vendredi 8 juin 2018

CA TOURNE A MANHATTAN de Tom DiCillo (1995) par Luc B.


A l’époque, il était de bon ton de connaître (et d’avoir vu, c’est encore mieux) deux petits films indépendants américains, CLERKS (1994) de Kevin Smith, et CA TOURNE A MANHATTAN (1995) de Tom DiCillo. Deux réalisateurs qui n'ont pas brillé au box office depuis, ni dans les festivals... (au contraire des Spike Lee ou Jarmusch, leurs ainés). Il faut dire que dès son premier film, JOHNNY SUEDE en 1991, avec un Brad Pitt débutant, Tom DiCillo s’est fait éreinter par la profession, et mettre au rebut ! Ce second métrage serait-il une petite vengeance envers le métier ? A noter que DiCillo est le réalisateur en 2008 de WHEN YOU ARE STRANGE, excellent docu sur The Doors.
the crew...
Autre point commun avec CLERKS : une image 16 mm noir et blanc bien granuleuse. Tom DiCillo avait été le directeur photo sur STRANGER THAN PARADISE de Jim Jarmusch, ceci explique sans doute cela… En fait, pour CA TOURNE, ce n’est qu’une partie des séquences qui sont tournées en noir et blanc, car on a affaire à un film gigogne, qui repose sur le classique : le tournage dans le tournage. Typique des jeunes cinéastes fraichement sortis de l’école, je vais raconter dans mon film les galères pour faire un film. Le modèle indépassable étant of course LA NUIT AMERICAINE de François Truffaut (1973). Mais ici, Tom DiCillo tire son film vers la comédie, et ce qu’on en retient 25 ans plus tard, c’est sa fraicheur et son enthousiasme.
Wolf
On remarquera le générique, travelling vers une caméra pointée vers nous, comme dans un certain LE MEPRIS de Godard, film qui racontait déjà le tournage d'un film… Dans CA TOURNE la construction est ingénieuse, constituée de trois grandes séquences. 
Une petite équipe, fauchée, conduite par le réalisateur Nick Reve (génial Steve Bescumi), se démène en studio, pour tourner un film. Effervescence, stress, humeurs, tout le monde essaie de paraitre professionnel, pour ne pas déconcentrer les deux actrices, dans un plan dramatique, un dialogue mère / fille. Juste un petit plan, pas compliqué, mais qu’on va devoir refaire vingt fois à cause d'une erreur de texte, des nuisances sonores, la perche dans le cadre… Il n’y a pas que les projos qui pètent, les plombs aussi ! Bon, c’est rigolo, mais un peu déjà vu. Sauf que c’est un leurre. DiCillo redistribue les cartes, le « vrai » film commence (et on inverse le rapport au noir et blanc / couleur).
Tito
Deuxième séquence, avec une scène de dialogue sur un lit, entre l’actrice Nicole Springer, et son partenaire, le bellâtre et blond Chad Palomino, devant lequel tout le monde se pâme, et qui bien sûr joue comme une huitre ! Palomino est insupportable, la scène où il remet en cause les axes de caméra « pour commencer sur moi en gros plan » est excellente, avec un résultat calamiteux de visages flous, de dos, hors cadre ! Et cet andouille pense qu’affublé d’un bandeau de pirate, il sera meilleur !  
Se rajoute à cela des tensions entre les membres de l’équipe, les histoires de baises, les jalousies, les crises d’égo et de nerfs. Nick Reve est totalement dépassé, désolé par cette bande de bras cassés, quand ce n'est pas sa mère, Cora, qui débarque en plateau ! Le clou devrait être une scène onirique, avec une mariée et un nain, Tito (Peter Dinklage, de - entre autre - GAME OF THRONES). Qui se rebelle contre cette idée reçue, : pourquoi toujours des nains dans les scènes de rêve ?! « Est-ce que tu as déjà rêvé de nains ? » demande-t-il au réalisateur, « moi-même je ne rêve jamais de nains !! ». Entre la machine à fumer que trois accessoiristes n’arrivent pas à faire fonctionner, ou l'intransigeant chef op’ Wolf (Dermot Mulroney), vêtu comme un Black Panther, les entrailles retournées par une brique de lait pas fraîche... c’est la cata totale !
J’avais le souvenir d’un film plus drôle, burlesque. Certes il y a des gags, de bonnes répliques, des situations comiques, mais ce sont les allers retours entre rêve et réalité qui retiennent l’attention. Le réel / fantasmé est un ressort comique efficace, et apporte ici une dimension parfois poétique. Joli travail d’écriture, où tout s’imbrique, une bonne dynamique, un humour assez surréaliste, et des acteurs épatants. On peut reprocher un manque de développements, le film se répète un peu dans les situations, mais il y avait, et il y a encore, une vraie fraicheur dans cette comédie.

couleur / noir et blanc  -  1h30  - format 1:1.66 

     

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