mardi 23 janvier 2018

THIEFAINE : TOUT CORPS VIVANT... (1978) - par Pat Slade


"Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir"


Le premier et le plus long titre d’un album de Thiéfaine, pour un début, il va faire fort !





Un début fracassant. 




En 1978 un hurluberlu venu de nulle part sortait un album au titre incommensurablement long, et l’artiste portait une moustache qui était aussi longue que ce titre. Hubert-Félix Thiéfaine descendait de ses montagnes jurassiennes pour essayer de donner un  coup de pied à une chanson française enfermée dans sa léthargie. Son style folk et acoustique, son humour décalé et son style surréaliste vont en étonner et même en dérouter plus d’un. Pourtant, les onze premiers titres de sa carrière qu’il va imprimer dans le vinyle vont être une fenêtre sur ce que sera sa future ligne musical. Je ne reviendrais pas sur sa jeunesse déjà évoquée dans une précédente chronique en 2012 (Clic). Ce premier album est dans l’air du temps, iconoclaste façon Fluide Glacial, non sens, dérision et surréalisme sont les maîtres mots du disque. Mais pour le mettre en boite, ce sera une autre paire de manche. Il va quitter sa Franche-Comté et il va faire le tour des maisons de disques parisiennes avec ses maquettes sous le bras en pure perte. Un projet se dessinera avec Jacques Bedos, le producteur de Maxime le Forestier et Georges Moustaki, sans aboutir. Il souffrira d'avitaminose, maladie liée à la malnutrition, il va prendre ses distances avec Paris et retourne dans le Jura ou il va fignoler ses maquettes. Il rencontre Machin, un groupe d’antifolkeux bourré d’humour dont son pote Tony Carbonare fait partie ; ce dernier estime qu’Hubert aurait intérêt à travailler
Thiéfaine et Machin
avec Machin au lieu de courir à chercher des musiciens. En juillet 76, ils donnent leur premier spectacle, ils commencent à faire la tournée des MJC et ça marche. Tony Carbonare va jouer les VRP en essayant de séduire les maisons de disques. Le problème est que l’on veut bien des premiers mais pas du second. Arrive la rencontre avec le directeur de la jeune boite de production «Sterne», lui aussi revêche à Thiefaine mais pas à Machin. Tony va lui tanner le cuir jusqu’à ce qu’il lui signe un contrat sans être convaincu, jusqu’au jour ou il ira le voir en studio en train de travailler. Les spectacles de Machin et Thiéfaine tournent à la farce, ou bonbons, confettis et cacahuètes tombent sur un public ravi.


Arrive le temps de l’enregistrement de l’album, un mélange d’humour, de poésie loufoque, de délire morbide, d’hymne fromager et de double sens pour consommateur de drogue douce. Nous arrivons par «L’Ascenseur de 22h43» ou «…La concierge se trouve actuellement dans l’escalier, mais comme elle ne le sait pas vous êtes priés de ne pas la déranger». Bienvenue dans l’univers loufoque d’Hubert Félix Thiéfaine, et ce n’est que le début, la suite n’est qu’un prolongement de la première : «La Fin du Saint-Empire romain germanique», des paroles avec un humour débridé à la limite du compréhensible mais où on ne peut s’empêcher de sourire avec son rythme entrainant même si l’on y comprend rien à la première écoute «Et pour ce qui est des nanas, j’ai même plus le courage de draguer, quand je les emmène au cinéma, je m’endors aux actualités». «Je t’en remet au vent» remonte à 1966 une non déclaration d’amour et qui reste encore à ce jour un de mes titres préférés. «La maison Borniol» et son humour noir surtout quand on sait qu’un borniol est un lé de tissus noir épais en coton ou en velours et que la maison Henri de Borniol est la plus ancienne entreprise de pompes funèbres depuis 1820. «La cancoillotte» ce n’est pas moi qui pourrait en parler, je n’aime pas le fromage (Mon coté mauvais français !), mais Hubert rend hommage à un produit de son terroir : «Si avec Charlotte tu vas plus loin Mets de la cancoillotte sur le traversin Je te jure mon pote ce truc c'est dingue ca t'fout le vertige pour le bastringue Mais va pas le dire aux étrangers Sinon ils viendraient nous la piquer Alors fini la cancoillotte On ne la trouverait que dans les sex-shops». 

«Premier descente aux enfers par la face nord» où Hubert commence un couplet en latin, une résurgence de son passage au pensionnat des jésuites ? «22 Mai» un titre complètement fou par son coté absurde et absolument drôle  avec une belle orchestration. Le déchirant «La Dèche, leTwist et le Reste» un hymne pour un poète maudit, la version au Zénith en 1995 est magnifique. Et puis le morceau qui fera sa gloire «La fille du coupeur de joints», entre la chanson paillarde et celle de fumeurs d’herbe qui fait rire, le succès partira de cette farce. Et que dire du noir et triste «Le chant du fou» qui sur scène prendra une dimension surréaliste.

Pour un premier album, Hubert-Félix Thiéfaine entouré de Machin qui était composé de Jean-Pierre Robert à la guitare, Gilles Kusmeruck au clavier, Tony Carbonare à la basse et Jean-Paul Simonin à la batterie. Un album qui se vendra à 3000 exemplaires l’année de sa parution, mais le succès arrivera avec le second «Autorisation de délirer».

Pas de frime, un album à la hauteur des délires de son auteur, le coté déglingué et folklorique en fond une page de l’histoire d’un Thiéfaine qui ne passera du coté rock’n roll qu’en 1981 avec «Dernières balises (Avant mutation)»           



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