samedi 20 mai 2017

Leoš JANÁČEK – Sinfonietta – Charles MACKERRAS (1981) – par Claude TOON



- Ah M'sieur Claude ! Un petit nouveau dans le blog… Heu, avec ces accents circonflexes qui font les pieds au mur, je dirais… un tchèque…
- Bravo Sonia, Leoš Janáček est l'un des compositeurs tchèques les plus réputés avec Dvořák et Martinu. Il établit le pont entre le romantisme et l'époque moderne…
- Et cette sinfonietta ? Le titre fait penser à un divertissement baroque pour soirée mondaine…
- Pas le moins du monde, c'est une suite symphonique généreusement orchestrée, populaire et épique, un éloge à la jeunesse et à la vitalité…
- Nouveauté pour nouveauté, Charles Mackerras fait également son entrée dans vos chroniques…
- Oui, ce chef d'orchestre d'origine australienne et disparu en 2007 est LE spécialiste des opéras de Janáček, donc l'homme de la situation pour ce disque !

Leoš Janáček (1854-1928)
J'assume ma résolution du nouvel an, à savoir dédier l'année 2017 à la découverte de compositeurs qui n'ont jamais eu droit aux honneurs du blog. Après une période plus classique avec Haydn, Haendel, Strauss, avec néanmoins un petit détour contemporain dans l'univers de John Adams, voici le premier article consacré à Leoš Janáček, grande figure de la musique tchèque, bien connu des amateurs d'opéras qui, comme vous le savez, est un genre pour lequel mon expertise est limitée. D'ailleurs, si dans ce domaine visité parfois par Pat, des lecteurs veulent nous prêter main forte, pas d'hésitation…
Si Antonin Dvořák (1841-1904) reste le porte étendard célébrissime de la musique tchèque grâce à ses symphonies, ses quatuors et un incontournable concerto pour violoncelle, il demeure cependant un homme inscrit dans la tradition classique et romantique, avec une grande habileté certes, surtout dans les œuvres de la maturité. Il occupe une place de choix dans l'index avec 7 articles ! (Index) Leoš Janáček (1854-1928) en est presque le contemporain, mais sa musique va l'entraîner vers un style beaucoup plus moderniste qui peut se rapprocher par certains aspects des recherches acoustiques du hongrois Bartók.

Leoš Janáček est né en 1854 dans une famille de 13 gosses dirigée d'une main de fer par un papa instituteur. Les compositeurs nés en ce milieu du XIXème siècle, l'âge d'or de Wagner, de Berlioz, sont les français Ernest Chausson et Vincent d'Indy, l'anglais Edward Elgar, l'italien Puccini… Quels points communs entre ces hommes : ils sont à la fois les héritiers du romantisme, donc les premiers postromantiques nés une dizaine d'années avant Mahler et Richard Strauss. Mais tous vont chercher à se démarquer d'une certaine facilité académique qui fait le bonheur du public du second empire et de la troisième république en France ou de la tradition germanique de l'empire austro-hongrois. En un mot : des novateurs du langage musical.
C'est dans un monastère que le père envoie le fiston Leoš âgé de 11 ans suivre un enseignement musical assez complet, notamment le chant. Petit séjour à Prague pour maîtriser l'orgue et s'essayer à la composition. 20 ans : rencontre avec Dvořák qui va bientôt sortir de l'anonymat avec sa 5ème symphonie (qui sera longtemps la N°1) et deviendra un compositeur considéré comme majeur en 1877 avec son Stabat Mater. Les deux hommes n'ont jamais que 13 ans d'écart et, je l'ai souvent écrit, le compositeur de la symphonie du nouveau monde n'était pas un surdoué précoce. Il devra attendre la petite quarantaine pour tenir un rôle important dans l'histoire de la musique tchèque et même universelle…
Janáček va consacrer les premières décennies à l'enseignement et à sa famille. Comme Dvořák, il verra hélas ses premiers enfants disparaître jeunes, avant l'adolescence ! À cette époque, le compositeur écrit le 3ème de ses 9 opéras en langue tchèque : Jenůfa. Un opéra qui met en scène des infanticides au sein d'une famille dissolue. Au-delà de l'intrigue qui peut traduire la douleur d'un père (comme Dvořák avec son Stabat Mater), le style évolue considérablement. La musique et le chant deviennent fusionnels comme chez Debussy, Strauss ou Puccini. La musique doit servir le récit et non se prêter uniquement à des prouesses vocales, même géniales, comme chez Wagner et Verdi.
Charles Mackerras
Souvent donnés de nos jours sur les scènes lyriques, quatre opéras de première importance achèveront la période créatrice dans le genre : Katja Kabanova, La Petite Renarde rusée, L'Affaire Makropoulos, et enfin, en 1928 : De la maison des morts d'après l'œuvre de Dostoïevski. L'opéra plonge l'auditeur dans l'univers terrible et parfois cocasse d'un bagne. Le sujet est pour le moins révolutionnaire et établit à mon sens un lien humaniste avec Fidelio de Beethoven. Les bruits de chaînes sont utilisés comme instruments.
Janáček va se passionner plus tardivement, au début du XXème siècle pour être précis, à la musique de chambre et aux ouvrages symphoniques. Quatre œuvres ont marqué l'histoire musicale de son temps : le poème Taras Bulba d'après Gogol (1915-1918), la Sinfonietta (1926), le quatuor Lettres intimes de 1928 et la Messe glagolitique de 1926. Une liste limitative…
Le style de Janáček se révèle très personnel, assez détaché des conventions classiques, rythmé, énergique voire provocant. Il partage avec Bartók une passion : celle de l'ethnomusicologie, à savoir collecter lors de randonnées dans sa Moravie natale des airs, chants et danses folkloriques qui nourriront son inspiration.
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Le chef d'orchestre australien Charles Mackerras a vu le jour un 17 novembre (comme votre serviteur) en 1925. Gamin, il part pour l'Australie avec sa famille et apprend le hautbois et la flûte au conservatoire de Sydney. L'intérêt pour la direction d'orchestre le conduit à Prague libéré du joug nazi mais placé sous la botte stalinienne… Bref, il y rencontre fin des années 40 le chef historique Václav Talich qui est aussi un violoniste réputé et le fondateur d'un quatuor qui porte son nom.
Václav Talich (1883-1961) était aussi un opposant farouche à Hitler et refusa de jouer Lohengrin pour l'anniversaire du Führer ! Un certain cran. Il créa la Sinfonietta de son ami Janáček en 1926. C'est tout naturellement que Charles Mackerras va hériter de cette passion de son mentor pour la musique tchèque en général et de Janáček en particulier. Il occupe ses premiers postes à Londres, ville où il fera découvrir les opéras et musiques tchèques au public anglais. Pendant toute sa longue carrière de maestro et de pédagogue, Mackerras va parcourir le monde, et sera particulièrement apprécié en Allemagne. Bien que non tchèque,  Mackerras assurera une succession à la tradition de la direction incisive de grands chefs comme Rafael Kubelik ou Karel Ančerl. Si le chef a œuvré pour faire connaître la musique tchèque, il s'est aussi passionné pour la musique baroque : Purcell, Haendel, Mozart qu'il a cherché à dépoussiérer des habitudes romantiques à la manière d'un Harnoncourt seconde époque.
Je garde un très bon souvenir d'un Don Juan de Mozart à l'opéra de Paris vers 1975 avec Ruggieri Raimondi dans le rôle-titre… Il a légué une discographie imposante, notamment, on s'en doute, du répertoire lyrique et symphonique de Janáček. Il nous a quittés en 2010.
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La Sinfonietta sera la réponse à une commande de l'organisation Sokol. Cette organisation fondée en 1862 avait pour but de promouvoir un mélange pittoresque de goût pour la gymnastique, de patriotisme et de nationalisme… Initiative pour doter la jeune république tchèque de gaillards valeureux, sains de corps et d'esprit, un peu un héritage de la philosophie grecque. N'y voyons pas du tout une milice malgré mon ironie, plutôt un désir de marquer son territoire avec de grands rassemblements dans des stades bondés avec tambours et trompettes. Janáček aurait pu composer une machinerie cocardière comme l'ouverture de 1812 de Tchaïkovski (bien malgré lui). Et bien non, c'est un ouvrage empreint de vitalité voire de virilité mais très bien composé et fort divertissant… Tambours et trompettes est bien l'expression en listant l'instrumentation plutôt chargée :
Bohumil Kubišta - Cirkus (1911)
4 Piccolos/4 flûtes, 2 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes + clarinette basse, 2 bassons, 4 cors, 12 trompettes (dont 3x3 pour l'intro et la coda), 2 trompettes basses, 4 trombones, 2 tubas ténor, 1 tuba basse, timbales, cymbales et cloches tubulaires, cordes à volonté et harpe.
La Sinfonietta est une suite symphonique en cinq parties :

1 – Allegretto : L'introduction est une fanfare à décorner les bœufs du village. Une idée enjouée de Janáček ravi du retour du nom d'origine slave pour la ville de Brno qui était affublé du nom allemand de Brünn. Chacun ses petits plaisirs… Il s'agit d'une altière fanfare mettant en jeu 3 groupes de 3 trompettes en do, un tuba basse, deux tubas ténor et les timbales. Fringant les amis, et ça jette !! Janáček écrit pour des jeunes sportifs : les tubas ténors driblent quatre mesures et passent au tuba basse qui relance vers les trois groupes de trois trompettes, tandis que les timbales martèlent de manière syncopée le match. Et un tutti qui maaaarquent !!!!* Une belle mêlée ouverte de cuivres. Aucuns autres instruments ne viendront rivaliser avec ce déchainement typique du style Janáček qui, au-delà de la gaieté énergique de cette intro, confirme une forme de rejet de l'écriture germanique romantique encore de mode en ces temps-là. On va en reparler. Dire que l'on entend les cuivres les plus éclatants de la planète à la Philharmonie de Vienne serait un pléonasme. On pourrait aussi ressentir le même effet cyclopéen à Chicago ou à Berlin. La prise de son ne lésine pas sur la dynamique. Charles Mackerras adopte un son clair, robuste et dru qui renvoie à Stravinsky et à Bartók. Janáček moderniste ? La suite va le confirmer…
(*) Que le commentateur sportif sorte du corps de Claude Toon, on parle de musique ici, m'enfin !

2 – Andante : L'indication de tempo laisse présager un moment de détente. Il n'en est rien même si à l'évidence nous quittons l'effervescence de l'introduction pour une promenade à la fois bucolique et festive. Dans un premier temps seuls les bois et les cordes, sur un rythme vif-argent, chantent facétieusement un joyeux thème paysan. Clarinettes, bassons et trombones illustrent des cabrioles bondissantes d'athlètes avec de pétillants pizzicati des cordes au début des mesures paires. Encore une fois Janáček montre son désir de simplicité, de ne pas superposer tous les pupitres comme le ferait un Richard Strauss ou un Liszt.
Eh Rockin', dans Sokol, il y avait aussi de jolies sportives... On s'inscrit ?
Parcourir la partition est amusant dans le sens où ce besoin de simplifier l'orchestration pour obtenir des sonorités franches et rutilantes permet au compositeur de réunir 2 voire 3 groupes de portées sur une même page (partition). Par ailleurs, l'impression d'un flot musical aux guillerets sautillements provient de l'usage de motifs aux notes de valeurs égales ; on repense à la musique minimaliste et répétitive d'un Adams écoutée il y a quelques semaines… (Clic) La musique alterne poésie des mélodies aux cordes, duo de bois et de harpes, jaillissements hardis de quelques cuivres, le tout sans jamais céder à la confusion. L'abandon du style postromantique est définitif. Un andante allègre et vivant !

3 – Moderato : Encore un mouvement singulier dans lequel s'opposent des phrases élégiaques des cordes et des interventions frénétiques, chaotiques voire drolatiques des vents ou des cuivres. Une partie de chasse en Moravie. Le mouvement s'achève dans une ambiance sereine auréolée d'arpèges des harpes. Et toujours cette succession de groupes orchestraux réduits. Janáček comme Bartók cherchait des voies nouvelles dans l'association des timbres. Malgré la puissance de l'orchestre, une limpidité héritée du style divertissement ou concerto grosso n'est pas loin.

4 – Allegretto : Ce bref intermède qui précède le puissant final retrouve de nouveau le style trépidant de l'andante. Les sonorités sont de plus en plus étranges, surtout celles des cuivres, le discours épouse une facétie de guinguette.

5 – Andante con moto : de tendres phrases des cordes et des bois introduisent le finale. Une douceur inattendue avec de poétiques solos de flûte. Le final va se construire de manière de plus en plus agreste et triomphale. L'architecture se veut très imaginative mais toujours aussi claire dans son développement. Janáček traite son sujet de manière chorégraphique. Une transition rugueuse nous ramène, via un coup de cymbales, à la fanfare initiale. Les cuivres toujours aussi débonnaires seront ici accompagnés des cordes et des vents à l'unisson. Les quatre dernières pages de la partition, pour la premières fois, réunissent les portées de l'orchestre dans une coda triomphale.
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Cette œuvre pour le moins dynamique, un défi pour la cohérence d'un orchestre, possède une belle discographie. Le disque présenté ici dans la collection Virtuoso est complété de Taras Bulba et d'extraits de la petite renarde rusée. Il coûte une misère. Pour ceux qui voudraient découvrir un peu plus Janáček, on retrouve les deux œuvres citées, plus d'autres musiques enregistrées par des chefs divers, une parution dans la collection 2CD DECCA. Pour les curieux uniquement, certaines interprétations méritant mieux.
Le disque historique de Karel Ančerl est disponible au Japon. Le chef tchèque assouplit le discours, l'orchestre philharmonique tchèque est au sommet dans ces années 60'. Le maestro adoucit le trait militaire de l'ouvrage (qui porte d'ailleurs le sous-titre de sinfonietta militaire). Le son est moins daté que l'on pourrait craindre d'une gravure tchèque de cette époque. Une référence ! (Supraphon – 5,5/6). Autres couplages et interprétation de grande classe avec Abbado (entendu en concert, impressionnant). (DG – 5/6)

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L'enregistrement de Mackerras, puis une curiosité poilante. Le groupe de Rock Emerson Lake & Palmer a cru bon d'utiliser le thème martial de la fanfare pour un titre de 1970. On pensera ce que l'on voudra, c'est plutôt cool de piocher des thèmes dits "classique" pour changer d'air. Mais, dites les gars : c'est une fanfare guillerette pas une marche funèbre et quant à Janáček qui avait horreur du jeu fouillis, il doit se retourner dans sa tombe !!!! Amusant mais un peu à contresens. L'articulation les mecs, l'articulation !!! Vous en pensez quoi les amis rockeurs ?
- Non Bruno, Philou, Vincent, ne me tapez pas sur la tête, donnez-moi juste votre avis… Aie Aie Aie



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