samedi 9 juin 2018

RESPIGHI - Triptyque de Botticelli (1927) – ORPHEUS CHAMBER ORCHESTRA – par Claude Toon


Le printemps (1478-1482)

- Bizarre M'sieur Claude… Vous avez mis la photo du CD à la fin au bénéfice de ce tableau avec des jolies fées en tenue légère qui batifolent…
- Le printemps vu par Boticelli Sonia, le premier des trois tableaux illustrés musicalement par Ottorino Respighi très inspiré par ce peintre de la Renaissance…
- Ah oui, l'auteur des Fontaines de Rome, Pins de Rome, etc. des suites symphoniques assez célèbres et dont vous avez déjà parlé, tout comme de l'Orpheus chamber orchestra…
- Oui mais ici, Respighi met en jeu un petit orchestre très coloré, une suite parmi d'autres moins connues que celle que vous citez, pas assez jouée en France, hélas…
- En regardant les trois tableaux, la femme est très présente au centre du tableau, très belle au demeurant… La Naissance de Vénus est aussi connu que la Joconde…
- Bien vu Sonia, une musique toute en féminité, voire sensuelle… J'essaye de vous imaginer nue dans une coquille Saint-Jacques géante, hi hi…
- Très drôle, je vais aller dénoncer vos fantasmes à Mme Toon, moi !!! Tss Tss.
- Nooon Vénus, heuu pardon, Sonia, pas çaaa !

L'adoration des mages (vers 1475)
Je vois bien rarement Respighi inscrit aux programmes des concerts de la Capitale. Une programmation qui tourne en rond hormis quelques incursions dans l'univers contemporain, le fonds de commerce reste : Strauss, Brahms, Liszt, etc. Que des noms qui attirent les foules et des œuvres jouées pratiquement chaque saison… J'exagère sans doute, mais les compositeurs dont le patronyme n'évoque pas immédiatement un terrain connu sont cruellement absents. C'est le cas d'Ottorino Respighi, élève de Rimski-Korsakov, qui composa, à une époque où l'Italie ne vivait qu'à l'heure des opéras de Verdi, de Puccini et de quelques autres ; le règne sans partage du bel Canto.
Nous avons déjà lu trois articles dédiés à ce grand orchestrateur, notamment l'un consacré aux suites les plus connues : Les fontaines de Rome et les Pins de Rome, deux fresques flamboyantes pour très grand orchestre. Difficile de rester insensible à la majesté du maelstrom de la marche sur Rome évoquée dans les pins de la voie Appienne. L'orchestre requis fait songer aux effectifs démesurés d'un Richard Strauss ou d'un Mahler. Deux suites à la discographie pharaonique. Une biographie détaillée du compositeur italien est à lire dans la chronique commentant ces deux suites (Clic).
Autre compositeur que Respighi admirait : Claude Debussy. Et l'on pourra s'interroger sur l'orchestration de ce triptyque de Botticelli, instrumentation nettement plus intimiste avec laquelle Respighi obtient les couleurs diaphanes qu'affectionnait le musicien français. Les opéras de Respighi sont un peu oubliés. Ce n'est pas du tout le cas des nombreuses suites pour orchestre qu'il a composées. Suites auxquelles s'ajoutent une symphonie et quelques concertos certes plus mineurs.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

La Naissance de Vénus (1484-1485)
Mes lecteurs assidus ont depuis longtemps remarqué ma volonté de mettre en regard dans mes articles l'art et la musique, soit par leur contemporanéité soit pour souligner des similitudes d'inspiration. No limit : peinture, gravure, dessin y compris BD, architecture, sculpture et même la beauté naturelle que nous offre notre belle (provisoirement) planète, comme les canyons colorés de l'Utah dans la chronique consacrée à Des canyons aux étoiles… de Messiaen (Clic).
Respighi aimait lui aussi s'adonner à la contemplation d'œuvres d'art pour inspirer ses partitions. Les fontaines "rococo" de Rome, les pins de diverses espèces qui peuplent la ville éternelle, les vitraux des églises (s'attachant à leur sens sacré et à la polychromie), les chants des oiseaux (comme Messiaen) et ici une sélection de trois tableaux du maître de la renaissance : Boticcelli (1445-1510).
Sonia est observatrice. Elle a remarqué que dans les trois œuvres majeures retenues par Respighi, la femme, disons la féminité, est au centre du tableau. Trois thématiques chères au peintre sont mises en opposition : l'allégorie dans "Le printemps", Vénus, très entourée de grâces, puis le sacré biblique dans "L'adoration des mages", enfin la mythologie dans le célébrissime "Naissance de Vénus". Pour le premier et le troisième tableau, le corps de la femme est magnifié dans sa beauté par la nudité, naturelle pour "Naissance de Vénus" et plus que suggérée dans "Le printemps". (Pas la Vierge, ça va de soi…) D'où une grande cohérence stylistique dans la construction de la suite, une caractéristique de l'art du compositeur.
Petit détail, si cet article n'est pas implicitement dédié à Botticcelli, il faut noter que le personnage le plus à droite dans "L'adoration des mages" est un autoportrait de l'artiste.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Autoportrait de Botticceli dans l'adoration des mages
Respighi n'est pas le premier compositeur à proposer au public une visite guidée dans une exposition de tableaux. On pense bien sûr aux tableaux d'une exposition de Moussorgski, écrit pour le piano en 1874 et orchestré par Ravel en 1922. Ici, nous arpentons la galerie des Offices à Florence où sont réunies les trois peintures.
Respighi compose cette charmeuse petite suite en 1927. L'orchestration est très chambriste comme si le compositeur recherchait une légèreté en accord avec la finesse du trait de pinceau des tableaux de la renaissance. L'orchestre comprend :
1 flûte, 1 hautbois, 1 clarinette, 1 basson, 1 cor, 1 trompette, triangle, glockenspiel (vibraphone), célesta, piano, harpe et quelques cordes (Partition).
L'œuvre est dédiée à une pianiste et mécène américaine Elizabeth Sprague Coolidge (1864-1953). Cette dame organisera la création à Vienne en 1927 sous la direction du compositeur.

1 – Le Printemps : Respighi connaissait parfaitement la genèse du tableau. L'homme possédait une érudition hors du commun, parlait douze langues et se délassait en lisant des traités de… physique théorique ! (Il y a des gens comme ça.) Sur le tableau, de droite à gauche, huit personnages : Zéphire, Dieu des vents, Chloris, nymphe de la verdure et des fleurs, au premier plan, car déesse du printemps, Vénus au centre, on ne la présente plus, déesse de l'amour et de la fertilité, au-dessus, son fils Cupidon, trois grâces et enfin Mercure qui fait signe aux nuages résiduels de l'hiver de partir. Les visages seraient ceux de membres de la famille Médicis.
Illustrant d'emblée la réjouissance de cette réunion de famille mythologique, Respighi fait papillonner des trilles des violons, de la flûte et de la clarinette. Un cor intervient suivi de la trompette via une thématique allègre pour souligner l'impression de chorégraphie donnée par la composition du tableau. Respighi fait se succéder plusieurs épisodes colorés pour évoquer le tempérament des personnages mis en scène. Pas des variations au sens propre mais une procession de motifs aux tempi variés qui présentent un point commun : la vitalité. La fraîcheur et l'exaltation du discours musical feront songer à l'époque de Vivaldi, celle des quatre saisons. Mais dans un langage qui parfois fait penser à Stravinski post Sacre du printemps, la période des ballets mythologiques. Donc rien de daté, même si les citations de musique ancienne sont légions dans la forme.

2 - L'adoration des mages : [5:37] Une marche tranquille de prophète débute le second mouvement, le plus long. Basson, hautbois et flûte vont se succéder pour annoncer l'arrivée des trois mages dans la crèche. Botticcelli aimait la lumière. La crèche n'en est pas une : pas de grange et une sainte nuit, mais la clarté du jour pour illuminer cette scène en forme d'écrin pour la Vierge, un groupe de personnages témoins habillés à la manière de la Renaissance. On discernera trois parties distinctes. La procession des mages et le recueillement des vieux sages seront symbolisés par des phrases méditatives aux cordes graves. Une quiétude aux accents sacrés débute cette seconde pièce. [8:56] L'adoration se traduit par un émerveillement devant le jeune Messie illustré par les percussions les plus cristallines qui soient : triangle, vibraphone, célesta. Un instant magique aux accents orientalisants comme les aimait Respighi. [8:56] Une troisième partie évoque le temps de prière et de respect, sans le soupçon de crainte initiale : les trois bois symbolisant les mages reprennent leurs chants spirituels accompagnés par les arpèges de harpe. Respighi démontre qu'un orchestre de 120 musiciens, effectif à la mode au postromantisme, n'est pas indispensable pour faire rayonner une musique de mille couleurs.

3 – La naissance de Vénus : [14:15] Le tableau est explicite : Vénus naît dans une coquille, d'une beauté absolue dans sa nudité, le visage étant d'après les spécialistes celui d'une jeune florentine, Simonetta Cattaneo Vespucci, muse du peintre. Une grâce attend de couvrir d'un manteau la jeune déesse. Zéphire chasse les nuages (c'est son job). Le mouvement décrit à merveille cette naissance par un long crescendo à la fois épique et sensuel. Les violons imposent une mélodie tendre et charnelle à laquelle se mêlent avec élégance, un à un, les chants admiratifs des instruments de l'harmonie. Encore un tempo lent. Les instruments, tel dans la symphonie des adieux de Haydn, se retirent un à un pour conclure l'ouvrage.

La discographie de cette suite n'est hélas pas aussi abondante que celle du triptyque romain. L'interprétation de l'Orpheus Chamber Orchestra répond aux soucis habituels de cet ensemble : clarté des couleurs, transparence des lignes mélodiques, timbres enchanteurs. Neville Marriner a gravé en son temps une version tout en nuances, mais je ne trouve plus ce disque. Il existe de nombreux couplages avec d'autres suites très imaginatives de Respighi.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire