- Ah M'sieur Claude ! Un petit nouveau dans le blog… Heu, avec ces
accents circonflexes qui font les pieds au mur, je dirais… un
tchèque…
- Bravo Sonia, Leoš Janáček est l'un des compositeurs tchèques les plus
réputés avec Dvořák et Martinu. Il établit le pont entre le romantisme et
l'époque moderne…
- Et cette sinfonietta ? Le titre fait penser à un divertissement baroque
pour soirée mondaine…
- Pas le moins du monde, c'est une suite symphonique généreusement
orchestrée, populaire et épique, un éloge à la jeunesse et à la
vitalité…
- Nouveauté pour nouveauté, Charles Mackerras fait également son entrée
dans vos chroniques…
- Oui, ce chef d'orchestre d'origine australienne et disparu en 2007 est
LE spécialiste des opéras de Janáček, donc l'homme de la situation pour ce
disque !
Leoš Janáček (1854-1928) |
J'assume ma résolution du nouvel an, à savoir dédier l'année 2017 à la
découverte de compositeurs qui n'ont jamais eu droit aux honneurs du blog.
Après une période plus classique avec
Haydn,
Haendel,
Strauss, avec néanmoins un petit détour contemporain dans l'univers de
John Adams, voici le premier article consacré à
Leoš
Janáček, grande figure de la musique tchèque, bien connu des amateurs d'opéras
qui, comme vous le savez, est un genre pour lequel mon expertise est
limitée. D'ailleurs, si dans ce domaine visité parfois par Pat, des lecteurs
veulent nous prêter main forte, pas d'hésitation…
Si
Antonin Dvořák
(1841-1904) reste le porte
étendard célébrissime de la musique tchèque grâce à ses
symphonies, ses
quatuors
et un incontournable
concerto pour violoncelle, il demeure cependant un homme inscrit dans la tradition classique et
romantique, avec une grande habileté certes, surtout dans les œuvres de la
maturité. Il occupe une place de choix dans l'index avec 7 articles !
(Index) Leoš Janáček
(1854-1928) en est presque le
contemporain, mais sa musique va l'entraîner vers un style beaucoup plus
moderniste qui peut se rapprocher par certains aspects des recherches
acoustiques du hongrois
Bartók.
Leoš Janáček
est né en 1854 dans une famille
de 13 gosses dirigée d'une main de fer par un papa instituteur. Les
compositeurs nés en ce milieu du XIXème siècle, l'âge d'or de
Wagner, de
Berlioz, sont les français
Ernest Chausson et
Vincent d'Indy, l'anglais
Edward Elgar, l'italien
Puccini… Quels points communs entre ces hommes : ils sont à la fois les héritiers
du romantisme, donc les premiers postromantiques nés une dizaine d'années
avant
Mahler et
Richard Strauss. Mais tous vont chercher à se démarquer d'une certaine facilité académique
qui fait le bonheur du public du second empire et de la troisième république
en France ou de la tradition germanique de l'empire austro-hongrois. En un
mot : des novateurs du langage musical.
C'est dans un monastère que le père envoie le fiston Leoš
âgé de 11 ans suivre un enseignement musical assez complet, notamment le
chant. Petit séjour à Prague pour maîtriser l'orgue et s'essayer à la
composition. 20 ans : rencontre avec
Dvořák qui va bientôt sortir de l'anonymat avec sa
5ème symphonie
(qui sera longtemps la N°1) et deviendra un compositeur considéré comme
majeur en 1877 avec son
Stabat Mater. Les deux hommes n'ont jamais que 13 ans d'écart et, je l'ai souvent
écrit, le compositeur de la
symphonie du nouveau monde
n'était pas un surdoué précoce. Il devra attendre la petite quarantaine pour
tenir un rôle important dans l'histoire de la musique tchèque et même
universelle…
Janáček
va consacrer les premières décennies à l'enseignement et à sa famille. Comme
Dvořák, il verra hélas ses premiers enfants disparaître jeunes, avant
l'adolescence ! À cette époque, le compositeur écrit le 3ème de
ses 9
opéras
en langue tchèque :
Jenůfa. Un opéra qui met en scène des infanticides au sein d'une famille
dissolue. Au-delà de l'intrigue qui peut traduire la douleur d'un père
(comme
Dvořák avec son
Stabat Mater), le style évolue considérablement. La musique et le chant deviennent
fusionnels comme chez
Debussy,
Strauss
ou
Puccini. La musique doit servir le récit et non se prêter uniquement à des
prouesses vocales, même géniales, comme chez
Wagner et
Verdi.
Charles Mackerras |
Souvent donnés de nos jours sur les scènes lyriques, quatre opéras de première importance achèveront la période créatrice dans le
genre :
Katja Kabanova,
La Petite Renarde rusée,
L'Affaire Makropoulos, et enfin, en 1928 :
De la maison des morts d'après l'œuvre de
Dostoïevski. L'opéra plonge
l'auditeur dans l'univers terrible et parfois cocasse d'un bagne. Le sujet
est pour le moins révolutionnaire et établit à mon sens un lien humaniste
avec
Fidelio
de
Beethoven. Les bruits de chaînes sont utilisés comme instruments.
Janáček
va se passionner plus tardivement, au début du XXème siècle pour être
précis, à la musique de chambre et aux ouvrages symphoniques. Quatre œuvres
ont marqué l'histoire musicale de son temps : le poème
Taras Bulba
d'après Gogol (1915-1918), la
Sinfonietta
(1926), le
quatuor
Lettres intimes
de 1928 et la
Messe glagolitique
de 1926. Une liste limitative…
Le style de
Janáček
se révèle très personnel, assez détaché des conventions classiques, rythmé,
énergique voire provocant. Il partage avec
Bartók
une passion : celle de l'ethnomusicologie, à savoir collecter lors de
randonnées dans sa Moravie natale des airs, chants et danses folkloriques
qui nourriront son inspiration.
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Le chef d'orchestre australien
Charles Mackerras a vu le jour un 17 novembre (comme votre serviteur) en
1925. Gamin, il part pour
l'Australie avec sa famille et apprend le hautbois et la flûte au
conservatoire de Sydney. L'intérêt pour la direction d'orchestre le conduit
à Prague libéré du joug nazi mais placé sous la botte stalinienne… Bref, il
y rencontre fin des années 40 le chef historique
Václav Talich
qui est aussi un violoniste réputé et le fondateur d'un quatuor qui porte
son nom.
Václav Talich
(1883-1961) était aussi un opposant farouche à Hitler et
refusa de jouer
Lohengrin
pour l'anniversaire du Führer ! Un certain cran. Il créa la
Sinfonietta
de son ami
Janáček
en 1926. C'est tout
naturellement que
Charles Mackerras va hériter de cette passion de son mentor pour la musique tchèque en
général et de
Janáček
en particulier. Il occupe ses premiers postes à Londres, ville où il fera
découvrir les opéras et musiques tchèques au public anglais. Pendant toute
sa longue carrière de maestro et de pédagogue,
Mackerras va parcourir le monde, et sera particulièrement apprécié en Allemagne. Bien
que non tchèque, Mackerras assurera une succession à la tradition de la direction incisive de grands
chefs comme
Rafael Kubelik
ou
Karel Ančerl. Si le chef a œuvré pour faire connaître la musique tchèque, il s'est
aussi passionné pour la musique baroque :
Purcell,
Haendel,
Mozart
qu'il a cherché à dépoussiérer des habitudes romantiques à la manière d'un
Harnoncourt
seconde époque.
Je garde un très bon souvenir d'un
Don Juan
de
Mozart
à l'opéra de Paris vers 1975 avec
Ruggieri Raimondi
dans le rôle-titre… Il a légué une discographie imposante, notamment, on
s'en doute, du répertoire lyrique et symphonique de
Janáček. Il nous a quittés en
2010.
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La
Sinfonietta
sera la réponse à une commande de l'organisation Sokol. Cette
organisation fondée en 1862 avait pour but de promouvoir un mélange
pittoresque de goût pour la gymnastique, de patriotisme et de nationalisme…
Initiative pour doter la jeune république tchèque de gaillards valeureux,
sains de corps et d'esprit, un peu un héritage de la philosophie grecque.
N'y voyons pas du tout une milice malgré mon ironie, plutôt un désir de
marquer son territoire avec de grands rassemblements dans des stades bondés
avec tambours et trompettes.
Janáček
aurait pu composer une machinerie cocardière comme l'ouverture de 1812
de
Tchaïkovski (bien malgré lui). Et bien non, c'est un ouvrage empreint de vitalité voire
de virilité mais très bien composé et fort divertissant… Tambours et
trompettes est bien l'expression en listant l'instrumentation plutôt chargée
:
Bohumil Kubišta - Cirkus (1911) |
La
Sinfonietta
est une suite symphonique en cinq parties :
1 – Allegretto
: L'introduction est une fanfare à décorner les bœufs du village. Une idée
enjouée de
Janáček
ravi du retour du nom d'origine slave pour la ville de Brno qui était
affublé du nom allemand de Brünn. Chacun ses petits plaisirs… Il
s'agit d'une altière fanfare mettant en jeu 3 groupes de 3 trompettes en do,
un tuba basse, deux tubas ténor et les timbales. Fringant les amis, et ça
jette !!
Janáček
écrit pour des jeunes sportifs : les tubas ténors driblent quatre mesures et
passent au tuba basse qui relance vers les trois groupes de trois
trompettes, tandis que les timbales martèlent de manière syncopée le match.
Et un tutti qui maaaarquent !!!!* Une belle mêlée ouverte de cuivres. Aucuns
autres instruments ne viendront rivaliser avec ce déchainement typique du
style
Janáček
qui, au-delà de la gaieté énergique de cette intro, confirme une forme de
rejet de l'écriture germanique romantique encore de mode en ces temps-là. On
va en reparler. Dire que l'on entend les cuivres les plus éclatants de la
planète à la
Philharmonie de Vienne
serait un pléonasme. On pourrait aussi ressentir le même effet cyclopéen à
Chicago
ou à
Berlin. La prise de son ne lésine pas sur la dynamique.
Charles Mackerras adopte un son clair, robuste et dru qui renvoie à
Stravinsky
et à
Bartók.
Janáček
moderniste ? La suite va le confirmer…
(*) Que le commentateur sportif sorte du corps de Claude Toon, on parle
de musique ici, m'enfin !
2 – Andante
: L'indication de tempo laisse présager un moment de détente. Il n'en est
rien même si à l'évidence nous quittons l'effervescence de l'introduction
pour une promenade à la fois bucolique et festive. Dans un premier temps
seuls les bois et les cordes, sur un rythme vif-argent, chantent
facétieusement un joyeux thème paysan. Clarinettes, bassons et trombones
illustrent des cabrioles bondissantes d'athlètes avec de pétillants
pizzicati des cordes au début des mesures paires. Encore une fois
Janáček
montre son désir de simplicité, de ne pas superposer tous les pupitres comme
le ferait un
Richard Strauss
ou un
Liszt.
Eh Rockin', dans Sokol, il y avait aussi de jolies sportives... On s'inscrit ? |
3 – Moderato
: Encore un mouvement singulier dans lequel s'opposent des phrases
élégiaques des cordes et des interventions frénétiques, chaotiques voire
drolatiques des vents ou des cuivres. Une partie de chasse en Moravie. Le
mouvement s'achève dans une ambiance sereine auréolée d'arpèges des harpes.
Et toujours cette succession de groupes orchestraux réduits.
Janáček
comme
Bartók
cherchait des voies nouvelles dans l'association des timbres. Malgré la
puissance de l'orchestre, une limpidité héritée du style divertissement ou
concerto grosso n'est pas loin.
4 – Allegretto
: Ce bref intermède qui précède le puissant final retrouve de nouveau le
style trépidant de l'andante. Les sonorités sont de plus en plus étranges,
surtout celles des cuivres, le discours épouse une facétie de guinguette.
5 – Andante con moto
: de tendres phrases des cordes et des bois introduisent le finale. Une
douceur inattendue avec de poétiques solos de flûte. Le final va se
construire de manière de plus en plus agreste et triomphale. L'architecture
se veut très imaginative mais toujours aussi claire dans son développement.
Janáček
traite son sujet de manière chorégraphique. Une transition rugueuse nous
ramène, via un coup de cymbales, à la fanfare initiale. Les cuivres toujours
aussi débonnaires seront ici accompagnés des cordes et des vents à
l'unisson. Les quatre dernières pages de la partition, pour la premières fois, réunissent les portées de
l'orchestre dans une coda triomphale.
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Cette œuvre pour le moins dynamique, un défi pour la cohérence d'un
orchestre, possède une belle discographie. Le disque présenté ici dans la
collection Virtuoso est complété de
Taras Bulba et d'extraits de
la petite renarde rusée. Il coûte une misère. Pour ceux qui voudraient découvrir un peu plus
Janáček, on retrouve les deux œuvres citées, plus d'autres musiques enregistrées
par des chefs divers, une parution dans la collection 2CD DECCA. Pour
les curieux uniquement, certaines interprétations méritant mieux.
Le disque historique de
Karel Ančerl
est disponible au Japon. Le chef tchèque assouplit le discours, l'orchestre philharmonique tchèque
est au sommet dans ces années 60'. Le maestro adoucit le trait militaire de
l'ouvrage (qui porte d'ailleurs le sous-titre de
sinfonietta militaire). Le son est moins daté que l'on pourrait craindre d'une gravure tchèque
de cette époque. Une référence ! (Supraphon – 5,5/6). Autres couplages et interprétation de grande classe avec
Abbado (entendu en concert, impressionnant). (DG
– 5/6)
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L'enregistrement de
Mackerras, puis une curiosité poilante. Le groupe de
Rock Emerson Lake & Palmer
a cru bon d'utiliser le thème martial de la fanfare pour un titre de 1970.
On pensera ce que l'on voudra, c'est plutôt cool de piocher des thèmes dits
"classique" pour changer d'air. Mais, dites les gars : c'est une fanfare
guillerette pas une marche funèbre et quant à
Janáček
qui avait horreur du jeu fouillis, il doit se retourner dans sa tombe !!!!
Amusant mais un peu à contresens. L'articulation les mecs, l'articulation
!!! Vous en pensez quoi les amis rockeurs ?
- Non Bruno, Philou, Vincent, ne me tapez pas sur la tête, donnez-moi
juste votre avis… Aie Aie Aie…
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