- Ah M'sieur Claude… Après les
innovations des dernières semaines, retour à l'un de vos romantiques chéris, et
à la saga des symphonies de Bruckner…
- Oui, un sujet que je connais bien
et la sixième symphonie de tonton Anton est la plus joviale et aussi la plus
courte des œuvres de la maturité…
- Très mystique cependant je pense,
comme souvent avec ce compositeur… Oui, non ?
- Et bien justement non, placée entre
les mystiques, pour reprendre le terme, 5ème et 7ème symphonies,
l'œuvre apparait comme pastorale, voire bonhomme !
- Wolfgang Sawallisch n'est pas un
nouveau venu dans le Deblocnot' me semble-t-il ?
- Non ce chef a souvent été l'invité du
blog. Ici on le retrouve dans une interprétation culte de cette symphonie, tout
compte fait assez mal connue…
La chronique sur la B.O. du film de Mulholland drive écrite la semaine passée
m'a mis sur les genoux : plus de travail et de recherche qu'il n'y paraît…
Heureusement, l'équipe m'a soutenu : Philou m'a donné un remontant pur
houblon, Rockin une bouteille de cidre de derrière les fagots, Luc
un petit blanc du Val de Loire dont il a le secret. Vincent m'a prêté
un CD de hard Rock à réveiller les morts, Sonia m'a préparé du café à
gogo et Bruno a envoyé de Corse un fromage typique par Chronopost. Il
n'est jamais arrivé, l'avion a explosé en vol. Quant à Pat, merci pour
le Pack de lait de Soja ; étrange mais revigorant…
Heu, vous vous en foutez peut-être ?
Oui, donc pour me poser : un compositeur et un maestro
connus. C'est juillet, je ne vais pas radoter sur la biographie de musiciens
dont j'ai déjà parlé maintes fois dans le blog. Six symphonies de Bruckner ont déjà été sujet de
chroniques, quant à Wolfgang Sawallisch,
il reste un incontournable pour les intégrales des symphonies de Schumann et par ailleurs j'avais rédigé le
RIP de ce grand monsieur. Si je peux utiliser une formule osée : on ne peut
rêver mieux pour présenter de manière assez complète l'un des chefs majeurs des
XXème et XXIème siècles disparu en 2013.
Et par ailleurs, moi je l'aime bien cette symphonie.
Après le gigantisme métaphysique de la 5ème,
le compositeur souhaitait-il faire une pause avant de commencer sa monumentale 7ème ? Bruckner désirait-il revenir à un
ouvrage moins ardu pour un public plutôt réservé à son encontre ou encore
cherchait-il une voie moins wagnérienne et mystique dans son parcours ? Tout
est possible !
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Gustav Klimt : Jardin au crucifix (1912) |
Et puis, dans le cycle des grandes symphonies mystiques
et dramatiques de la fin (5ème
à 9ème), la 6ème symphonie apparaît comme
une incise romantique et lyrique, favorisant les tonalités majeures plus
flatteuses, moins austères. Une symphonie plus concise, que le maître ne
retouchera quasiment jamais, juste deux trois détails.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Wolfgang Sawallisch
enregistra beaucoup pour EMI, le label au petit chien (Brahms, Schubert),
mais aussi pour des labels plus confidentiels comme Orfeo créé à Munich
en 1979. Les gravures brucknériennes par Sawallisch
datent des années 80, époque où le nouveau venu de la production de disques
cherchait à s'imposer face aux mégas concurrents comme DG, DECCA
ou Philips. Et à l'époque où Bruckner commençait
à faire partie du grand répertoire grâce à Eugen
Jochum et Bernard Haitink
(DG et Philips), on confia au chef bavarois la réalisation d'une sélection des
meilleures partitions de Bruckner qui
furent d'emblée reconnues comme exemplaires par la critique et les mélomanes,
notamment cette 6ème symphonie.
N'oublions pas Gunther Wand
qui s'était aussi attaqué dans les années 60-70 à sa seconde intégrale à Cologne pour Harmonia Mundi, là
encore avec une diffusion moins retentissante que celle de ses deux confères.
Les sessions d'enregistrement eurent lieu avec l'Orchestre de l’État de Bavière, un
orchestre de grande renommée qui fut dirigé par des "pointures" comme
Rudolf Kempe ou Hans
Knappertsbusch et même à ses
débuts par Herman Levi, ami de
Bruckner et promoteur de la 7ème symphonie, l'un de ses
rares succès. Wolfgang Sawallisch
disposa donc d'un orchestre déjà bien rompu à l'exercice depuis le vivant du
maître autrichien… Il gravera d'autres versions avec l'orchestre de Philadelphie et à la Philharmonie de Vienne, deux orchestres
mythiques dont il fut le directeur de nombreuses années. (RIP Sawallisch)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Klimt : maison en forêt (1912) |
Après le désaveu de la 5ème symphonie, prend-t-il
conscience que son travail a des décennies d'avance, que ni les orchestres ni
le public sont prêts pour aborder un ouvrage aussi difficile ? Bruckner s'attèle à une partition aux
mouvements plus courts, revisitant la forme sonate classique et recherchant des
thèmes bien dessinés. Bref, un souci de séduction musicale émerge chez le
compositeur peu enclin en général à se laisser aller à la facilité. L'œuvre
n'est pourtant pas qu'un simple exercice de transition. Elle contient des idées
novatrices qui nourriront les trois derniers opus symphoniques. Hélas, comme
souvent, la partition n'intéressera personne et c'est son élève Gustav Mahler qui en donnera la première
audition en 1899 après la mort du compositeur. Même de nos jours, cette
œuvre est rarement donnée en concert. Je ne l'ai entendue qu'une seule fois,
pendant les années 70 avec l'orchestre de
Radio France.
L'orchestration est très classique : 2/2/2/2, 4/3/3 +
tuba basse, timbales et cordes.
1 – Majestoso :
trémolos de notes piquées aux violons, quelques mesures plus tard : motifs de
triolets syncopés aux violoncelles et contrebasses s'opposant aux frémissements
des violons puis, au lointain, un motif bucolique des cors. Oui, nous sommes
bien dans une introduction brucknérienne où les lignes mélodiques se
superposent sans confusion, telles celles surgissant des jeux d'orgues. Bruckner, l'organiste le plus talentueux
de Linz, architecture sa musique à la manière de celle d'une pièce ou d'une
improvisation jouée sur son instrument préféré. On pense à l'aube dans une
forêt autrichienne même si la musique n'a aucune vocation descriptive ou
symbolique.
[0:48] Premier éclat olympien des cuivres, mais le
thème apparaît comme interrompu et disloqué, chaque mesure offrant ses groupes
de notes à un pupitre différent. C'est nouveau dans le style de Bruckner et on retrouvera ce principe dans
la 8ème symphonie…
[1:26] Un contresujet aux flûtes s'oppose à la rusticité du discours. Tout
l'art de Bruckner réside dans
ces chassés croisés de timbres, cette fantaisie formelle dans la fragmentation
de la thématique, surtout lorsqu'un chef investi, comme ici Wolfgang Sawallisch, prend à bras le corps
la partition. Au sein d'un climat de grandeur, la tendresse et l'intimité
auront leurs places. [2:11] Et voici un premier développement aux allures
débonnaires. [3:50] Reprise farouche qui montre que Bruckner ne revient absolument pas à un
style néoclassique, non, il nous ballade dans les méandres de son imagination.
On retrouve ses variations élaborées pleines de surprises déjà présentes dans
ses œuvres précédentes, mais sans l'austérité qui les hantait. [12:09] Bruckner fait précéder la coda de l'une de
ses processions instrumentales qui faisaient déjà le charme des 2ème et 4ème symphonies. Un motif élégant et sinueux se
promène de pupitre en pupitre de manière festive jusqu'à un groupe de puissants
accords répétitifs qui conclut le mouvement, il est vrai un peu lourdement.
2 - Adagio : sehr feierlich :
[14:22] lang gezogen (En étirant le temps). L'adagio représente
souvent un grand moment de méditation spirituelle chez Bruckner. Une prière spirituelle dans 5ème symphonie, une procession funèbre
dans la 7ème symphonie.
Dans notre symphonie de ce jour, la méditation reste la préoccupation centrale
mais on y ressent plutôt un hymne à la félicité terrestre. Le grand climax,
aboutissement du long développement avant la coda, n'a pas sa place ici. Bruckner n'a-t-il plus ce désir de crier
vers Dieu ?
Une mélopée des cordes établit d'emblée une ambiance
recueillie mais sans angoisse. Le chant du hautbois solo vient éclairer cette
introduction aux caractères épiques et lyriques. La polyphonie est d'une belle
richesse. [16:20] Le groupe de cors assure une transition vers une seconde idée
élégiaque mais dépourvue de tristesse ou de découragement. Les lignes
mélodiques aux cordes s'entrecroisent. On semble plonger dans un crescendo
infini et pourtant aucun effet pathétique et pesant ne vient perturber la
quiétude. [19:33] Encore une nouvelle trouvaille avec un thème interrogatif et
martial avec ses pizzicati. Ce mouvement séduit par sa tendresse plutôt rare
chez le taciturne compositeur. À l'habituelle progression vers une clameur
mystique, le traditionnel tutti extatique, Bruckner
porte attention au moment présent, jamais vraiment serein, mais réellement
apaisé. Wolfgang Sawallisch
n'aimait guère les effets hyperromantiques dans sa battue, il joue la
carte de la musique pure d'une beauté quasi dionysiaque, comme le montre la
souplesse apportée à la reprise [25:17]. Le retour (savant mais aisé à suivre)
de la forme sonate facilite l'écoute de cet adagio trithématique. Une page
pleine de chaleur humaine qui se conclut dans le recueillement par trois doux
accords syncopés des cordes notés ppp, le temps étiré comme précisé sur
la partition.
3 - Scherzo : nicht zu schnell :
[32:03] Le scherzo ne dépasse pas la dizaine de minutes et m'apparaît comme le
plus allègre écrit par le maître. Bruckner
lui-même le trouvait "facétieux", c'est tout dire. Et puis, on assez
souvent reprocher la banalité des scherzos du compositeur : trop long, très
répétitif, construit résolument da capo ; là, grand changement… Une petite
marche guillerette et très scandée assure le contraste avec la douceur diaphane
des ultimes mesures de l'adagio. Un second thème héroïque charpente le scherzo.
Dans la reprise, les flûtes, les cors et les violons se pourchassent comme des
jeunes chats. Tout cela est amusant et participe à mon incompréhension quant à
la mauvaise réputation de cette symphonie. [34:58] Le trio poursuit la velléité
de nous égayer, un passage à l'orchestration brillante et oui : un phrasé
"facétieux", l'idée est confirmée. Le scherzo est repris da capo sans
coda originale, dommage. L'espièglerie fantasque domine. On n'entendra jamais
plus de telles libertés dans les symphonies à venir.
4 - Finale : bewegt, doch nicht zu
schnell : [40:30] Le final est lui aussi plus bref que dans
toutes les autres symphonies, même les premières. Le ton est fougueux. La
thématique fouillée et très diversifiée va apporter une confrontation
permanente entre la masse des cordes et des fanfares de cuivres pour le moins
musclées. Wolfgang Sawallisch
apporte beaucoup de vie à l'ensemble en jetant ses instruments dans la mêlée,
mais à travers une direction franche, des attaques de cordes incisives, un jeu
des bois très vivant. Les ruptures de climats sont nombreuses, de la gravité à
la malice. Une direction sans brutalité. En conclusion de cette folie, [54:38] Bruckner introduit via une pirouette une
péroraison diabolique sur le thème en triolet proposé par les contrebasses dans
les premières mesures de la symphonie. La boucle est bouclée ! (Partition)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
En dehors des intégrales, la 6ème symphonie a connu de
belles gravures isolées. L'œuvre atypique dans le parcours de Bruckner se réclame plus de la musique
pure que du romantisme mystique habituel, donc seules les interprétations qui évitent
toute dérive sulpicienne ont marqué l'histoire du disque. En voici trois
qui me passionnent et qui sont toutes postérieures à la gravure de Sawallisch.
En 1999, Riccardo
Chailly, directeur du Concertgebouw
d'Amsterdam enregistre la 6ème
symphonie dans le cadre d'une intégrale. Une réussite totale, un
orchestre étonnamment transparent pour cette musique. Les tempos sont retenus ;
enfin un rayon de soleil chez Bruckner !
Difficile à trouver hélas (Decca - 6/6)
En 1994, à Cleveland,
Christoph von Dohnányi trouve
lui aussi le phrasé juste et clair, les tempos sont plus sages que ceux d'un Klemperer, tous les détails de la
partition trouvent leur place dans un flot musical sans aucun pathos. (DECCA
– 5/6)
Enfin plus récemment, en 2015, Marris Jansons avec le Concertgebouw d'Amsterdam a signé une
gravure plébiscitée par tous. Voilà ce que j'avais écrit il y a deux ans sur un
site connu : "Quoi de neuf avec Jansons : pas de grandiloquence, un
orchestre qui sonne comme jamais notamment avec une prise de son qui équilibre
parfaitement cordes et harmonie et surtout une conception vif-argent qui
dégraisse de toute couleur teutonne le propos. Dès l'introduction, une forme de
joie champêtre s'empare de l'orchestre, l'adagio retrouve le raffinement et ne
s'alanguit pas, le scherzo se pare de mille couleurs et enfin le final retrouve
cette rythmique presque juvénile que l'on ne rencontrera plus jamais dans les
œuvres plus graves de la maturité. Bref, une réussite et une pierre sans doute
essentielle dans la discographie de cette œuvre mal-aimée…" Je ne
change pas un mot (RCO – 6/6). En prime la 7ème symphonie.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire