lundi 26 mars 2018

NOUVELLE GRAMMAIRE FINNOISE de Diego MARANI (2003) – par Nema M.



- Sonia, j’ai pas le temps de rester bavarder à cause de la neige. Tiens voici ma clé USB avec ma chronique.
- J’espère un texte ensoleillé et chaud car j’en ai marre de l’hiver !
- Heu… Pas vraiment. J’emmène nos lecteurs en Finlande avec cette belle histoire, intitulée « Nouvelle grammaire finnoise », autour de la langue et des racines de chacun d’entre nous…

Helsinki vers 1940
La langue maternelle est une musique douce, qui nous imprègne dès avant la naissance, de son rythme, de ses sonorités, de son caractère chantant ou guttural… On se l’approprie sans besoin de solfège, sans besoin d’instrument autre que nous même et notre sensibilité, notre écoute, notre voix. Petit à petit les sons font sens. Et de musique, elle devient langage, moyen d’expression de ses sentiments et de sa pensée, et moyen de partage avec tous ceux qui la parlent. Mais que se passe-t-il quand on l’oublie ? Quand la pauvre tête subit un tel choc que tout est effacé, comme un disque dur reformaté et redevenu vierge… Plongez-vous dans la « Nouvelle grammaire finnoise » et vous en aurez une petite idée.
Nous sommes en 1943, au large de Trieste. C’est la guerre. Sampo Karjalainen (tel est le nom qui est attribué par le Dr Friari à un homme grièvement blessé à la tête, à bord du navire hôpital allemand le Tübingen) se réveille difficilement du coma, totalement amnésique et sans voix. Le Dr Friari est finlandais d’origine et en trouvant le nom de Sampo Karjalainen sur la veste de marin de son malade, ainsi qu‘un mouchoir brodé aux initiales de SK dans la poche, il est persuadé que l’homme est finlandais. (Le « Sampo » est un objet magique dans les légendes finlandaises). Il utilise donc sa propre langue maternelle le finnois avec son patient, alors que les infirmières et les autres personnes à bord parlent allemand. Le Dr Friari pense qu’en entendant sa langue maternelle, en replongeant le plus loin possible dans son être, Sampo va refaire surface et renaître. Langage des signes, langage des sons, géographie sommaire des régions européennes, dénomination d’objets du quotidien etc. tout est bon pour le Docteur qui en profite pour lui-même revenir à ses racines. Mais Sampo ne se souvient de rien, il cherche, cherche au plus profond de lui-même : mais rien qu’un vide sidéral, douloureux. 
Canonnière (le bateau de Sampo ?)
Alors le Dr Friari se démène et réussit à faire partir Sampo Karjalainen pour Helsinski, pour un autre hôpital militaire où il devrait être pris en charge, puisqu’a priori il n’a rien à faire à Trieste. Cela ne va pas se passer tout à fait comme prévu. Sampo est installé dans l’aile des visiteurs, le neurologue pour lequel il a une lettre de recommandation n’est pas là. En fait, il ne reviendra jamais dans cet hôpital. Sampo restera dans l’aile des visiteurs.
Très difficile pour Sampo de sortir de cette forme de huis-clos dans sa tête : ses réflexions tournent en boucle. Heureusement, le pasteur Olof Koskela, aumônier de l’hôpital, lui donne des leçons de grammaire et de vocabulaire. Mais pas seulement, il en fait également son public pour des sermons ou des évocations d’idées autour de la religion et surtout autour des racines de la culture finlandaise, culture assez peu connue, coincée entre la Scandinavie et ses fameux Vikings et le monde Slavo-russe. Nombreuses sont les allusions au Kalevala, cette épopée écrite au XIXème siècle à partir des poésies populaires anciennes.
Diego Marani
Et il y a aussi l’infirmière Ilma Koivisto, jeune femme qui essaye de sortir Sampo de cet hôpital, de l’emmener à travers sa ville d’Helsinski, de lui expliquer les saisons (non, visiblement le printemps n’est pas une belle saison en Finlande). Elle lui apprend même à chanter  la « Porilaisten Marssi » (marche militaire). Mais elle est affectée à Viipuri et contribue à la création et au fonctionnement d’un centre médical de campagne. Viipuri (Vyborg) est aujourd’hui une ville à la frontière entre la Russie et la Finlande. A l’époque, la Carélie est Finlandaise, la Finlande se bat avec l’Allemagne : ce n’est qu’après un combat effroyable contre les soldats russes, que cette région est de nouveau annexée par la Russie. Il y a des allusions à cette guerre, il y a des blessés, des morts. Par petites touches, notre héros va finir par s’en imprégner, et par s’approprier la cause des Finlandais.
La construction du roman est originale. Même si on sait dès le début que le malheureux Sampo Karjalainen n’est pas finlandais mais italien, il y a une forme de suspens qui tient en haleine jusqu’à la dernière page. Ce roman mêle le récit à la première personne du Dr Friari, les notes prises par Sampo dans son cahier/journal d’apprentissage de la langue, et les lettres d’Ilma à Sampo (qui est peut-être plus soignante qu’aimante). Mais bien qu’essentiellement à la première personne, le récit comporte également de belles descriptions, notamment de la ville d’Helsinski à l’époque…  Et puis il y a les mots, les expressions, les allers-retours entre des termes finnois et leur traduction, les allusions aux légendes véhiculées par des bardes tout au long des siècles et reprises dans le Kalevala. Un peu difficile pour un français de mémoriser des mots issus de cette culture si loin de nous, mais peu importe.
L’auteur, Diego Marani, est né en Italie en 1959, à Ferrare. Il est journaliste et écrivain mais également traducteur au Conseil de l’Union Européenne. Ceci explique sans doute la précision apportée dans cette « étude grammaticale ».   
Bonne lecture !

175 pages. Traduit de l’italien par Danièle Valin, Rivages



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