samedi 21 octobre 2017

DVOŘÁK – Symphonie N° 7 (1885) – Rafael KUBELIK (1971) – par Claude Toon



- Oh oh M'sieur Claude… Un retour au grand classique après Arnold Bax… Nous avons déjà dans l'index, les symphonies 3, 8 et 9 'Du nouveau monde". Du nouveau ?
- Oui Sonia, car la 7ème est la première symphonie commandée au compositeur tchèque et par ailleurs, elle tourne un peu le dos au folklore bohémien pour un romantisme affirmé !
- Donc une œuvre de maturité ? à une certaine époque, les quatre premières n'étaient même présentes au catalogue officiel je crois ?
- Oui, cette œuvre ambitieuse est d'un niveau d'intérêt comparable aux symphonies de Brahms et aux deux symphonies à venir, le point d'orgue étant comme vous le dites la célèbre 9ème
- Et vous avez choisi une gravure de Rafael Kubelik, un maestro tchèque déjà présenté mais juste pour le poème symphonique de Smetana : la Moldau. Il mérite plus m'a dit M'sieur Pat…
- Et il a bien raison. Dans les années 60-70, Rafael Kubelik a gravé l'une des premières intégrales Dvořák avec la Philharmonie de Berlin. Un cycle qui garde tout son charme…

Au premier plan, Rafael Kubelik en 1968 avec son fils
Choisir une gravure de Kubelik au sein d'une discographie pléthorique des dernières symphonies de Dvořák pourra surprendre certains. On a parfois reproché à ses enregistrements réalisés avec la Philharmonie de Berlin forgée au style Karajan un manque de peps slave rencontré ailleurs, avec la Philharmonie tchèque par exemple. Moui… Ce chef n'a jamais pêché par excès de traits acerbes, privilégiant la poésie et la lisibilité. Ses symphonies de Brahms gravées pour DECCA à Vienne à la fin des années 50 montrent une approche quasi chambriste gommant les effets teutoniques. Je ne m'en plaindrai pas, donc je persiste et signe dans mon choix.

Comme l'a rappelé Sonia, un portrait de Rafael Kubelik est à lire dans un article consacré à la Moldau. Il résumait bien le désir de probité, de respect de la partition du maestro. (Clic). Et pourtant, né en 1914, le chef appartenait à la génération des chefs parfois hédonistes, même si talentueux, comme Karajan ou Bernstein, mais lui ne jouait pas sur cette corde du star-system.
L'intégrale des symphonies de Dvořák n'a jamais quitté le catalogue DG que ce soit en LP ou en CD. Il est vrai que la sonorité un peu lourde de la Philharmonie de Berlin, et la réverbération de la Jesus-Christus-Kirche* dans laquelle les prises de son avaient lieu avant la construction de la salle de la Philharmonie, détruite pendant la guerre, confèrent un son un peu gras à l'enregistrement, ce qui nuit à la clarté du trait. Mais soyons réaliste, si la fougue dramatique de la 7ème symphonie montre une œuvre particulièrement habitée de Dvořák, l'orchestration conserve une puissance très classique au XIXème siècle et donc difficile à alléger sans trahir l'esprit de la partition. L'écoute sur du matériel audiophile restitue à merveille le velouté des sonorités de la Philharmonie de Berlin, il faut quand même le souligner.
(*) Voir l'article consacrée à Furtwängler (Clic).
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Dvořák et son épouse vers 1885
Petit retour sur les articles déjà consacrés aux symphonies 3, 8 et 9. Jusque dans les années 60, seules les cinq dernières symphonies faisaient officiellement partie du catalogue de Dvořák. Depuis les quatre premières, œuvres moins abouties, aux thèmes mélodiques plus banales et à l'orchestration parfois appuyée ont été réhabilitées, notamment la très pastorale et guillerette 3ème symphonie que nous avions écoutée l'an passé (clic). Dvořák appartient aux groupes de grands compositeurs qui ne trouveront la plénitude de leur art que l'âge venu, à l'opposé de Mozart, Mendelssohn ou Schubert.
Si les symphonies 5 et 6 marquent un virage vers plus de maîtrise, la 7ème symphonie est un réel chef-d'œuvre : concision et richesse polyphonique, thèmes qui vous prennent à bras le corps, orchestration concertante et dynamique mais sans lourdeur. Nous sommes en 1884. Dvořák a 43 ans, commence à être reconnu, et désire frapper un nouveau coup avec un ouvrage plus bouleversant que pittoresque, comprendre par-là moins nourri du folklore bohémien. Par ailleurs, un an auparavant, Dvořák a entendu la création de la 3ème symphonie de Brahms par Hans Richter et cet ouvrage âpre, puissant et épique (dénigré par Wagner) a fortement impressionné le compositeur tchèque. Ah Brahms, son ami et protecteur pour la vie.
Cette symphonie était aussi une première dans la carrière de Dvořák, elle répondait à une commande de la Société Philharmonique de Londres et l'auteur prit très à cœur d'offrir le meilleur de lui-même dans sa composition, soucieux d'abandonner son appétence marquée pour le folklore en faveur d'une œuvre plus universelle, même si à l'écoute le terme métaphysique ne convient pas ; gardons-le pour Bruckner. Il va réussir son pari avec une œuvre dense aux accents tragiques et inquiétants dès l'introduction…
L'orchestration est caractéristique du romantisme tardif : 1 Piccolo, 2 flutes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales et cordes. Ni percussion, ni harpe. L'orchestre de Beethoven un soupçon élargi.

1 – Allegro maestoso : roulement des timbales, reptation funeste des altos et violoncelles soutenue par des trilles des contrebasses ; un accord lointain et spectrale des cors graves. Ambiance gothique et anxieuse à laquelle le compositeur ne nous a jamais habitués. La sourde menace ressentie montre l'inspiration quasi mystique que l'on n'avait plus rencontrée depuis le bouleversant Stabat Mater de 1877 où le compositeur pleurait la perte de ses trois jeunes enfants. La terrible rudesse de cette époque sans pédiatre.
Courbet : La vague
[0:22] Un duo des clarinettes trouvant en écho cor puis basson va assurer une transition vers un autre thème, moins angoissé mais puissamment héroïque. D'autres idées toutes aussi épiques vont surgir et s'imposer dans une terrible progression. Oui, le nouveau Dvořák est là : richesse des motifs et de la polyphonie, variété concertante de l'orchestration. [2:36] Étrangement, le second thème énoncé aux flûtes et clarinettes s'oppose au pathétisme initial, comme un retour vers la bonhomie et l'esprit bucolique voire festif [4:19] si présents dans ses œuvres antérieures. Dvořák lance des variations sur cette opposition qui fait penser (à mon sens) à l'affrontement quasi obsessionnel entre la trivialité (le naturlaut) et la spiritualité chez Mahler. Le compositeur déchaîne ici ses forces symphoniques avec un dramatisme sans espoir notamment dans une coda titanesque [8:42]. On n'entendra plus jamais de sa part une telle tragédie instrumentale. Les dernières mesures s'éteignent avec quelques notes désenchantées des bois comme si l'orchestre était gagné d'épuisement. Le tempo imposé par Rafael Kubelik n'est pas spécialement rapide, mais l'énergie démoniaque qu'il exige de sa philharmonie exacerbe le cataclysme symphonique. Très bel équilibre des pupitres à l'écoute de l'une des réussites majeures de l'intégrale DG du maestro…

2 – Poco Adagio : [11:22] Après les débordements de l'allegro, une douce et vaporeuse cantilène aux hautbois, clarinettes et bassons calme le jeu en ce début de l'adagio. Un thème plus vaillant aux cors coloré par le chant des bois se développe. [12:07] Les cordes graves introduisent un passage féérique avec un motif joué solo aux cors, puis aux flûtes, puis aux violoncelles, réellement enchanteur. Un passage d'une habileté orchestrale vraiment sans précédent dans l'œuvre de Dvořák. [14:12] Le développement se veut héroïque avec ses longs arpèges descendants élégiaques et ses pizzicati rageurs. Les motifs se superposent en vagues suivant un flot pathétique. Un adagio qui fourmille d'idées. La variété des climats fait penser à un poème symphonique. [17:26] Ainsi, devons-nous entendre ce thème romanesque aux violoncelles qui, suivi de quelques péripéties orchestrales, précède un climax tellement caractéristique du style du compositeur par sa véhémence. La succession de sentiments héroïques prend sans cesse le pas sur les habituelles mélodies descriptives et folkloriques chères au musicien. Cet adagio aux lignes pures et drues annonce celui de la symphonie du Nouveau-Monde par son lyrisme incandescent.

J.B. Corot : les contrebandiers
3 - Scherzo : Vivace – Poco meno mosso : [21:09] Dans l'adagio, des instants idylliques éclairaient la gravité du récit. Ici, après une brève introduction entrainante, une danse endiablée impose un rythme sauvage au scherzo qui s'annonce comme l'un des plus prenants du compositeur (lui aussi). La scansion aux cordes et les trilles des vents suggère une marche diabolique. [23:39] Le trio moins farouche mais aucunement bucolique repose sur un conflit concertant entre des solos de bois et des traits vigoureux aux cordes. L'orchestration est très colorée voire complexe. Quelques décennies auparavant, les orchestres de l'époque auraient accueilli avec grogne ces difficultés. Dans cette version moderne, la philharmonie de Berlin se joue facilement de telles facéties.
Bien qu'assez éloigné des musiques "bohémiennes" habituelles de Dvořák, ce Scherzo conserve un esprit champêtre et dansant légèrement plus marqué que dans les mouvements précédents. Seule la frénésie sans retenue le différencie des pages habituelles se nourrissant du folklore tchèque.

4 – Finale Allegro : [28:37] Un soupir désespéré des cordes et quelques motifs calmes des bois élancent le final qui retrouve rapidement une violence brièvement contenue dans le scherzo. Les motifs s'entrechoquent dans un flot musical tempétueux martelé par les timbales et enjolivé de manière cynique par des motifs "gazouillants" des clarinettes. Ce final est celui du combat, sans doute celui d'une vie qui ne fut jamais facile pour Dvořák avant cette période de reconnaissance enfin venue. [32:12] Une marche aux accents inquiétants interrompt la fureur du propos. Rapidement le dramatisme reprendra ses droits dans un développement qui se veut l'amorce d'une récapitulation rageuse. La musique oscille entre la tentative d'apporter enfin la lumière et ce besoin de revenir sans cesse à cette angoisse sourde, aux ténèbres. Le soleil l'emportera lors d'une coda extatique.
N'ayant pas trouvé de tableaux de peintres tchèques en rapport avec le sujet, j'ai choisi des illustrations de Courbet et de Jean-Baptiste Corot dont les œuvres aux couleurs sombres correspondent bien à mes yeux à la sévérité de cette symphonie.
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Impossible d'établir une liste objective de versions de référence pour une œuvre aussi populaire et souvent enregistrée. Je propose quelques albums qui ne peuvent décevoir. Sûrement avec des orchestres et des chefs déjà mentionnés dans des articles précédents. Certains lecteurs suggèrent d'autres disques passionnants dans leurs commentaires. Attendons…
Christoph von Dohnányi a gravé avec son magnifique et disert Orchestre de Cleveland qu'il dirigea de 1984 à 2002 les trois dernières symphonies avec un grand sens du détail et du lyrisme. Je l'avais déjà retenu dans la discographie de la Symphonie du Nouveau Monde dans une chronique de 2011… Et oui le temps passe (DECCA – 6/6).
Pas très facile à dénicher, les symphonies 7 et 8 enregistrées à Londres par Antal Dorati (encore un pilier du blog) balayent tout sur leur passage. Le chef hongrois donne une leçon de démiurge de l'orchestre et rétablit un contraste judicieux entre les tensions nerveuses propres à la musique de Dvořák et l'opulence plus germanique de Brahms. (Mercury – 6/6).
Pour conclure, un autre couplage considéré comme historique. En 1956, pour DECCA, Rafael Kubelik conduit, lors de plusieurs sessions et dans une ambiance électrique, des symphonies pleines de jeune sève de Brahms et les deux symphonies 7 et 9 de Dvořák. Les tempos sont plus acerbes qu'à Berlin, les cordes et les bois de Vienne chantent comme jamais. Bon, c'est l'aube de la stéréophonie, mais voilà un témoignage palpitant parmi les innombrables gravures que le chef tchèque réalisa (DECCA – 6/6).


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