"Tout corps vivant branché sur le secteur
étant appelé à s’émouvoir"
Le premier et le plus long
titre d’un album de Thiéfaine, pour un début, il va faire fort !
Un début fracassant.
En 1978 un hurluberlu venu de nulle part
sortait un album au titre incommensurablement long, et l’artiste portait une
moustache qui était aussi longue que ce titre. Hubert-Félix Thiéfaine
descendait de ses montagnes jurassiennes pour essayer de donner un coup de pied à une chanson française enfermée
dans sa léthargie. Son style folk et acoustique, son humour décalé et son style
surréaliste vont en étonner et même en dérouter plus d’un. Pourtant, les onze premiers
titres de sa carrière qu’il va imprimer dans le vinyle vont être une fenêtre
sur ce que sera sa future ligne musical. Je ne reviendrais pas sur sa jeunesse déjà évoquée dans une précédente chronique en 2012 (Clic). Ce premier album est
dans l’air du temps, iconoclaste façon Fluide Glacial, non sens, dérision et
surréalisme sont les maîtres mots du disque. Mais pour le mettre en boite, ce
sera une autre paire de manche. Il va quitter sa Franche-Comté et il va faire
le tour des maisons de disques parisiennes avec ses maquettes sous le bras en
pure perte. Un projet se dessinera avec Jacques Bedos, le producteur de Maxime le Forestier et Georges Moustaki, sans
aboutir. Il souffrira d'avitaminose, maladie liée à la malnutrition, il va
prendre ses distances avec Paris et retourne dans le Jura ou il va fignoler ses
maquettes. Il rencontre Machin, un groupe d’antifolkeux
bourré d’humour dont son pote Tony Carbonare
fait partie ; ce dernier estime qu’Hubert aurait intérêt à travailler
avec Machin au lieu de courir à chercher des musiciens. En
juillet 76, ils donnent leur premier spectacle, ils commencent à faire la
tournée des MJC et ça marche. Tony Carbonare va
jouer les VRP en essayant de séduire les
maisons de disques. Le problème est que l’on veut bien des premiers mais pas du
second. Arrive la rencontre avec le directeur de la jeune boite de production «Sterne»,
lui aussi revêche à Thiefaine mais pas à Machin.
Tony va lui tanner le cuir jusqu’à ce qu’il lui
signe un contrat sans être convaincu, jusqu’au jour ou il ira le voir en studio
en train de travailler. Les spectacles de Machin
et Thiéfaine
tournent à la farce, ou bonbons, confettis et cacahuètes tombent sur un public
ravi.
Thiéfaine et Machin |
Arrive
le temps de l’enregistrement de l’album, un mélange d’humour, de poésie
loufoque, de délire morbide, d’hymne fromager et de double sens pour
consommateur de drogue douce. Nous arrivons par «L’Ascenseur
de 22h43» ou «…La concierge se trouve actuellement dans l’escalier, mais
comme elle ne le sait pas vous êtes priés de ne pas la déranger».
Bienvenue dans l’univers loufoque d’Hubert Félix Thiéfaine, et ce n’est que le
début, la suite n’est qu’un prolongement de la première : «La Fin du Saint-Empire romain germanique», des paroles avec un humour débridé
à la limite du compréhensible mais où on ne peut s’empêcher de sourire avec son
rythme entrainant même si l’on y comprend rien à la première écoute «Et pour ce qui
est des nanas, j’ai même plus le courage de draguer, quand je les emmène au
cinéma, je m’endors aux actualités». «Je
t’en remet au vent» remonte à 1966
une non déclaration d’amour et qui reste encore à ce jour un de mes titres
préférés. «La maison Borniol» et son
humour noir surtout quand on sait qu’un borniol est un lé de tissus noir épais
en coton ou en velours et que la maison Henri de
Borniol est la plus ancienne entreprise de pompes funèbres depuis 1820. «La
cancoillotte» ce n’est pas moi qui pourrait en parler, je n’aime pas
le fromage (Mon coté mauvais français !), mais Hubert rend hommage à un produit
de son terroir : «Si avec Charlotte tu vas plus loin Mets de la
cancoillotte sur le traversin Je te jure mon pote ce truc c'est dingue ca
t'fout le vertige pour le bastringue Mais va pas le dire aux
étrangers Sinon ils viendraient nous la piquer Alors
fini la cancoillotte On ne la
trouverait que dans les sex-shops».
«Premier descente aux enfers par la face nord» où Hubert
commence un couplet en latin, une résurgence de son passage au pensionnat des jésuites ?
«22 Mai»
un titre complètement fou par son coté absurde et absolument drôle avec une belle orchestration. Le déchirant «La Dèche,
leTwist et le Reste» un hymne pour un poète maudit, la version au Zénith
en 1995 est magnifique. Et puis le
morceau qui fera sa gloire «La fille du coupeur de joints», entre la
chanson paillarde et celle de fumeurs d’herbe qui fait rire, le succès partira de
cette farce. Et que dire du noir et triste «Le chant du fou» qui sur scène prendra une dimension
surréaliste.
Pour un premier album, Hubert-Félix
Thiéfaine entouré de Machin qui était
composé de Jean-Pierre Robert à la guitare, Gilles Kusmeruck au clavier, Tony
Carbonare à la basse et Jean-Paul Simonin
à la batterie. Un album qui se vendra à 3000 exemplaires l’année de sa parution,
mais le succès arrivera avec le second «Autorisation de délirer».
Pas de frime, un album à la
hauteur des délires de son auteur, le coté déglingué et folklorique en fond une
page de l’histoire d’un Thiéfaine qui ne passera du coté rock’n roll qu’en
1981 avec «Dernières balises (Avant mutation)»
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