- Ah, 3ème chronique consacrée aux quatre symphonies de Brahms
M'sieur Claude… Alors on fait le point : déjà la 1, la 4 et aujourd'hui la
2, manquera la 3ème…
- Bien vu Miss Sonia, les symphonies de Brahms sont toutes passionnantes
car des œuvres tardives. Brahms avait mûri vingt ans avant de débuter dans
le genre.
- Oui vous nous en aviez parlé à propos de la 1ère dirigée par
Abbado, un Brahms intimidé par le génie de celles de Beethoven. Kurt
Sanderling me dit quelque chose…
- En effet, l'un de mes premier RIP. Le chef était décédé la veille de
ses 99 ans en 2011. D'origine prussienne, cet artiste avait été un temps
le Karajan de Berlin Est.
- M'sieur Pat m'a dit que ses disques sont excellents mais difficiles à
dénicher…
- Pas faux, et pourtant ses enregistrements de Brahms, Mahler,
Chostakovitch ou Sibelius ont été réédités largement par Berlin Classics
il y a quelques années. Là c'est RCA…
Kurt Sanderling en fin de concert en 2002, à 90 ans ! |
Quel maestro de renom, ou moins médiatique, n'a pas souhaité enregistrer ce
carré d'as symphonique du plus pur romantisme allemand ? La discographie des
quatre symphonies de
Brahms est tellement riche que nombre d'excellentes interprétations n'ont été
disponibles qu'un temps. Il y a l'embarras du choix pour écrire des
chroniques sur chacun de ces monuments, ou plutôt, faire un choix est
embarrassant face à cette pléthore de gravures. D'autant que certains chefs
ont confié aux disques plusieurs intégrales (quatre fois officiellement pour Karajan, sans compter des live). Je saute donc sur l'opportunité d'inviter Kurt Sanderling, grand brahmsien, qui enregistra deux fois l'intégrale, ici avec la Staastkapelle de Dresde
au début des années 70 puis avec l'orchestre symphonique de Berlin
qu'il dirigea de 1960 à 1977.
(Clic)
En 2011, j'avais rédigé un RIP sur le chef prussien mort la veille de
ses 99 ans et qui avait dirigé âgé de 90 ans et plus avant de raccrocher.
Une longévité qui lui avait permis de traverser le XXème siècle musical et
même de rencontrer
Jean Sibelius né en 1864 ! Il offrira au disque les
sept symphonies du compositeur finlandais en connaissance de cause. Prussien et juif, Kurt Sanderling
dû fuir l'Allemagne nazie dès 1936 pour l'URSS, d'abord pour Moscou
puis pour Leningrad où il sera l'assistant de l'autocratique mais génial Mravinsky
de 1942 à 1960 ! Mravinsky, ami de Chostakovitch, dirigeait avec bonheur la musique classique et romantique de l'occident,
de Beethoven
à Strauss, en passant par Debussy
et Bartók. Son compositeur de prédilection : Brahms
et notamment la 2ème symphonie
pour laquelle, à la fin de sa vie, il exigeait encore six répétitions, au
grand dam des responsables financiers de la Philharmonie de Leningrad.
Kurt Sanderling
héritera du maître russe l'intransigeance en termes de précision, de
transparence, d'équilibre et de fidélité au texte ; mais en adoptant des
tempos moins héroïques… Heu, un caractère plus souple ?
On va retrouver ce style de direction dans le disque de ce jour : un geste
large et un lyrisme épanoui. Kurt Sanderling
fut le chef principal de la Staastkapelle de Dresde
entre 1964 et 1967, la ville se trouvait à l'époque en
Allemagne de l'Est. RCA qui maîtrisait depuis une quinzaine d'années
la "bonne" stéréo obtint de capter en RDA ces sessions qui à mon sens
restent trop confidentielles au catalogue… N'anticipons pas ; saut dans le
passé en 1877…
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Brahms en 1875 |
En 1876, Brahms
avait enfin sauté le pas après 20 ans d'hésitation et de travail en achevant
sa 1ère symphonie
et en confiant la création à Felix Otto Dessoff. Compositeur pourtant accompli, Brahms
soucieux du travail bien fait, craignait d'être à cent lieues du génie de Beethoven
dans le domaine ! L'histoire lui donna tort puisqu'à la première fut un tel
succès que Hans von Bülow, comme pour le contredire parla de "la 10ème de Beethoven". Pour en savoir plus (Clic).
Galvanisé par ce succès, Brahms
commence une nouvelle symphonie moins d'un an après pendant l'été
1877. Il séjourne alors dans les Alpes Autrichiennes, plus au calme
qu'à Vienne. Et ce dépaysement va lui inspirer une partition moins
olympienne que la
1ère symphonie
et surtout plus bucolique, moins tragique mais pas moins romantique. Très en
forme, il va travailler également sur son concerto pour violon, autre partition d'exception.
Brahms
était-il farceur quand il confia à Clara Schumann
que "la nouvelle symphonie sera si lugubre, que l'on devra l'écouter en
portant un crêpe au bras." !? Oui, le ré majeur opposé au sombre UT mineur de la 1ère est
déjà une réponse à la question.
L'affaire sera rondement menée puisque la création aura lieu le 30 décembre
1877 à Vienne par Hans Richter. C'est un triomphe, le final doit être donné en bis. Vrai timide, Brahms
restera enfermé dans sa loge…
De forme classique, la symphonie comporte quatre mouvements. Son
orchestration se distingue du modèle beethovénien uniquement au niveau des
cors et de l'ajout d'un tuba :
2/2/2/2, 4 cors (2 en do, 2 en mi bémol ; ils ont un rôle soliste
important), 2 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales et cordes.
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1 - Allegro non troppo
: Trois notes aux contrebasses et violoncelles colorent une douce aurore
dans laquelle le premier thème est chanté par les deux cors en do. Ils sont
rejoints de mesure en mesure par les bassons, puis remplacés dans l'énoncé
de ce thème élégiaque par les clarinettes et les flûtes à l'unisson. La
première symphonie se voulait épique, la seconde sera bucolique et
picturale. Ces instruments se regroupent et développent avec élan ce chant
poétique, cette méditation face aux sommets boisés. Violons et altos
prolongent un temps (dolce) cette ambiance rêveuse. [1:25] L'exposé du second thème est confié aux
altos et violoncelles, une mélodie à l'esprit épicurien.
XXXX |
La richesse du contrepoint et des chassés croisés instrumentaux est
stupéfiante. Brahms joue sur des tonalités féériques comme le fa dièse
mineur vs majeur. Les phrases musicales sinueuses nous baladent de pupitre
en pupitre. Brahms
s'enthousiasme pour son travail, un plaisir qui rejaillit dans la complexité
limpide (ce n'est pas antinomique) de sa composition. Sous l'apparente
douceur du discours, des solos lyriques et héroïques s'imposent comme autant
d'épisodes, de surprises, de contemplations lors d'une promenade champêtre
ou forestière. La seconde partie du mouvement donne la part belle à quelques
éclats de bravoures, mais sans jamais quitter un esprit de bonhomie. Ainsi à
[6:03], une marche vigoureuse, staccato, dopée par les traits virils des
cuivres soutenus par le tuba [6:51], alterne vigoureusement crescendos et
decrescendos dans un style farouchement épique. Ce passage va marquer d'un
ton altier la partie médiane de l'allegro. [10:04] Une rupture brutale
d'ambiance avec les réminiscences assagies et secrètes de la thématique
initiale. Procédé qui structure la forme sonate à laquelle Brahms
reste attaché, mais sans les répétitions lassantes et académiques, rançon de
la forme. [10:38] Le retour des motifs symbolisant les couleurs du levant
vont nourrir très logiquement la fin de la symphonie, de manière plus
lumineuse et sans hâte, jusqu'à une péroraison récapitulative conduisant à
une pittoresque coda dansante et rythmée, un point d'orgue affirmé de
l'harmonie et un ultime et facétieux pizzicato. Certains maestros font la
reprise de l'introduction suggérée dans la partition, portant ainsi la durée
du mouvement à 20 minutes. Ce n'est pas le cas ici. Deux mots sur cet
interprétation de Kurt Sanderling
: des tempi réguliers, un espace large sans pathos, un jeu équilibré des
bois et des cuivres, aucun hédonisme… du grand art et une belle prise de son
!
Nota : Brahms
n'hésite pas à recourir à la "parodie" (réutilisation d'idées musicales
reprises d'autres œuvres). Ainsi, à [2:30], la noble et placide mélodie aux
cordes seules n'est autre qu'une adaptation de l'un de ses plus beaux lieder
: Guten Abend, gut Nacht
opus 49 N°4 de 1868, connu
sous le titre La berceuse de Brahms. (Céline Dion
l'a chantée.) La thématique s'insinue avec grâce dans l'atmosphère
nocturne, bien étoilée, qui caractérise les intermèdes sereins de l'allegro.
J'ai ajouté une vidéo de ce lieder chanté par Anne-Sofie von Otter…
2 - Adagio non troppo
: [16:23] Le soir, sur Radio Classique, Olivier Bellamy invite des
personnalités de tout horizon. Il propose l'écoute des "petites madeleines" musicales (pas de Proust) : des petits ou grands morceaux qui ont frappé
l'invité dès la première écoute et qui ont marqué sa vie. C'est mon cas pour
cet adagio, dirigé par qui ? Walter
? Karajan ? Je ne sais plus et ça n'a aucune importance…
Le premier thème, aérien et enchanteur, est énoncé par les altos,
violoncelles et contrebasses ff.
D'autres instruments de l'harmonie soufflent un vent folâtre pour
accompagner discrètement p et
pp cette mélodie semblant
inspirée par la vision des montagnes depuis un haut sommet. [16:57] Le long
thème se transforme en douceur, tendrement : immensité, contemplation,
rêverie… à chacun de traduire la volupté de ce chant qui se présente comme
un hymne à la nature, mais manifeste aussi la jouissance profonde ressentie
par Brahms
en ce séjour estival. [18:02] Le phrasé sinueux aux cordes s'arrête et
invite un cor à la fois si lointain et si proche à apporter un air pastoral.
Cor qui prolonge son solo par un dialogue passionné avec les hautbois. Qui a
dit que Brahms
n'était pas un bon orchestrateur ?
L'adagio n'est qu'une longue variation à partir de ces motifs ondulant
comme le flot d'un torrent. (Variation au sens développement et non
solfégique, même si Brahms
raffolait du principe.) Brahms
manipule le temps par ces variations instrumentales sans cesse renouvelées à
partir d'un leitmotiv digne d'un poème symphonique, mais caché dans une
forme sonate (balèze le compositeur), mais aussi l'espace par le jeu des
nuances et de la dynamique. Pour écrire un poncif : sublime de tendresse et
de grandeur mêlées. [19:24] Seconde idée thématique notée
istesso ma grazioso (même tempo, avec grâce) : un chant lumineux des bois soutenu par un léger pizzicato des
violoncelles confirme l'inventivité sans borne du cantabile, créativité
inouïe qui pourtant ne cède en rien à la robustesse de l'architecture de la
forme sonate et à la cohésion du flot musical… [20:29] Des tensions
pathétiques interviennent mais sans brusquerie ; interrogations spirituelles
ou saute de vent ? Magie et mystère de l'inspiration et par ricochet de
l'émotion chez l'auditeur. [21:34] À partir d'une reprise du motif originel, Brahms
poursuit son aventure mélodique et retrouve son thème secondaire féérique
[23:03]. [23:52] L'autre motif proposé
en fin d'introduction, lors du solo de cor, resurgit pour développer un épisode que l'on trouvera dramatique ou
simplement majestueux. Dernière récapitulation avant la coda.
3 - Allegretto grazioso (quasi andantino)
: [26:05] Attaché au classicisme, Brahms
obéissait de facto à la règle du scherzo, intermède avant le final. Mais à
l'opposé du wagnérien Bruckner
(qui fut son "ennemi" musical), il en limitait sa durée à quelques minutes
pour éviter les redites qui sont souvent les points faibles des symphonies
de son concurrent autrichien. Ma non
troppo, quasi
andantino, con spirito, Brahms
insiste par ses précisions sur les indications de tempo sur son désir de
retenue dans l'interprétation et sur l'absence de précipitation au bénéfice
de la respiration et de la tranquillité.
Un scherzo banal dans sa forme tripartite mais dansant et vivace sur le
fond. Au programme : danse villageoise, un bal guilleret aux hautbois,
clarinettes et bassons sur fond d'arpèges en pizzicati des violoncelles.
Doucement, la flûte et deux cors se joignent à ces réjouissances de
kermesse. Dieu que c'est coloré. Ce joli thème pastoral est repris da capo.
[27:13] Le trio assez élaboré et plus énergique (presto) renvoie par ses
changements de rythmes aux danses hongroises dont Brahms
était si friand et aussi aux danses slaves de son ami Dvořák. [29:35] Le scherzo se conclut par une reprise classique avec quelques
embellissements et des accords de bois.
Kurt Sanderling fait briller chaque pupitre, sans hâte, de manière élégante et
festive…
4 - Allegro con spirito
: [31:32] L'imagination fertile de Brahms
ne faiblit pas dans le final. Si l'allegro et l'adagio disposaientt d'un
matériau musical d'essence commune, le final se nourrit de contrastes
saisissants.
Les 23 premières mesures font virevolter les cordes pour prolonger
l'atmosphère dansante du Scherzo. Un premier thème tempétueux et victorieux
éclate f dans l'orchestre à
l'unisson et nous entraîne dans un ballet endiablé, scandé par des cordes
staccato et des phrases enjouées des clarinettes reprises par l'harmonie.
[33:06] Un second thème apparaît plus lascif et langoureux mais non moins
idyllique. Quand je parlais de contrastes… Brahms
conjugue bonhomie et virulence. Le final semble vouloir se construire sur
l'opposition farouche de ces deux thèmes. Mais, une fois plus, Brahms
s'amuse à varier les règles du développement par des changements incessants
de tempos et donc d'émotion. Les motifs mélodiques sont si riches et
originaux que le compositeur peut tout se permettre pour pétrir la pâte
sonore avec un éclectisme sans limite, [34:44] et [35:24] ou [35:55] par
exemples. Ce final, loin des figures imposées parfois mornes (Schubert
?) est une œuvre dans l'œuvre par sa fantaisie diabolique. La forme sonate
impose certes des reprises mais avec une infinie folie orchestrale. La coda
vertigineuse et paroxystique permet aux quatre cors et trombones de lancer
un ultime appel dans un orchestre gagné par la frénésie…
(Partition)
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- Bigre, il n'a pas l'air aimable, le maestro Mravinsky sur la première
jaquette M'sieur Claude… Hi Hi, Dracula avec une baguette !
Sonia ironise mais il faut bien dire que la photo du maestro russe reflète
à merveille le caractère ombrageux du gaillard, autoritaire au point que
même les sbires de Staline étaient interdits de séjour dans la salle de la Philharmonie de Leningrad
en dehors des concerts. Pas touche non plus à ses musiciens qui pourtant
n'en menaient pas large, arrivant aux répétitions une demi-heure avant, la
peur au ventre, craignant de faire une fausse note 😊. Mravinsky
comme Celibidache
abhorrait les enregistrements, surtout en studio. DOREMI a compilé
quatre live radiodiffusés et captés lors de tournées, dans la grande salle
du Singverein de Vienne, salle que le chef soviétique aimait car
l'architecture et l'acoustique sont très semblables à celle de la salle de
Leningrad (Saint-Pétersbourg). Les ingénieurs du son du label ont
remasterisé avec brio quatre concerts datant de 1949, la 1ère symphonie, à 1978 pour justement la 2ème symphonie. En 38 minutes, le chef synthétise toutes les subtilités de la partition,
la poésie, les ruisseaux et les flammes. On s'interroge encore sur cette
capacité pour un esprit a priori aussi sévère à obtenir de ses troupes une
telle finesse sans aucune mièvrerie. Et si Yevgeny
avait appris à cacher son cœur face à un régime monstrueux qu'il supporta pendant cinquante ans et
peut-être même honnissait ? Question posée dans un documentaire sur Arte.
(DOREMI – 6/6 – son d'un autre âge. Prix pour amateurs
inconditionnels.)
Difficile de parler de la discographie des
symphonies de
Brahms sans faire référence aux nombreuses intégrales de
Karajan. Perso, j'ai un faible pour la 2ème gravée à Berlin dans les
années 60 ; une approche dramatique sans doute, mais un son moins épais
qu'aux époques suivantes (trop de micros, un flou sonore soyeux mais trop
germanique à mon goût). (DG - 5/6)
Pour terminer ce mini survol, un disque récent : celui de
Mariss Jansons
avec l'Orchestre de la radiodiffusion Bavaroise. Assistant de
Mravinsky
et de
Karajan, successeur de
Sanderling, Jansons
a bien appris : clarté du propos, fidélité de la lettre, émotion romantique,
tempi qui ne s'enlisent jamais. (BR – 6/6 - Prise de son
magnifique).
Et bien entendu, les chefs déjà cités dans les deux autres articles, de
Giulini
(avec la
Philharmonie de Vienne, sans doute un 6+) à
Abbado, d'autres à mentionner ou à rééditer :
Maazel, Haitink,
Jochum,
Szell, etc. ne peuvent jamais décevoir. Le choix est immense…
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