lundi 26 février 2018

LE CENSEUR de Clélia Anfray (2015) - par Nema M.



- Salut Nema, passe-moi ce bouquin…. « Le censeur » : une histoire de lycée ? De profs ? On ne parle plus de censeur mais de proviseur ou de principal !
- Tu n’y es pas du tout Sonia. C’est un roman historique qui se passe au XIXème siècle.
- Ah ? Et ça dit quoi ?
- Sonia, tu pourrais te cultiver un peu de temps en temps et dans d’autres domaines que la musique classique…
- Y en a marre ! J’vais me plaindre à M’sieur Claude…

Clélia Anfray
« Les journaux et écrits périodiques ne pourront paraître qu’avec l’autorisation du Roi, jusqu’au 1 janvier 1818 ». Deux siècles en arrière et nous voici au temps de la Restauration de la monarchie. La presse est muselée. C’est la censure. Mais ce n’est pas de cette censure là que traite le roman que je vais vous faire découvrir. Situons-nous un peu plus tard, à Paris, en 1827.
Charles Brifaut habite rue du Bac à Paris, un appartement qu’on imagine assez grand, bien meublé. Il dispose de quelques domestiques dont Baptiste, un drôle de zigoteau un peu feignant mais dévoué. Académicien très classique, dramaturge qui s’y croit, Charles Brifaut est imbu de lui-même, coquet, désireux de plaire, facilement amoureux (en général de comédiennes) et d’une santé assez fragile. Bon. Ce héros est assez loin des critères contemporains de l’homme aventurier, bodybuildé, créateur, séducteur… Bref pas du tout James Bond, pour faire simple.
Comme il est regrettable que l’attrait du pouvoir, ou de la fréquentation des hommes de pouvoir, conduise à accepter parfois ce qui est inacceptable ! Car ce pauvre Brifaut, qui se veut noble (de naissance bien que ce ne soit pas vrai, et d’intelligence en copiant et en chérissant les écrits du passé), va tout faire pour avoir les bonnes grâces du roi Charles X. Tout. Jusqu’à devenir censeur. Plus précisément « inspecteur de la commission d’examen » des œuvres pour le théâtre. Et voilà comment cet écrivain de salon dont l’œuvre principale porte un titre pompeux (Ninus II, il fallait y penser…), se voit confier, avec une équipe de quatre lecteurs, le travail délicat de lire et de juger, à l’aune d’un respect exacerbé de la monarchie, toutes les pièces de théâtre produites à l’époque avant qu’elles puissent donner lieu à représentation en public.  
Charles X
Assez rapidement, Brifaut se retrouve avec un secrétaire particulier, Monsieur K. S’il avait eu un ordinateur, un traitement de texte et un tableur Excel, ce dernier aurait probablement réussi à automatiser une bonne partie de la censure en traquant des mots ou des expressions jugées incorrectes et en attribuant des notes permettant de refuser très rapidement et de façon « scientifique » tel ou tel ouvrage. Bon. C’était pas comme ça au XIXème siècle, mais ce qu’il propose et met en place ne vaut gère mieux. Je n’en dirai pas plus. Le pauvre Charles Brifaut va imaginer toutes sortes de choses à propos de ce Monsieur K, être énigmatique, russe d’origine, qui se dit bien connaître le ministre et son épouse
Pièces destinées au Théâtre Français, à l’Odéon… il ne faut pas tout mélanger : en fonction du public, estimé plus ou moins averti, une certaine modulation dans l’approche de la censure est effectuée. J’oubliais de dire que parfois, si l’auteur y consent et modifie son texte, voire change le contexte dans lequel se déroule l’intrigue, cela peut lui permettre d’obtenir la sacro-sainte autorisation d’être joué. Quelle époque ! Brifaut, consciencieusement, en bon fonctionnaire plaçant l’obéissance au-dessus de tout, se plie et interdit, interdit, interdit… et se voit dans l’obligation d’abandonner l’idée de faire jouer sa propre pièce Jeanne Gray (on ne peut pas être juge et partie). Et l’ambiance chauffe dans Paris. Marre de cette censure abusive ! Et Brifaut va croiser le chemin de Victor Hugo. Pas près de changer un iota d’Hernani, le bonhomme : cette fameuse pièce dont il écrira plus tard qu’elle « a vu le soleil de la rampe au milieu des orages et des tonnerres ».
Comédie Française au XIXème siècle
Au-delà de la vie professionnelle de Charles Brifaut, ce roman nous propose de découvrir quelques-unes des relations de cet homme, arriviste mais sensible, relativement tourmenté et facilement amoureux de la première jeune beauté qui passe. Ainsi, on fera la connaissance de deux comédiennes (plutôt du genre « pestes » qui essaient à tout prix d’obtenir des premiers rôles)  et d’une charmante marquise de Grollieu, femme d’esprit, cultivée et profondément gentille. Cette dernière n’hésite pas à héberger plusieurs fois dans sa résidence du côté de Brunoy (région parisienne), un Charles affaibli et défait suite à toutes sortes de problèmes tant psychologiques que physiques. C’est quand même l’époque du romantisme, cela se sent. Le jardin, le salon, les conversations, les traits d’esprit et les dîners fastueux sont agréablement décrits.

Cette vie de censeur, à la fois imaginaire et basée sur des faits réels, est un roman captivant. On entre dans l’histoire et dans l’Histoire grâce à un style fluide et parfois un peu vieillot, qui sied très bien à cette ambiance feutrée et désuète. L’auteure, Clélia Anfray est historienne de la littérature du XIXème siècle, d’où ce soucis de la précision historique et en même temps, elle a su donner une certaine part de mystère à cette tranche de vie fictive, ce qui en fait un roman tout à fait du XXIème siècle.

Bonne lecture !
 
Gallimard - 297 pages


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