- Haydn cette semaine M'sieur
Claude… Dites-moi, en plus de ses 104 symphonies, le père Joseph a eu le temps
d'écrire quelques quatuors ?
- Hi hi Sonia, quelques ?!
68 ou 83 suivant le type de catalogue, le tout réparti sur presque cinquante
ans. D'ailleurs, il est l'inventeur du genre dans sa forme moderne qui sera
adoptée par Mozart…
- Mais il dormait parfois cet
homme ? 68 à 83 quatuors! Ils font cinq minutes ou quoi ?
- Non, une bonne vingtaine
de minutes denses, intenses, facétieuses et inventives, à l'image du personnage qui
a vécu assez âgé, il faut le rappeler…
- Ah, ça aide mais quand
même. Le quatuor Alban Berg doit assurer à mon avis, vous en disiez du bien à
propos du quintette avec deux violoncelles de Schubert …
- Oui Sonia, une
interprétation dynamique, pleine de verve et de bonne humeur…
1751 : Joseph Haydn a 19 ans. Il va inventer le quatuor à cordes. Cette révolution
débute avec deux séries de 6 quatuors qui anticipent la forme
incontournable actuelle. Haydn
exploite la forme divertimento classique en supprimant les vents et en
conservant seulement quatre voix assurés par deux violons, un alto et un
violoncelle. Dans un premier temps, ces ouvrages fondateurs comportent cinq
mouvements : Allegro – Menuet – Adagio – Menuet –
Allegro. Le premier menuet disparaitra avec le 13ème quatuor,
soit le premier de l'opus 33. Les œuvres de Haydn
sont de nos jours réunies dans un catalogue par genre. Ainsi, les quatuors
forment le groupe Hob.III. Hob comme Hoboken du nom du musicologue néerlandais qui a établi l'imposant catalogue
du maître entre 1957 et 1978. Cependant l'usage a maintenu
aussi la numérotation par Opus… On trouve souvent les deux références pour les
enregistrements. Utile pour s'y retrouver dans une production aussi abondante
et ainsi ne pas acheter deux fois la même œuvre sauf exception… Les symphonies
constituent le groupe Hob.1,
les 52 sonates pour clavier (et oui Sonia), Hob.XVI.
À
l'opposé de certains compositeurs comme Schubert,
Brahms, Dvorák et, à l'époque moderne Chostakovitch ou Glass,
Haydn
composera ses quatuors par groupes, souvent pour répondre à une commande. Beethoven à quelques exceptions près fera
de même. Mozart également, même si
dans un groupe, ils ne sont pas écrits dans la foulée mais présentent une unité stylistique
déterminée et un dédicataire unique (Quatuors milanais, viennois et plus connus, dédiés à Haydn, logique - Clic).
Donc
il y aura des périodes "quatuors". 1769-1772, 1781,
1787 et ainsi de suite jusqu'aux derniers temps du siècle des lumières où le
compositeur ne pourra plus composer intensément, concentrant ses forces créatrices sur deux oratorios magnifiques et testamentaires : La création et Les Saisons. Le quatuor "les quintes"
porte à la fois le N° Opus 76-2 ou Hob.III:76
(76 : hasard de la double numérotation).
Ah
j'allais oublier. Pour celles et ceux qui ne sont pas familiers des 77 ans de
vie et de composition intense de Haydn,
rendez-vous à l'article consacré à quelques symphonies londoniennes
(Clic).
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De g à d : Violoncelle : Valentin Erben - 1er Violon : Günter Pichler 2ème Violon : Gerhard Schulz - Alto : Thomas Kakuska (1988) |
Le
Quatuor Alban Berg fondé à Vienne en 1971 et dissous en 2008 est l'une des formations les plus emblématiques de sa
génération. Comme le mentionne Sonia, nous l'avions déjà écouté dans le quintette à
deux violoncelles de Schubert.
Seuls le premier violon et le violoncelliste n'ont jamais été remplacés au
cours des pérégrinations de l'ensemble. La photo réunit les quatre interprètes ayant
gravé ces albums Haydn. (Clic).
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Les
six quatuors de
l'opus 76 sont composés en 1797,
la même année que l'oratorio La Création, œuvre mythique. Cet Opus 76 ou encore Hob.III.75-80 est le dernier cycle
complet écrit par Haydn et le second quatuor est
l'un des plus joués. Ils ont été
édités dès 1799. La discographie en est abondante en regard des intégrales qui
se révèlent moins pléthoriques. Ils sont dédicacés au comte Erdődy (1754-1824), membre d'une noble famille hongroise. Rockin' raffole
des anecdotes autour des œuvres, donc je lui signale que la comtesse Anna Maria Erdődy (1779-1837) sera
l'une des maîtresse de Beethoven 😀.
1 - Allegro (ré mineur) : Les musiques qui nous
marquent le plus sont celles qui captent notre attention et nos interrogations
dès les premières notes. Le motif de la 5ème de Beethoven, le martèlement dramatique de l'intro
de la 1ère
de Brahms. On pourrait multiplier à l'infini les
exemples. Dans ce quatuor, les quatre premières mesurent répondent parfaitement
à cette technique d'envoûtement. Haydn
le débonnaire recourt à la tonalité de ré mineur. Surprenant ! Une tonalité
mystique et sombre, celle de l'art de la fugue (Bach) et des requiem en général (Mozart). Va-t-on écouter une musique des
sphères un peu affligée ? Pas du tout !
Une
scansion du second violon, de l'alto et du violoncelle soutient deux
quintes descendantes jouées f par le
1er violon (la-ré, mi-la). Simple, efficace, et surtout énigmatique
dans le sens où le mystère demeure sur la tournure que va prendre le flot
mélodique… De ces deux quintes provient le sous-titre du quatuor. Un
début de thème robuste sur deux mesures, ni joyeux ni grave, mais noble,
assurément. Haydn composait avec une
imagination sans borne mais avec simplicité. Ces quatre mesures sont rejouées immédiatement
à l'octave supérieur, avec d'infimes et délicates retouches, mais avec intimité,
notées p et surtout sans changement
de tempo. Une reprise quasi simpliste mais la chute de nuance apporte cette
poésie dynamique si caractéristique de la vivacité du style de l'auteur des symphonies
londoniennes. [0:26] Une nouvelle thématique animée avec de facétieuses
variations de tempo évoquent le style divertimento, une apparente contradiction
avec la tonalité choisie. Haydn
manipule comme personne ses matériaux musicaux rudimentaires mais attachants
dans un travail contrapuntique endiablé. [4:06] Le discours gagne en gravité
avec de longues notes ténébreuses du violoncelle. Un développement qui apporte
une réflexion élégiaque dans la partie centrale de cet allegro nourri des
contrastes les plus allants. Certains interprètes renouent avec l'usage de
l'époque classique en rejouant toute la première partie de la forme sonate,
portant la durée de l'allegro à près de dix minutes au lieu de six. Le quatuor Alban Berg interprète ici tout en
muscle et en vitalité et, donc, évite cette redite en gagnant ainsi en
passion dans le discours tantôt empressé, tantôt intériorisé. Du grand art !
Maison de Haydn à Vienne (lithographie de 1840) |
2 - Andante o più tosto
allegretto
(ré majeur) : [6:55] Petite marche
hivernale dans une neige qui croustille ou déambulation estivale sous les
ramures ; celle des pizzicati du second violon, de l'alto et du violoncelle.
Le violon solo déploie une sinueuse mélodie un peu hésitante. Haydn tenterait-il de partager ses doutes et
ses inquiétudes à l'approche du statut rare à cette époque de septuagénaire, de
compositeur quasi officiel de Vienne et même de l'Europe, notamment de Paris. Une
promenade aux pas mesurés de vieil homme à qui la vie a souri. L'indication
sophistiquée du tempo et l'optimiste ré majeur peuvent laisser croire à cette hypothèse : "retenue mais un peu allègre quand même".
[10:17] Une seconde idée plus gaie se développe toujours accompagnée de
pizzicati. Ce mouvement tendre et courtois fait songer par moment à un concerto
pour violon de par l'importance donnée au jeu du 1er violon. Haydn poursuit sa recherche d'une mélodie
facile et charmante ; on pourra avoir l'impression d'un mouvement monothématique
égayé de quelques variations sans changement affirmé de ligne mélodique. Le jeu
du Quatuor Berg est comme à l'accoutumée
d'une belle limpidité. La coda achève l'andante dans un climat enchantée.
Sorcières pipelettes |
4 - Vivace assai (ré mineur)
: [15:52] Haydn reprend la tonalité ré
mineur pour s'adonner à son péché mignon : la musique poilante ! Un premier
thème réjouissant et espiègle est proposé par le violon solo et se heurte au
silence d'un demi-soupir en point d'orgue ?! Idée cocasse, les musiciens ont-ils
perdu une page ? Cette introduction facétieuse est reprise da capo. Plusieurs
idées, toutes aussi pétulantes vont se développer comme toujours chez Haydn dans diverses dimensions, une
musique qui ne fait que s'entrouvrir comme des pétales de fleurs, se veut
taquine et comique, mais sans jamais s'empresser. On reconnaîtra pour ceux qui
connaissent bien les symphonies parisiennes (Clic) ce qui semble une
citation tirée de la symphonie N°82 "l'ours" avec son rythme pataud
(à [17:25] & [19:48]). Un final bref avec une alacrité et un jeu d'archet staccato
et savoureux du Quatuor Berg et surtout… sans
fioritures. (Partition)
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Pour
la discographie, la situation est assez identique à celle évoquée à propos des
sonates de Scarlatti. On peut tomber
amoureux du style de Haydn,
de cette genèse primordiale du répertoire pour quatuor et souhaiter tout
écouter ou bien déguster une sélection. Pour l'intégrale : un choix fait consensus : le coffret monument gravé entre 2005 et 2009 par le Buchberger Quartet
de Francfort fondé en 1974. Le
marathon s'étire sur 23 CD… Et il faut savoir que même si Haydn
n'est jamais ennuyeux, au minimum divertissant à défaut de faire preuve de
génie dans tous les quatuors, 23 CD : il faut avoir la passion… Soucieux de fidélité
historique, dans certains opus les quatre artistes font les reprises. C'est le cas pour l'opus 76-2. Prise de son un peu terne. Prix
archi modique (Brillant – 4/6).
Sur
instruments d'époques, avec le Quatuor Mosaïques
coaché par le violoncelliste et chef baroque Christophe Coin, on entendra les sonorités chaudes et acidulées
d'interprétations vivifiantes, la vie débridée selon Haydn.
La reprise est assurée, mais avec la fantaisie du phrasé, on pardonne toute longueur. Un grand cru
et une prise de son équilibrée ; que du bonheur. Il existe un coffret de dix CD
réunissant les quatuors "de la maturité : opus 20, 33, 64, 76 & 77.
(Naïve – 6/6).
On peut ne souhaiter qu'un choix limité pour découvrir, dans le genre "les
plus beaux quatuors". Puisés dans les enregistrements des années
1960 du Quartetto Italiano, DECCA a
rassemblé quatre des meilleurs opus dont le 76-2. Beauté élégante du jeu,
raffinement et lumières des italiens, belle prise de son d'origine Philips (DECCA – 6/6).
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