mercredi 10 janvier 2018

UFO "Obsession" (1978), by Bruno


 

        Je me souviens de la découverte de cet album presque comme si c'était hier. Découvert un peu sur le tard, en raison d'articles de presse souvent critiques, et aussi parce qu'absent des rayons des disquaires. Il y avait bien ce double live que l'on m'avait maintes fois chaudement recommandé, mais la pochette me rebutait (c'est con, mais c'est comme ça). Il y avait bien aussi les soli lumineux de l'excellent « Lovedrive », où le petit frère Michael était venu retrouver ses anciens camarades de jeu et son frérot Rudolph.

Cependant, les critiques évoquant un disque tombant dans la facilité d'un Rock mainstream, policé, d'un Heavy-rock mélodique se compromettant pour séduire le marché lucratif des USA avec ballades mielleuses empêtrées dans des nappes de violons larmoyants, m'avaient ôté toute curiosité. Des mots effrayants pour un jeune gars en plein trip Motörhead, pour qui les Who sonnaient trop « acoustiques ». Alors pas question de perdre son temps, encore moins les quelques pièces normalement réservées à un pot, au flipper, et, occasionnellement, à un précieux 33 tours bimensuel (mûrement choisi).
Et puis un soir d'hiver, sans savoir de qui il s'agissait, j'ai écouté avec délectation cet album.


     J'ai été enthousiasmé par cette musique, enregistrée sur une cassette prête à rendre l'âme tant elle avait servi. Je suis allé interroger un peu sèchement le groupe de parisiens avec qui on s'était gentiment accroché la veille, tels des jeunes chiens hors de leur territoire, grognant, hérissant le poil, mais ne mordant pas. Bien souvent, la musique est le meilleur moyen pour rallier les gens et les peuples. UFO ? Apparemment, cela faisait un tabac chez eux. Du moins dans leur bahut et leur quartier, où tout le monde écoutait ça. Et cela ne datait pas d'hier. Vraiment ? Il n'aurait pas un peu forcé le trait ce jeune mais sympathique crâneur ? C'était il y a bien longtemps. Février 1979 ou 1980 ? Ce soir là, « Obsession » m'a pris et ne m'a jamais quitté. M'avait-il donné sa cassette ou bien en avais-je rapidement enregistré une par la suite ? Je ne sais plus. Plus tard, j'ai pu acquérir « No Heavy Petting» et «Force It » à prix réduit, cependant, bien que comportant de bien bonnes choses, aucun ne parvenait à me donner le frisson que j'avais éprouvé avec « Obsession ».



       Si certains fans purs et durs d'UFO venaient à lire ces quelques phrases, leurs cheveux se dresseraient 
probablement sur leur tête, et qu'ils seraient courroucés de lire que je n'ai jamais retrouvé autant de magnificence sur les autres réalisations d'UFO. Certes, indubitablement, d'autres albums sont très forts, avec quelques titres excellents, mais dans l'absolu, aucun ne me semble être l'égal de ce dernier album de l'ère Schenker de la décennie.
     C'est comme si « Obsession » était un accomplissement. L'alchimie entre un Heavy-rock puissant et robuste avec un lyrisme à fleur-de-peau. Un fragile équilibre où le moindre défaut de dosage transformerait le tout en caricature ; une sérénade de néandertaliens efféminés, ou un vacarme de béotiens élevés à la soupe télé-crochet s'essayant au Heavy-rock.
     On a souvent critiqué la production de Ron Nevison, que l'on a jugée ampoulée, notamment à cause des violons. En oubliant que ces derniers étaint déjà présents sur l'album « Force It » de 1975 (sur le titre « High Flyer », en fait simulé par les claviers de Chick Churchill).
Certes, il n'y avait plus ce son plus « roots » (en comparaison), plus cru des productions de Leo Lyons (l'ex bassiste de Ten Years After), effectivement plus british, héritage du British-blues et du Hard-blues du début de la décennie. Par contre, l'encensé « Light Out », déjà produit par Ron Nevison, avait bien amorcé cette évolution vers un son plus gras. Et puis, « Stranger in the Night », le double-live qui suivit, en dépit de la captation d'une prise en direct (plus ou moins), a tout de même un son bien proche de celui d' « Obsession ». en fait, pour être exact, c'est le juste milieu entre ce dernier et "Light Out".

       Quoi qu'il en soit, ce disque de 1978 fut une claque. Quel son ! Quelle classe ! Dès les premières notes de "Only You Can Rock Me", on est saisi par la puissance dégagée par la basse et la batterie. A croire qu'Andy Parker, le bûcheron de service, est à moitié sourd. Derrière, la guitare rythmique paraît presque aigrelette. Et les claviers de Paul Raymond essayent de ne pas trop se faire remarquer, impressionnés par le binôme rythmique. Ce fut le premier 45 tours du groupe à se faire une place dans les charts anglais. "Pack it Up (and Go)" en rajoute une couche avec une sensation d'urgence. Ce n'est plus un bûcheron, encore moins un batteur, mais plutôt un enclumeur. Une brutasse aimant tester la résistance de ses peaux. Sur le court break surgit sans détour l'influence de John Bonham. (D'ailleurs, le fiston, Jason Bonham, jouera un temps avec la troupe). Cependant, même sur ce morceau copieusement Heavy, surnagent, dans une maestria flamboyante, les soli de l'ange blond. Rien de particulièrement ardu ou technique mais il y a une verve, une fougue inouïe alliée à un lyrisme, certes plutôt basique mais captivant. Le tout porté par un son velouté, charnu, ample, un brin nasillard spécifique à la Gibson Flying V, mais comme boosté par une pédale wah-wah à mi-course. Et en partie hérité de Leslie West.


     L'interlude suivant "Arbory Hill" avec sa flûte et sa guitare acoustique paraît bien fragile après ce déferlement. (Sans scrupules, Schenker l'utilisera pour son premier essai en solo, en 1979, en le rebaptisant "Tales of Mystery" et en y rajoutant des paroles).

A l'inverse, "Ain't No Baby", bien que débutant sagement comme une jolie petite ballade fleurie, tranche avec notamment - encore - la frappe lourde de Parker, placée en avant par la production. Une frappe qui pourrait paraître incongrue, qui semble vouloir s'opposer à toutes velléités d'emprunter un chemin franchement mélodique, voire carrément AOR. Toutefois, cela apporte un contre-point aux chœurs, un plat sucré-salé, où les saveurs se mélangent pour ravir le palais. D'ailleurs le morceau alterne entre des épanchements lyriques et des parties au caractère belliqueux et insidieux.

   Par contre, "Looking Out For N° 1" plonge complètement dans l'idiome de la ballade Heavy appuyée par des violons, présents autant pour renforcer le sentiment de mélancolie que pour tempérer la rudesse des musiciens qui ne peuvent totalement, et jusqu'au bout, refréner la fougue de leur jeunesse. Ce que ne manquèrent pas de faire remarquer nombre de critiques acerbes, allant jusqu'à accuser le groupe de concessions pour séduire les radios américaines. Était-ce vraiment le cas ? Et quand bien même... Tant que la composition est bonne et qu'elle flatte nos esgourdes, qu'importe de savoir qu'est ce qui a encouragé telle ou telle direction. Evidemment, ce qui avait fait grincer des dents, c'étaient ces violons qui ouvraient la chanson, avec le piano tempéré de Paul Raymond, et qui finissent pas l'envahir, avec, certes, un point culminant où ils sont à la limite d'entraîner l'orchestration vers le redondant. A une époque où résonnaient encore les assauts des Damned, Clash, Ramones, Buzzcocks, The Saints, Sex Pistols et autres Sham 69, cela pouvait faire tache. Et dans le petit monde des haredeureauqueurs, on assimile généralement "violons" à mièvrerie. Toutefois, là encore, il y a toujours ce mélange de sons, car derrière, la troupe n'a pas déposé les armes. Elle garde son tempérament rugueux et absolument typé "Heavy-rock". Rien n'a été policé.

   Et puis, comme pour rassurer, la seconde face (c'était l'époque des 33 tours) repart sur des chapeaux de roues, en laissant de la gomme sur l'asphalte. "Hot 'N' Ready" fait dans le Hard-rock droit et conventionnel, limite lourdingue, préfigurant le tempérament hargneux de la proche NWOBHM. Un classique du répertoire du quintet.

"Cherry" est nettement plus intéressant, ou du moins plus original. Ne serait-ce que par la basse qui n'a aucun complexe à imposer une ligne mélodique, soutenant à elle seule le chant. Pete Way en est d'ailleurs le compositeur. Instants posés, sobres et presque intimistes, bousculés soudainement, entrecoupés, par des charges électriques où toute la troupe se déchaîne dans un déferlement de parades bravaches de jeunes mâles débordant de testostérone. 
La tension virile progresse encore avec "You Don't Fool Me" et prend même un nouvel essor avec ce riff acéré, menaçant, jouant du couteau comme une petite frappe de Brixton.
Le Shenck l'inonde, sans l'étouffer, de soli lumineux et héroïques qui donneront bien des cauchemars et des ampoules aux doigts des apprentis gratteux. Schenker possède un son et une patte qui lui sont propres. Son jeu a une personnalité aisément identifiable. Pour mémoire, son nom apparaissait alors systématiquement dans les listes des guitar-heroes préférés de l'année. Aux côtés des Blackmore, Page, Clapton, Beck, Gallagher, May. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. 
On raconte que Kirk Hammett déboula dans les studio avec "Obsession" sous le bras, demandant à Bob Rock de lui concocter un son équivalent pour leur disque éponyme de 1991.

   Après une petite reprise de "Looking Out For N° 1", sous forme d'interlude instrumental avec violons, UFO frôle le faux-pas avec un "One More for the Rodeo" sans réelle saveur. Seule la compétence le sauve. Heureusement, le final, lui, est délicieux. La guitare de Schenker est nimbée d'un phaser, et égrène un arpège Hendrixien. Et lorsque Phil Mogg commence à chanter, sans autre accompagnement que celui du Schenk, on côtoie l'atmosphère des ballades vaporeuses des Scorpions avec Ulrich Roth. Sensation furtive, car une montée de violons ( argh ...) ne tarde pas à se faire entendre. Heureusement, les potes viennent à la rescousse pour fusionner. "Born to Lose" clôture l'album dans un débordement de mélancolie et d'affection. L'archétype du slow de hard-rock appuyé, trempé de bons sentiments. Pas finaud mais néanmoins prenant. Malheureusement, les paroles de ce "Born to Lose" plein de promesses ne sont guère à la hauteur de la musique. 

       « Obsession », c'est un mariage improbable entre cette batterie martiale, brutalisée par un Andy Parker cognant de toutes ses forces et la basse de Pete Way à la fois forte, lourde, plutôt autonome et terriblement mélodique (probablement championne de sa catégorie au Royaume-Uni). Pourtant loin d'être du niveau d'un John Paul Jones, elle a cette faculté de créer avec quelques notes une ligne mélodique idéale, en adéquation totale avec la chanson (à la manière d'un John Paul Jones sur "Ramble On"). Apte à se substituer à la guitare dans ce rôle. Et puis la voix de Phil Mogg ; autoritaire, trahissant une double personnalité déchirée entre une nature sensible et romantique et une autre de petit teigneux revêche.

     En dépit d'un succès sans cesse croissant, la troupe était en pleine crise. Les longues années sur la route, les nuits courtes, les déplacements incessants, la pression du management et du public, l'alimentation hasardeuse, l'alcool abondant, plus quelques substances illicites que l'on commence à prendre pour tenir le coup (généralement encouragé par des personnes bien intentionnées qui se transforment rapidement en impitoyables sangsues) finissent par avoir raison de leur santé, de leur équilibre tant physique que psychique.
La barrière de la langue entre un très jeune Michael Schenker qui n'a alors que 23 ans, et le reste du groupe, engendre souvent une incompréhension handicapante. Cela, couplé à une consommation croissante de stupéfiants, entraîne une paranoïa de l'Allemand. De son côté, l'alcoolisme de Phil Mogg exacerbe son caractère autoritaire, limite despotique, et l'incite plus facilement à utiliser les poings que la diplomatie pour appuyer ses avis. Ce qui ne tarde pas à engendrer des esclandres homériques qui feront fuir Schenker, qui tentera de se refaire une santé en allant retrouver la famille.
(de G à D) Paul Raymond, Andy Parker, Michael Shencker, Phil Mogg & Pete Way

   Sans pour autant dénigrer la suite de la carrière du quintet anglais, on peut considérer, à mon sens, l'ère Schenker comme la plus intéressante. Une période qui, au contraire de la plupart de ses pairs, arrive à son apogée avec sa dernière réalisation. De plus, magnifiquement clôturée par un double-live qui répondit à toutes les attentes.
"Obsession" demeure un grand classique des années 70. Et ça n'a pris une ride (à l'exception, peut-être, du troisième mouvement de violons sur "Looking Out for n° 1")
 

   La pochette bien singulière de l'album est signée Storm Thorgerson du collectif Hipgnosis. Groupement de graphistes célèbres et incontournables dans la sphère Rock, auteurs de pochettes qui ont marqué les esprits ; parfois connues même des profanes. Certaines sont emblématiques. Voir T.Rex, Led Zeppelin, Pink-Floyd, Black Sabbath, Wishbone Ash, Electric Light Orchestra, Bad Company, Roy Harper, Pretty Things, 10cc, Scorpions, Edgar Broughton Band, Renaissance. 

   Cette pochette est généralement considérée comme étant parmi les plus réussies de Thorgerson. Etrange photo pouvant générer maintes significations. Le petit Michael Schenker, simplement vêtu, semble être mis à l'écart dans un coin, dans une salle d'opération ... ou d'autopsie. Les autres membres du groupe sont habillés de façon stricte, avec veste et cravate, et soigneusement coiffés (du moins autant que possible). Les récepteurs de leurs sens - bouche, nez, yeux et oreilles - sont obstrués de billes d'acier. Placés en avant, ils forment un obstacle inquiétant et menaçant devant le "petit Michael". 
Une représentation d'un monde adulte castrateur, refusant de comprendre, et par là de laisser s'épanouir une jeunesse qui refuse de suivre les codes d'une société à laquelle elle ne souhaite pas adhérer ?
 Ou la crainte fantasmée d'une société qui ne peut pas, ne veut pas, concevoir le besoin de liberté de la jeunesse ?  Ou encore serait-ce une métaphore sur l'homme qui en entrant dans un moule, en perdant sa jeunesse, oublie de ressentir, d'apprécier, de vivre. 
Les tons nuancés de bleu imposent une ambiance glaciale. Seule source de chaleur, le logo, UFO. Le titre de l'album, derrière le logo, est répété comme une obsession, une psychose qui hante l'esprit.

Liste des titres

  1. Only You Can Rock Me     (Mogg, Schenker, Way)   -   4:08
  2. Pack It Up (and Go)     (Mogg / Schenker / Way)   -   3:14
  3. Arbory Hill     (Way)   -   1:11
  4. Ain't No Baby     (Mogg / Way)   -   3:58
  5. Lookin' Out for No. 1    (Mogg / Way)   -   4:33
  6. Hot 'n' Ready    (Mogg / Schenker)   -   3:16
  7. Cherry    (Mogg / Way)   -   3:34
  8. You Don't Fool Me    (Mogg / Parker / Way)   -   3:23
  9. Lookin' Out for No. 1 (Reprise)    (Way)   -   1:14
  10. One More for the Rodeo    (Mogg / Way)   -   3:45
  11. Born to Lose    (Mogg / Schenker / Way)   -   3:33

  

🎼🎶
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3 commentaires:

  1. Comment a-t-on pu faire l'impasse sur un article dédié à "Stranger in the night"... Allez, zou, au boulot Bruno !! En janvier prochain on fêtera les 40 ans de sa sortie, ça te laisse du temps !

    Pochette énigmatique, effectivement (On dirait une disque de Kraftwerk !) pourquoi l'allemand, seul, à l'arrière, et les anglais plombés ? Doit-on y voir une allusion à la guerre 39-45 ?!!

    La pochette de "Force it" est aussi fabuleuse, avec ces chromes, ces tuyaux qui serpentent, robinets géants, et ce couple... A noter que c'est le monsieur qui a les fesses à l'air, et même qu'on ne sait pas trop s'il embrasse une fille ou un mec. Osé pour une pochette de groupe de rock.

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    1. Ouarf ! Sacré Luc ! 39-45 ! DOL !
      Certains n'ont pas hésiter à avancer que la photo était prémonitoire. Que c'était le signe d'une rupture proche.

      Ouaip, celle de "Force it" est bizarre, voire tendancieuse. Je me suis longtemps demandé si certains éléments du groupe n'étaient pas gays. Même celle de "Light Out" me paraissait suspicieuse.

      Quant au live, je dois avouer que je l'ai bien moins écouté que les albums studio que le précèdent.

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  2. I had to pick it up and give it a hard listen because of this article ( A hard listen is cover to cover for a day or two)

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