mercredi 27 juin 2018

GRAVY TRAIN " (A Ballad Of) A Peaceful Man " (1971), by Bruno



       Gravy Train est un pur produit du Progressive-rock Anglais, un de ceux qui s'inscrit dans la mouvance Heavy. Une formation autant à l'aise pour composer des titres de Hard-rock bien lourds que d'autres plus éthérés ou symphoniques à forte personnalité, mélangeant avec succès, et sans pathos, instrumentation classique et rock.

       La genèse de ce quatuor remonte à la fin de 1969, année où Norman Barratt, chanteur et guitariste qui s'est forgé sur la scène nationale au sein de quelques groupes et chanteurs dont Screaming Lord Sutch's Band, (en remplacement d'un tout jeune James Patrick Page), rejoint un groupe de reprises de Liverpool, "Spaghetti House". Une formation spécialisée dans la Soul ainsi que dans le répertoire de Cream et de Jethro Tull.


     Le manque de réelle ambition de Spaghetti House, n'empêche pas les musiciens d'acquérir une bonne expérience. Ils pouvaient à l'occasion accompagner un chanteur Pop pour une tournée. 
J.D. Hughes, chants et claviers, et Lester Williams, basse et choriste, jouaient auparavant dans The Incas. Un obscur combo qui n'a laissé aucune trace discographique. Et Barry Davenport, batteur, s'est forgé au sein de The John Rotherham Trio, un groupe de Jazz. Le talent effectif des musiciens fait que dès lors qu'ils décident de se lancer dans la composition - événement borné par le changement de patronyme en Gravy Train - il ne leur faut guère de temps pour créer un répertoire intéressant et surtout avec suffisamment de personnalité et de maturité pour séduire le célèbre et influent Dj John Peel. L'intérêt de ce dernier incite le label Vertigo à les prendre sous contrat. Cette compagnie anglaise fondée en 1969 par un cadre de Phonogram, dans le but initial de promouvoir une nouvelle forme de musique en pleine effervescence : le Rock-progressif (1). Le label va rapidement élargir ses critères en allant dès l'année suivante signer un jeune groupe de Birmingham : Black Sabbath. Le label gagne ainsi rapidement en réputation avec la signature de groupes du Royaume-uni parmi les plus intéressants de la décennie.
     La formation obtient donc un contrat dans l'année même de sa création, et dans la foulée sort déjà un premier opus où semble se confronter l'univers de Jethro Tull et celui de Uriah Heep (dont le premier volet n'était sorti que depuis quelques mois). On s'attend d'ailleurs à tout moment à ce que surgisse la voix singulière du ménestrel Ian Anderson ou la wah-wah de Mick Box. Un des chanteurs dérape même parfois sur le registre de David Byron. Tandis que le morceau "Think of Life" est du pur Black Sabbath trempé dans le brouet de l'alchimiste Jethro Tull
Un très bon premier 33 tours en dépit de quelques maladresses, dont un épanchement jazzy-psychédélique sur la dernière pièce un peu lourd à digérer, et surtout inutilement long.

       Le deuxième opus, "(A Ballad Of) A Peaceful Man" est un fulgurant bond en avant. Moins Heavy que le précédent, et purgé de ses oripeaux bluesy, il en est que plus fort, plus personnel.

La première partie (ou la première face) fait la part belle aux titres de Rock-progressif, avec des ambiances parfois presque intimistes et déchirantes. Ainsi « Alone in Georgia », futur single, ouvre le bal. Une belle pièce de Heavy-rock-progressif soutenue par une modeste orchestration symphonique où le chant de Norman Barratt s'impose comme un feu dans la nuit. "(A Ballad Of) A peaceful Man" enchaîne directement, juste introduit par quelques lugubres violons, comme si c'était un seul et même morceau. On pense à un break qui après quelques instants bucoliques tombe dans une atmosphère sauvage initiée par la guitare. Cette chanson-titre alterne entre mouvements semi-acoustiques et Heavy-rock tout en progressant doucement vers une exhortation désespérée. Un appel à la paix naïf mais dont l'orchestration transporte, composant un fragile décor entre onirisme et ressentiment douloureux. "Julie's Delight" reste dans une coloration bucolique portée par la flûte omniprésente et éthérée de J.D. Hughes. Plus poétique - "à l'ombre d'un saule par un ruisseau silencieux, je fermais mes yeux et tombais dans un rêve. Je sentais des mains sombres me tirer à travers un labyrinthe. Je sentais la peur, je la respirais. Nuages noirs sauvages voilant mon regard ..." - la chanson, bien qu'au demeurant acoustique, n'en possède pas moins une certaine force dramatique. Il semble parfois émaner quelque chose de quasi religieux dans ses chansons, plus particulièrement dans le chant de Barratt. Rien de surprenant, sachant que ce dernier est parmi les premiers "rockers" Born-again (converti en 1969).
Il faut attendre "Messenger" pour passer à de nouvelles dimensions musicales. D'abord avec le premier mouvement qui prend ses aises en s'ébrouant confortablement dans le Jazz, puis avec le final qui ouvre une porte sur une voie nettement plus Heavy avec le retour de la guitare électrique imprimant des riffs et des chorus chargés de fuzz crépitante. 
Les morceaux suivants continuent dans cette voix avec un acmé final profilé par le particulièrement hargneux "Won't Talk About It" qui referme une parenthèse d'alliage métallique. 


     Ce disque se conclut par "Home Again" ; excellente pièce qui progresse tel un félin aux premiers instants de la tombée de la nuit. Félidé majestueux et sournois, avançant à pas feutrés, à l'insu de tous les êtres qu'il croise. Des proies comme des menaces potentielles. D'un air désinvolte et pourtant à l’affût du moindre bruit ou signe. 


     Il y a un contraste saisissant entre les lignes mélodieuses de flûte traversière ou autre, les phrasés de saxophone aux consonances jazzy, et le timbre plutôt rugueux du chant. Une voix puissante, habitée, entre grave et medium, sachant se faire rauque jusqu'à devenir un « hurlement râpeux et grinçant», ou même parfois presque veloutée. 
Ainsi, tout au long de l'album, ce sont les personnalités de J.D. Hughes et de Norman Barratt qui s'imposent comme deux indissociables socles sans lesquels Gravy Train ne serait rien.

       Un album de la même branche que les premiers opus de Jethro Tull (notamment "Stand Up", "Benefit" et "Aqualung"), des trois premiers opus de Jade Warrior, en passant par le Uriah Heep de « Magician birthday » et de « Demons & Wizards ». Un groupe qui pourrait également intéresser ceux qui sont sensibles aux (injustement) méconnus Big Sleep et Julian Jay Savarin, les premiers Yes, voire Van Der Graaf Generator.
   "(A Ballad Of) A Peaceful Man" est unanimement considéré comme la meilleure réalisation du groupe. Ce qui n'empêche aucunement son éviction par Vertigo qui a considéré que les ventes étaient insuffisantes et qui a préféré concentrer ses efforts sur quelques jeunes formations qui commençaient sérieusement à casser la baraque. Il est vrai qu'à cette époque, Vertigo n'avait que l'embarras du choix. 
Le quatuor est rapidement récupéré par Dawn Records, autre label spécialisé dans le Progressif. Après deux albums, bons, mais qui ne rivalisent pas avec le second, Gravy Train raccroche. 

  1.         "Alone in Georgia"                            –          4:35
  2.         "(A Ballad of) A Peaceful Man"         –          7:06
  3.         "Jule's Delight"                                  –          6:58
  4.         "Messenger"                                      –         5:58
  5.         "Can Anybody Hear Me"                   –          2:59
  6.         "Old Tin Box"                                     –         4:45
  7.         "Won't Talk about It"                          –          3:00
  8.         "Home Again"                                    –          3:25



(1) "Valentyne Suite" de Colosseum et "Manfred Mann Chapter Three" - ainsi que, dans un autre registre, le premier Juicy Lucy - dès 1969.


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