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un bouquin de Jim Thompson c’est toujours la promesse d’un voyage vers des
bleds obscurs peuplés de déglingués. Thompson sonde l'âme humaine dans ce qu'elle a de plus déviant, pervers. Ses personnages sont un ramassis d'éclopés, de psychopathes, de phases terminales. La folie n’est jamais loin. Dans NUIT DE
FUREUR (1953) on est servi. Le narrateur, Carl Bigelow arrive par le train à
Pearldale, et prend une piaule dans une pension de famille. Pas au hasard. Chez
le couple Winroy. Carl est un tueur à gage, et un mafieux new-yorkais lui a
confié un contrat. Descendre Jack Winroy, témoin clé dans un scandale de paris
truqués.
Carl
Bigelow n’a pas le profil ad-hoc. Il est laid, tuberculeux, alcoolique, édenté,
il mesure 1m53. Un gnome à faire peur. Habitent sous le même toit, Fay Winroy,
la femme de Jack, que Bigelow va s’empresser de mettre dans son pieu. Et un
certain Kendall (étonnant personnage) qui tient une entreprise de boulange, et prend le jeune Carl sous
son aile. Un type que Bigelow trouve louche, trop poli pour être honnête. Ce serait-y
un gars de la mafia, venu superviser le contrat, voire se débarrasser de Bigelow
une fois son forfait commis ? Et puis il y a Ruthie, une étudiante qui
aide aux chambres, à la cuisine. Complètement miro, difforme, infirme, une
jambe qui s’arrête au genou.
Mais
une tête bien faite, et un joli cul malgré tout. Baisable si on est un peu
pervers, faudrait que Bigelow lui fasse un peu de gringue, pour voir.
Jim
Thompson va orchestrer ce petit théâtre des horreurs, comme un vaudeville. Comme
le lecteur, Bigelow prend ses marques. Joue les naïfs, à cause de sa petite taille
il fait pitié, tout le monde lui donne du « fiston » par-ci, du « mon
p’tit gars » par-là. Même le shérif Summers, qui forcément se renseigne
sur le nouveau venu. Les scènes avec le shérif et sa femme sont réjouissantes. Madame
Summers s’entiche du pauv’ gars, l’emmène à la messe du dimanche, et lui, faux-derche
comme par permis joue les petits anges.
Les
jours passent, peu d’action, mais on sent que des trucs pas clairs se trament.
Carl et Fay nous la jouent amants diaboliques. Si Jack pouvait crever, avoir un
accident, la veuve n’en pleurerait pas longtemps. Alors il faut la jouer fine,
ne pas brusquer, laisser les choses aller à leur rythme. Et c’est le sentiment
du lecteur, qui attend que l’intrigue démarre vraiment. Mais Thompson nous
laisse mariner un peu, et dresse des portraits, de gens qui semblent tous
cacher quelque chose, qui n’apparaissent pas franc, comme s’il on enlevait la
première couche, on en découvrait une autre, moins reluisante.
Le
personnage de Carl Bigelow est stupéfiant, il crève à petit feu, il n’est que rancœur,
violence, cynisme, douleur, rage contenue. Quand il crache le sang, il s'allume une clope pour calmer la toux. Il lui faut une pinte de whisky avant son premier café, pour ne pas vomir le p'tit déj. Il a l’art d’utiliser ce que les
autres ont de plus sombre en eux. Ses talents de tueur, on en entendra parler. Quel
CV ! En haut lieu on le presse de boucler l’affaire, Jack Winroy n’est pas
fiable, sa femme encore moins. Alors Carl passe la vitesse supérieure et monte
un plan.
La
fin est proprement hallucinante, on verse dans la folie, l’horreur, les
ténèbres, au propre comme au figuré. « La mort était là, et elle sentait
bon » conclut ce roman noir, très noir, qui déconcerte, mais finit pas
fasciner.
Éditions poche Rivages/Noir - 265 pages
Autre
roman chroniqué, POTTSVILLE, 1280 habitants, son plus célèbre, son plus fameux.
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