mercredi 5 avril 2017

HEAD OVER HEELS (1971), by Bruno


Naann !!! Rien à voir avec la chanson des Tears for Fears. Qui d'ailleurs, à mon sens, est bien loin d'être un bon titre du duo britannique ; rien à voir avec "Sowing the Seeds of Love" ou "Everybody Want to Rule World".
     Là, il s'agit d'un nouvel élément ajouté au chapitre des pépites « oubliés » (en particulier ceux des années 70). J'aime bien ce chapitre. Réservé aux bafouilles, sur ces groupes qui ont disparu après avoir réussi à enregistrer et à sortir le fameux premier disque. Le but ultime, l'Eldorado, la Terre Promise, hélas atteint au prix de pénibles et douloureux efforts qui souvent a servi à donner le coup de grâce à des jeunes la tête pleine de rêves et d'espoir, éreintés par des années de galères, de mauvaise nutrition et de nuits écourtées.
       Dans la famille des loosers magnifiques donc, voici Head Over Heels, de Detroit, Michigan.

     Quand on parle de la scène de Detroit de la fin des années 60 au milieu des années 70, on pense immédiatement à un Rock puissant, brut de décoffrage, belliqueux, débordant d'énergie, toutes guitares dehors. A un Rock'n'Roll High Octane, ou à un Rock Garage corrosif entre proto Punk et Heavy-blues psychédélique.
En matière de Rock, Detroit évoque irrémédiablement les Stooges et le MC5, ainsi que Detroit Wheels et Detroit (avec Mitch Ryder, Jim McCarthy et Steve Hunter), le frappa-dingue Ted Nugent et les Amboy Dukes, The Up, Bob Seger (alors The Bob Seger System), Alice Cooper, Brownsville Station, sans oublier Grand Funk Railroad (1)
On doit légitimement aussi évoquer la Motown, mais ce n'est pas le sujet.

     Bref, outre ses noms archi-connus, il y a une poignée de groupes, à la carrière nettement plus modeste, qui mérite de ne pas être jetés aux oubliettes. Il y a Frijid Pink qui réussi même à avoir un hit avec sa reprise passablement alourdie de "House of the Rising" (qui alla même taquiner les charts anglais), The Frost, lui aussi auteur d'un hit avec "Rock'n'Roll Music", mais qui est surtout resté longtemps dans les mémoires grâce à la présence de Dick Wagner (le futur collaborateur de Lou Reed, puis d'Alice Cooper et ensuite de Peter Gabriel).
Mais il y aussi un petit trio dont la puissance de feu n'avait rien à envier à un Nugent les nerfs mis à vif par un régime végétarien. Un trio qui réussi à marquer les esprits de son état. Et dont la réputation a réussi à percer les âges.
Ce trio c'est Head Over Heels, auteur d'un seul et unique éponyme en 1971. Oui, mais quel disque.
 

   Le groupe est constitué de jeunes musiciens émérites, pour qui la musique est déjà, au départ, une tradition familiale. Le père de Mike Urso, le bassiste et chanteur, joue dans le l'orchestre symphonique de Detroit. John Bredeau, le batteur, suit le même chemin que son père et grand-père, tout deux également batteurs professionnels. Tandis que la famille de Paul Frank, originaire du Sud,est un e adepte de la Country et de la guitare en finger-picking.

Urso et Frank se rencontrent en 1966, à Detroit. Ils jouent dans un premier groupe ; The Human Beinz. (apparemment, aucun lien avec celui auteur du hit "Nobody but Me" de 1967). C'est après le split qu'ils forment Head Over Heels, avec l'arrivée de Bredeau.
H.O.H. gagne rapidement une réputation scénique, notamment grâce à des premières parties pour Jethro Tull, Pacific Gas & Electric, Chicago et les Mothers de Frank Zappa. Et lorsqu'ils descendent en Californie chercher gloire et fortune (comme beaucoup de musiciens de Detroit) ils parviennent même à jouer régulièrement au célèbre Whisky-A-Go-Go. Sur la côte Est, à New-York, ce sont les portes de The Bitter End qui s'ouvrent pour eux, où là aussi ils se produisent régulièrement. Ils jouent même au Fillmore West et feront partie des derniers groupes à y avoir joué.

Dans le courant de l'année 1971, le groupe rentre en studio, à Hollywood, et pond un album de Heavy-rock cru, puissant, spontané et séminal. Voire parfois un peu mal dégrossi. Le genre de truc que l'on écoute à donf. Hypnotisé.

     L'album démarre en trombe, tel un V8 montée sur Hot-rod (Vraoumm !! 🚙). "Road Runner" est marqué par un fort ancrage dans le Hard-rock et préfigure le Amboy Dukes des "Call of the Wild" et "Tooth, Fang and Claw" . Et si Ted Nugent avait assisté, attentif, aux concerts de Head Over Heels ? Aucune trace de psychédélisme ici.  La batterie déboule tel un Corky Laing courroucé, martyrisant ces cymbales. Et la basse est un gorille bondissant, se frappant la poitrine en défi. Un avertissement autoritaire, plein de morgue tonne : "No mercy !!". En introduction d'un court et incisif solo. Paul Frank pousse un cri à défier "The Motor City Madman" sur ses propres terres. Ce titre est en avance sur son temps. Outre un Nuge en devenir, il préfigure aussi Messendgers (autre trio tombé dans l'oubli, en dépit de l'intérêt qu'avait suscité son unique disque ... encore un ...)

"Right Away" est une jam entre Uriah Heep et Grand Funk Railroad. Le chant de Paul Frank prend même alors quelques accents de Glenn Hughes époque Trapeze. Cette chanson sera reprise par Styx pour leur premier essai, dans une version moins bonne, moins spontanée et un rien ampoulée. mais que les fans de Styx, en général, raffolent. Mais connaissent-ils l'originale ?

Du Blues, oui mais du costaud avec la scie "Red Rooster" (un titre Willie Dixon très prisé au tournant des années 60, avec Spoonful) passablement alourdie. Le petit break, légèrement psychédélique, flirte un instant avec Led Zeppelin. Le final est un défouloir improvisé. Cette version a été capté à la maison, à Detroit, au Eastowne. Tout comme le plat de clôture. Rien de vraiment spécial, si ce n'est la puissance sonore qui semble être déployée.
Par contre, il semble y avoir ici une seconde guitare. De la slide qui s'invite sur la fin, peu avant que tout n'éclate en artifice de traits de guitare acide.

"Children of the Mist" surprend. Cette ballade folk - 90 % acoustique (y'a de l'orgue en fond sonore) - paraît perdue au milieu de ces torrents de décharges électriques. Cependant, elle démontre que les trois chevelus savent jouer autrement que comme des canailles à moitié sourdes. Une composition de Francis "Buzz" Clifford (l'auteur de la bouse "Baby Sittin' Boogie") interprétée pour la première fois par David Anderson sur l'album du même nom.
de G à D : Urso, Frank et Bredeau
Retour au mordant avec "Question", qui pourrait être un Heavy-rock acide hérité de San-Francisco joué avec le tempérament du Rock de Detroit. Avec la section rythmique qui cavale et la guitare, un chouia en retrait, trifouillant sur son riff des chorus, on croirait entendre Three Man Army.
Peut-être plus conventionnel avec son rythme Boogie-rock à la Grand Funk Railroad, "Tired and Blue" n'en est pas moins savoureux avec sa slide corrosive qui manque, un moment, de tomber dans la redite d'un passage de "Dazed and Confused". Le final en fade out paraît même légèrement anticipé pour parer à cette irrévocable comparaison. Un surprenant enchaînement sur un morceau de Soul-blues tempéré, "Land, Land". Là encore, le trio paraît en avance sur son temps avec cette chanson qui a bien des allures du "Miami" de James Gang (époque Tommy Bolin).
 Encore du Heavy-boogie avec "In My Woman", assez dans le style d'un Johnny Winter ... tel que l'on le retrouvera plus tard, après un "nettoyage", pour sa période bénite de "Still, Alive and Well" à "John Dawnson Winter III". Une chanson de Matthew Moore qui fera un hit en 1976 avec la version de Joe Cocker, sous le titre "(That 's What  I Like) In My Woman". La démo d'origine - excellente - découverte bien des années plus tard, est plus dans un style Country-Rock à la Crosby, Stills, Nash & Young ou/et Delaney & Bonnie. Ou encore dans le style du "Leon Russell And the Shelter People".


"Circles" est une ballade Soul mode bourrin à la Grand Funk qui nous plonge la tête sans ménagement dans le "Live Album" du trio de Flint. Avec peut-être une musicalité supérieure (3). C'est-à-dire qu'elle démarre sur la pointe des pieds, laissant le champ libre à la voix qui expose sa plainte, sa souffrance ... pendant deux minutes, avant de lâcher les chiens. Sur le premier couplet on croirait même entendre Mark Farner.

 La batterie reprend les patterns soutenus d'un Mitch Mitchell sous amphés, la basse se calque sur le jeu puissant d'un Felix Pappalardi. On retrouve d'ailleurs sur la fin, l'atmosphère d'un Mountain. Le binôme est inébranlable. C'est un socle groovy, puissant, hypnotique. 7 minutes trente d'extase sonique.

     Derrière ce Heavy-rock sale et sous haute tension, il y a la voix de Paul Frank, capable de prendre des douces et bienvenues intonations de Soul, permettant de tempérer le propos. De le rendre plus accessible. Son chant peut se montrer fort et rugueux, et à d'autres moments, d'être plus suave, presque féminin. Ce qui donne parfois l'impression de la présence d'un second chanteur, voire d'une chanteuse de Soul en mode furioso. Il y a aussi le soutien indéfectible de Mike Urso qui, bien que sa voix ait moins de personnalité, possède un timbre qui se marie bien celui avec celui de Paul ; particulièrement lors des chansons et des passages calmes.

     En dépit d'un essai bien concluant, Head Over Heels ne tarde pas à abandonner. 
Ses membres se dispersent. Bredeau disparaît de la circulation. Paul Frank intègre un nouveau collectif : Fresh Start. Un bon groupe de Heavy-funk blanc qui suit assez honorablement les traces de Rare Earth. Cependant, en dépit d'un petit succès ("Free") et de la reprise de la chanson "Right Away" (en version plus radiophonique), il ne parvient pas à survivre. Et comme Head Over Heels, il ne réalisera qu'une seule galette avant sa dissolution (toujours pas réédité).
Étonnant tout de même que "Right Away" n'ait jamais exploité correctement pour en faire en hit, car il en a pourtant les attributs nécessaires.

     Mike Urso est récupéré par un autre groupe de Détroit : Rare Earth, le groupe blanc de la Motown. Il joue sur "Willie Remembers" (1972) et le savoureux "Ma" (1973). Puis c'est Frank Zappa qui l'embarque pour une tournée. En 1975, avec deux anciens de Rare Earth, il monte l'éphémère H.U.B. pour un unique disque de Funk blanc. Deux ans plus tard, il retrouve Rare Earth qui a fait le ménage et a rappelé d'anciens membres. Il y reste quatre années. En 1981, il rejoint le collectif pour trois nouvelles années, pour la dernière fois.

     Malgré ses déceptions, Paul Frank ne put se résigner à lâcher la musique. D'après ses propres mots, entre lui et la guitare, c'était une histoire d'amour. A partir du moment où, alors qu'il avait dix ans, un cousin lui apprit trois accords de base, lui disant qu'avec ceux-là il pourrait à peu près tout jouer (Sol - La - Ré ?), il ne put refréner cet indéfectible lien. Même s'il dut attendre ses treize ans, et des résultats notables et encourageants à ses cours de guitares, pour avoir enfin son propre instrument. L'attente fut longue mais payante car il fut récompensé par une Les Paul.
Après le crash de Fresh Start, plus aucune trace de lui jusqu'à Bruzer. Un autre groupe aujourd'hui oublié, en dépit de la présence de Vinny Appice (entre son départ de Black Sabbath et son contrat chez Dio). Là encore, telle une malédiction, il n'y a eu qu'un seul disque (et qui, à ce jour, n'a toujours pas eu l'honneur d'être réédité).
Probablement échaudé par tous ces projets qui n'ont pu être pérennisés malgré leurs indéniables qualités, Paul Frank a continué sa carrière musicale dans la sécurité. Par la suite, il s'est contenté de faire l'homme de main pour divers artistes de renoms. Dont Joe Cocker, Leon Russell, Buddy Miles et Ray Charles.
Parallèlement, il exposa et vendit des toiles, fit le luthier et confectionna des guitares, tout en étant directeur de musique du Rock Solid Foursquare Church de Casselberry.
N'ayant pu bénéficier d'une greffe du rein, il décéda à l’hôpital à l'âge de 62 ans, en avril 2009.



(1) Le groupe est originaire de Flint, ville considéré comme faisant partie de la banlieue de Detroit, par sa proximité et aussi par sa étroite liaison avec l'industrie automobile (c'est d'ailleurs la première et la plus touchée par la crise économique de l'automobile. C'est aujourd'hui une des plus villes les plus sinistrées et les plus pauvres des Etats-Unis. Une des plus négligées par l'administration américaine)
(2) Matthew Moore était un jeune auteur-compositeur et musicien qui, après deux albums de Pop psychédélique en 1968 et 69, sera récupéré par Leon Russell. Il est l'auteur du "Space Captain" des Mad Dogs & Englishmen de Joe Cocker
(3)  Bien que Grand Funk ne cessait alors de progresser. A partir de "Closer to Home", et surtout à partir du bien nommé "Phoenix", Grand Funk n'a jamais cessé de faire preuve de progression dans sa musique. Certains y voient même alors les prémices d'un Heavy-rock FM. Donc lorsque l'on lit des articles cantonnant ce groupe à une réunion de musiciens cachant leur manque de talent derrière un déluge sonore, c'est non seulement terriblement réducteur mais c'est aussi une preuve que les auteurs de ses lignes ne se sont pas réellement attardé sur ce groupe. Qu'ils n'ont pas fait l'effort d'écouter plus d'un disque, ou même quelques titres. Qu'ils se sont paresseusement référés qu'aux premiers articles les concernant. 


 
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