambre, en littérature pour Aurore. Enfin, étaient. Les suspects vont défiler : des étudiants évidement, quelques quidams, et surtout Erik Lang qui a commis un bouquin où il évoque une sombre histoire de communiante. Il a même une aube chez lui, le célibataire très fat qui se pavane dans une baraque hors de prix et crâne devant les enquêteurs. Alors qui ? Lang ? Un lecteur psychopathe qui s'est inspiré du roman et connaissait les jeunes lectrices ? Un ou des étudiants boutonneux éconduits par les filles et frustrés ? Bienvenu au bal des mensonges, des alibis bancals, des petits coqs de campus, des futures diplômées en quête d'orgasmes furtifs plutôt que de bonnes notes aux partiels ?
Et en fin de compte, pour justifier la suite du roman : pas de coupable déterminé, le suspect principal prenant la poudre d'escampette d'une manière, disons assez définitive… Affaire classée sans suite. Léo Kowalski prendra sa retraite et Martin Servaz ira dans les années 2000 taquiner du Serial Killer…

2018 : Bernard Minier aurait-il une dent contre les communiantes. On retrouve Amalia épouse Lang assassinée, mordue par une douzaine de serpents parmi les plus venimeux de la planète qu'élevaient en toute illégalité son cher Erik dans des terrariums. (Drôles d'e bestioles de compagnie.) Pourtant ces animaux sont peu agressifs. La victime était shootée aux médicaments psychotropes et antalgiques, et était maigre comme un clou. Et surtout, elle portait non pas une chemise de nuit, mais – ah, vous avez deviné – une aube de communiante. Là, il est mal le Erik Lang. Amalia : une ancienne looser photographe "arrachée" à un squat par Erik fasciné par ses photos de reptiles ?! Seconde enquête qui va plonger Servaz dans ses vieux souvenirs, les anciens démons d'une enquête ratée 25 ans avant… On retrouve son groupe habituel : Espérandieu, l'adjoint scrupuleux à défaut d'être très perspicace, Samira Cheung, l'informaticienne sino-marocaine soi-disant laide à faire peur, gothique mais avec un corps de rêve (Bernard Minier ne s'égare pourtant jamais dans la romance et la bagatelle superflues qui polluent bien des polars). Nouvelle enquête, nouveaux suspects pittoresques et inquiétants comme Remy Mandel, un fan tendance dure de Lang qui n'a pas la lumière dans toutes les pièces a priori, mais s'est procuré sans scrupule (volé) le dernier manuscrit en cours de Lang. Minier, comme à son habitude, nous ballade dans les suppositions les plus vraisemblables ou farfelues…
Le coup de théâtre des derniers chapitres est très habile, pas foncièrement innovent, mais sacrément inattendu… Curieux cette manie de Bernard Minier d'éviter les frais de justice en envoyant directement en enfer son ou ses coupables, ou même des innocents les mains pleines pour reprendre une expression populaire…
Le style ne fait pas d'ombre à Hugo ou à Flaubert, mais le récit est bien structuré à défaut de nous proposer la richesse narrative d'un Lemaître. On le sait. Cela dit, Bernard Minier nous impose quelques extraits de la prose de Erik Lang, médiocre et gorgée de voyeurisme, gratuitement sadique, le roman de gare dans l'acception la plus péjorative de l'expression 😁.

XO : 470 pages.


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