- Oh oh M'sieur Claude… Un
retour au grand classique après Arnold Bax… Nous avons déjà dans l'index, les
symphonies 3, 8 et 9 'Du nouveau monde". Du nouveau ?
- Oui Sonia, car la 7ème
est la première symphonie commandée au compositeur tchèque et par ailleurs, elle
tourne un peu le dos au folklore bohémien pour un romantisme affirmé !
- Donc une œuvre de
maturité ? à une certaine époque, les quatre premières n'étaient même présentes au
catalogue officiel je crois ?
- Oui, cette œuvre ambitieuse
est d'un niveau d'intérêt comparable aux symphonies de Brahms et aux deux
symphonies à venir, le point d'orgue étant comme vous le dites la célèbre 9ème…
- Et vous avez choisi une
gravure de Rafael Kubelik, un maestro tchèque déjà présenté mais juste pour le poème
symphonique de Smetana : la Moldau. Il mérite plus m'a dit M'sieur Pat…
- Et il a bien raison.
Dans les années 60-70, Rafael Kubelik a gravé l'une des premières intégrales Dvořák
avec la Philharmonie de Berlin. Un cycle qui garde tout son charme…
Au premier plan, Rafael Kubelik en 1968 avec son fils |
Comme
l'a rappelé Sonia, un portrait de Rafael Kubelik
est à lire dans un article consacré à la Moldau. Il résumait bien le désir
de probité, de respect de la partition du maestro. (Clic). Et pourtant, né en 1914, le chef appartenait à la génération
des chefs parfois hédonistes, même si talentueux, comme Karajan
ou Bernstein, mais lui ne jouait pas sur
cette corde du star-system.
L'intégrale
des symphonies de Dvořák n'a jamais quitté le
catalogue DG que ce soit en LP ou en CD. Il est vrai que la sonorité un peu
lourde de la Philharmonie de Berlin, et
la réverbération de la Jesus-Christus-Kirche* dans laquelle les prises de son
avaient lieu avant la construction de la salle de la Philharmonie, détruite
pendant la guerre, confèrent un son un peu gras à l'enregistrement, ce qui nuit
à la clarté du trait. Mais soyons réaliste, si la fougue dramatique de la 7ème
symphonie montre une œuvre particulièrement habitée de Dvořák, l'orchestration conserve une
puissance très classique au XIXème siècle et donc difficile à alléger
sans trahir l'esprit de la partition. L'écoute sur du matériel audiophile restitue à merveille le velouté des sonorités de la Philharmonie de Berlin, il faut quand même le souligner.
(*)
Voir l'article consacrée à Furtwängler (Clic).
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Dvořák et son épouse vers 1885 |
Petit
retour sur les articles déjà consacrés aux symphonies 3, 8 et 9.
Jusque dans les années 60, seules les cinq dernières symphonies faisaient officiellement
partie du catalogue de Dvořák.
Depuis les quatre premières, œuvres moins abouties, aux thèmes mélodiques plus banales
et à l'orchestration parfois appuyée ont été réhabilitées, notamment la très
pastorale et guillerette 3ème symphonie que nous
avions écoutée l'an passé (clic). Dvořák
appartient aux groupes de grands compositeurs qui ne trouveront la plénitude de
leur art que l'âge venu, à l'opposé de Mozart,
Mendelssohn ou Schubert.
Si
les symphonies 5
et 6
marquent un virage vers plus de maîtrise, la 7ème symphonie
est un réel chef-d'œuvre : concision et richesse polyphonique, thèmes qui vous
prennent à bras le corps, orchestration concertante et dynamique mais sans
lourdeur. Nous sommes en 1884. Dvořák a 43 ans, commence à être reconnu,
et désire frapper un nouveau coup avec un ouvrage plus bouleversant que pittoresque,
comprendre par-là moins nourri du folklore bohémien. Par ailleurs, un an
auparavant, Dvořák a entendu la création
de la 3ème
symphonie de Brahms
par Hans Richter et cet ouvrage âpre, puissant
et épique (dénigré par Wagner)
a fortement impressionné le compositeur tchèque. Ah Brahms,
son ami et protecteur pour la vie.
Cette
symphonie était aussi une première dans la carrière de Dvořák,
elle répondait à une commande de la Société
Philharmonique de Londres et l'auteur prit très à cœur d'offrir
le meilleur de lui-même dans sa composition, soucieux d'abandonner son
appétence marquée pour le folklore en faveur d'une œuvre plus universelle, même
si à l'écoute le terme métaphysique ne convient pas ; gardons-le pour Bruckner. Il va réussir son pari avec une œuvre
dense aux accents tragiques et inquiétants dès l'introduction…
L'orchestration
est caractéristique du romantisme tardif : 1 Piccolo, 2 flutes, 2 hautbois, 2
clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales et cordes.
Ni percussion, ni harpe. L'orchestre de Beethoven
un soupçon élargi.
1 – Allegro maestoso : roulement des
timbales, reptation funeste des altos et violoncelles soutenue par des trilles
des contrebasses ; un accord lointain et spectrale des cors graves. Ambiance gothique
et anxieuse à laquelle le compositeur ne nous a jamais habitués. La sourde
menace ressentie montre l'inspiration quasi mystique que l'on n'avait plus
rencontrée depuis le bouleversant Stabat Mater de 1877 où le compositeur
pleurait la perte de ses trois jeunes enfants. La terrible rudesse de cette
époque sans pédiatre.
Courbet : La vague |
2 – Poco Adagio : [11:22] Après
les débordements de l'allegro, une douce et vaporeuse cantilène aux hautbois,
clarinettes et bassons calme le jeu en ce début de l'adagio. Un thème plus
vaillant aux cors coloré par le chant des bois se développe. [12:07] Les
cordes graves introduisent un passage féérique avec un motif joué solo aux
cors, puis aux flûtes, puis aux violoncelles, réellement enchanteur. Un passage
d'une habileté orchestrale vraiment sans précédent dans l'œuvre de Dvořák. [14:12] Le développement se veut
héroïque avec ses longs arpèges descendants élégiaques et ses pizzicati
rageurs. Les motifs se superposent en vagues suivant un flot pathétique. Un
adagio qui fourmille d'idées. La variété des climats fait penser à un poème
symphonique. [17:26] Ainsi, devons-nous entendre ce thème romanesque aux
violoncelles qui, suivi de quelques péripéties orchestrales, précède un climax tellement caractéristique du style du
compositeur par sa véhémence. La succession de sentiments héroïques prend sans
cesse le pas sur les habituelles mélodies descriptives et folkloriques chères au
musicien. Cet adagio aux lignes pures et drues annonce celui de la symphonie du Nouveau-Monde par son lyrisme incandescent.
J.B. Corot : les contrebandiers |
3 - Scherzo : Vivace – Poco meno mosso : [21:09] Dans
l'adagio, des instants idylliques éclairaient la gravité du récit. Ici, après
une brève introduction entrainante, une danse endiablée impose un rythme sauvage au
scherzo qui s'annonce comme l'un des plus prenants du compositeur (lui aussi).
La scansion aux cordes et les trilles des vents suggère une marche diabolique. [23:39] Le trio moins farouche mais aucunement
bucolique repose sur un conflit concertant entre des solos de bois et des
traits vigoureux aux cordes. L'orchestration est très colorée voire complexe.
Quelques décennies auparavant, les orchestres de l'époque auraient accueilli avec
grogne ces difficultés. Dans cette version moderne, la philharmonie de Berlin
se joue facilement de telles facéties.
Bien
qu'assez éloigné des musiques "bohémiennes" habituelles de Dvořák, ce Scherzo conserve un esprit
champêtre et dansant légèrement plus marqué que dans les mouvements précédents.
Seule la frénésie sans retenue le différencie des pages habituelles se nourrissant
du folklore tchèque.
4 – Finale Allegro : [28:37] Un
soupir désespéré des cordes et quelques motifs calmes des bois élancent le final qui retrouve rapidement une violence
brièvement contenue dans le scherzo. Les motifs s'entrechoquent dans un flot
musical tempétueux martelé par les timbales et enjolivé de manière cynique par des
motifs "gazouillants" des clarinettes. Ce final est celui du combat, sans doute celui d'une vie
qui ne fut jamais facile pour Dvořák
avant cette période de reconnaissance enfin venue. [32:12] Une marche aux accents inquiétants
interrompt la fureur du propos. Rapidement le dramatisme reprendra ses droits
dans un développement qui se veut l'amorce d'une récapitulation rageuse.
La musique oscille entre la tentative d'apporter enfin la lumière et ce besoin
de revenir sans cesse à cette angoisse sourde, aux ténèbres. Le soleil l'emportera lors
d'une coda extatique.
N'ayant
pas trouvé de tableaux de peintres tchèques en rapport avec le sujet, j'ai
choisi des illustrations de Courbet et de Jean-Baptiste Corot dont les œuvres aux couleurs
sombres correspondent bien à mes yeux à la sévérité de cette symphonie.
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Impossible
d'établir une liste objective de versions de référence pour une œuvre aussi populaire
et souvent enregistrée. Je propose quelques albums qui ne peuvent décevoir.
Sûrement avec des orchestres et des chefs déjà mentionnés dans des articles
précédents. Certains lecteurs suggèrent d'autres disques passionnants dans
leurs commentaires. Attendons…
Christoph von Dohnányi a gravé avec son magnifique et
disert Orchestre de Cleveland qu'il
dirigea de 1984 à 2002 les trois dernières symphonies
avec un grand sens du détail et du lyrisme. Je l'avais déjà retenu dans la
discographie de la Symphonie
du Nouveau Monde dans une chronique de 2011… Et oui le temps passe (DECCA
– 6/6).
Pas
très facile à dénicher, les symphonies 7 et 8 enregistrées à Londres par Antal
Dorati (encore un pilier du blog) balayent tout sur leur
passage. Le chef hongrois donne une leçon de démiurge de l'orchestre et rétablit
un contraste judicieux entre les tensions nerveuses propres à la musique de Dvořák et l'opulence plus germanique de Brahms. (Mercury – 6/6).
Pour
conclure, un autre couplage considéré comme historique. En 1956, pour DECCA, Rafael Kubelik
conduit, lors de plusieurs sessions et dans une ambiance électrique, des
symphonies pleines de jeune sève de Brahms
et les deux symphonies
7 et 9
de Dvořák. Les tempos sont plus acerbes qu'à Berlin, les cordes et les bois de Vienne chantent comme jamais. Bon, c'est
l'aube de la stéréophonie, mais voilà un témoignage palpitant parmi les
innombrables gravures que le chef tchèque réalisa (DECCA – 6/6).
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