- Salut Nema, passe-moi ce bouquin….
« Le censeur » : une histoire de lycée ? De profs ? On
ne parle plus de censeur mais de proviseur ou de principal !
- Tu n’y es pas du tout Sonia. C’est
un roman historique qui se passe au XIXème siècle.
- Ah ? Et ça dit quoi ?
- Sonia, tu pourrais te cultiver un
peu de temps en temps et dans d’autres domaines que la musique classique…
- Y en a marre ! J’vais me
plaindre à M’sieur Claude…
Clélia Anfray |
Charles Brifaut habite rue du
Bac à Paris, un appartement qu’on imagine assez grand, bien meublé. Il dispose
de quelques domestiques dont Baptiste, un drôle de zigoteau un peu feignant
mais dévoué. Académicien très classique, dramaturge qui s’y croit, Charles Brifaut
est imbu de lui-même, coquet, désireux de plaire, facilement amoureux (en
général de comédiennes) et d’une santé assez fragile. Bon. Ce héros est assez loin
des critères contemporains de l’homme aventurier, bodybuildé, créateur,
séducteur… Bref pas du tout James Bond, pour faire simple.
Comme
il est regrettable que l’attrait du pouvoir, ou de la fréquentation des hommes
de pouvoir, conduise à accepter parfois ce qui est inacceptable ! Car ce
pauvre Brifaut,
qui se veut noble (de naissance bien que ce ne soit pas vrai, et d’intelligence
en copiant et en chérissant les écrits du passé), va tout faire pour avoir les
bonnes grâces du roi Charles X. Tout. Jusqu’à devenir censeur. Plus précisément
« inspecteur de la commission d’examen »
des œuvres pour le théâtre. Et voilà comment cet écrivain de salon dont
l’œuvre principale porte un titre pompeux (Ninus II, il fallait y penser…), se
voit confier, avec une équipe de quatre lecteurs, le travail délicat de lire et
de juger, à l’aune d’un respect exacerbé de la monarchie, toutes les pièces de
théâtre produites à l’époque avant qu’elles puissent donner lieu à
représentation en public.
Charles X |
Pièces
destinées au Théâtre Français, à l’Odéon… il ne faut pas tout mélanger : en
fonction du public, estimé plus ou moins averti, une certaine modulation dans
l’approche de la censure est effectuée. J’oubliais de dire que parfois, si
l’auteur y consent et modifie son texte, voire change le contexte dans lequel
se déroule l’intrigue, cela peut lui permettre d’obtenir la sacro-sainte
autorisation d’être joué. Quelle époque ! Brifaut, consciencieusement, en
bon fonctionnaire plaçant l’obéissance au-dessus de tout, se plie et interdit,
interdit, interdit… et se voit dans l’obligation d’abandonner l’idée de faire
jouer sa propre pièce Jeanne Gray (on ne peut pas être
juge et partie). Et l’ambiance chauffe dans Paris. Marre de cette censure
abusive ! Et Brifaut va croiser le chemin de Victor Hugo. Pas près de changer un iota
d’Hernani,
le bonhomme : cette fameuse pièce dont il écrira plus tard qu’elle
« a vu le soleil de la rampe au milieu des orages et des tonnerres ».
Comédie Française au XIXème siècle |
Cette
vie de censeur, à la fois imaginaire et basée sur des faits réels, est un roman
captivant. On entre dans l’histoire et dans l’Histoire grâce à un style fluide
et parfois un peu vieillot, qui sied très bien à cette ambiance feutrée et
désuète. L’auteure, Clélia Anfray est
historienne de la littérature du XIXème siècle, d’où ce soucis de la
précision historique et en même temps, elle a su donner une certaine part de
mystère à cette tranche de vie fictive, ce qui en fait un roman tout à fait du
XXIème siècle.
Bonne lecture !
Gallimard - 297 pages
Gallimard - 297 pages
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