- Mais M'sieur Claude ! C'est quoi toutes ces valises, ce filet à
      crevettes, l'essayage d'un smoking aux heures de bureau ? Vous partez où
      ?
  - À Roscoff Sonia… Thalassothérapie avec Mme Maggy : bains d'algues,
      massages par de charmantes esthéticiennes, gastronomie, crêpes et
      cidre….
  - En pleine période électorale, c'est suicidaire, c'est quand même pas au
      frais du blog, genre "musicologie en Bretagne" avec la complicité de
      M'sieur Luc ?
  - Non Sonia ! D'ailleurs ne l'ébruitez pas… Revenons à Schubert et au
      dernier des trois quatuors de la maturité qui n'a pas encore eu sa
      chronique…
  - Oui, tiens c'est vrai, le
      14 "La jeune fille et la mort" et le
      15 ont déjà eu leurs articles, des chefs-d'œuvre… Même chose pour le
      13ème ?
      Les Emerson
        ?
      Ça me dit quelque
      chose…
  - En effet Sonia, le quatuor Rosamunde est un modèle du genre, composé à
      la fin de la courte vie de Schubert. Le quatuor Ermerson ? Oui dans le
      8ème de
      Chostakovitch…
         
       | 
    
| Quatuor Emerson | 
  Vacances bretonnes ou pas, le Deblocnot ne renonce jamais… Donc en mon
    absence,
    Schubert
    et Sonia assurent la permanence avec l'un des plus beaux quatuors à cordes
    du maître viennois. Au programme : poésie, romantisme et nostalgie d'une vie
    qui va s'éteindre…
  Près de dix ans séparent la composition d'un quatuor complet, le
    N° 11 D 353, de celle du premier des trois derniers grands quatuors qui marquent
    l'apogée de l'art de
    Schubert
    pour cette forme et montre le degré de maîtrise visionnaire atteint par
    Franz en ce début d'année 1824.
  
  Le compositeur souffre déjà beaucoup de la syphilis qui l'emportera, mais
    il lui reste encore quatre ans à vivre. Et si ce quatuor
    N°13 Rosamunde
    aborde une forme plus ambitieuse, caractéristique de la dernière période
    créatrice de
    Schubert, il reste une œuvre qui échappe à la peur de la mort qui plane dans
    l'inspiration de ses derniers opus. Cette œuvre est contemporaine de
    l'immortel (si l'on peut dire)
    quatuor N° 14
    "La jeune fille et la mort"
    D 810
    écrit la même année, chef d'œuvre absolu (tant pis pour cette emphase) au
    ton plus dramatique
    (Clic). Un ultime
    quatuor, le
    N° 15, verra le jour en 1826, très
    long, bouleversant, le chant du cygne pour cette formation qui sera suivi
    l'année de la mort de Franz, en
    1828, du
    quintette
    avec
    un second violoncelle
    (Clic)
    &
    (Clic). Une chronique qui va ainsi boucler un cycle d'œuvres de musique de
    chambre parmi les plus inspiré de l'histoire de la musique.
  Curieusement, alors que
    Schubert
    ne parvenait pas à imposer sa musique, ce quatuor sera édité et joué de son
    vivant avec un petit succès ! Il est vrai que son style empreinte beaucoup
    de thèmes et de motifs mélodiques
    à la forme lied qui faisait
    la réputation du jeune compositeur.
  
  La création eut lieu peu de temps après l'écriture : le 14 mars
    1824. À cette date,
    Schubert
    travaillait sur un autre monument qui allait révolutionner la musique : l'octuor D 803
    pour cinq cordes et trois instruments à vent. Mais ceci sera une autre
    histoire… Pour les éléments biographiques plus détaillés, je vous invite à
    relire les autres chroniques, notamment celle dédiée au
    quatuor "La jeune fille et la mort".
  ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
  Seconde rencontre avec le
    Quatuor Emerson
    dans ce blog. Côté répertoire, nous sautons du coq à l'âne puisque la
    première chronique était consacrée à l'étrange, angoissé et presque
    autobiographique
    quatuor N°8
    de
    Dmitri Chostakovitch, son quatuor le plus connu
    (Clic)
    et nous voici ce jour plongés dans l'univers romantique naissant.
  Nous allons retrouver nos quatre virtuoses américains et leurs qualités
    déjà signalées dans leur interprétation du quatuor russe : pas de tempos
    traînants, un jeu incisif. La règle générale pour ce coffret de 3 CD pour le
    prix d'un qui réunit les
    trois derniers quatuors, le
    mouvement de quatuor
    isolé dit
    N°12
    et une interprétation de premier plan du
    Quintette D 956
    avec
    Rostropovitch
    au second violoncelle (Il y a pire😄). Donc, je parlais d'un jeu incisif, un
    prérequis à mon sens indispensable pour donner toute sa saveur à ce
    Quatuor N°13 Rosamunde, voici pourquoi :
  Ce qui surprend dès la première écoute est l'absence de mouvement aux
    tempos frénétiques tel le final conçu comme une course à l'abîme du
    quatuor "La jeune fille et la mort". Les tempos des allegro introductifs et conclusifs sont précisés
    ma non troppo
    et
    moderato. De l'allégresse certes, mais sans précipitation, avec une pudeur qui
    prend sa source dans la parenté de ce quatuor avec la tendresse méditative
    souvent présente dans les lieder. Pas de lamentations !
  J'allais oublier un détail à propos d'un évènement peu fréquent à propos de
    l'ami
    Schubert. C'est le quatuor conduit par le violoniste
    Ignaz Schuppanzigh
    qui créa le quatuor. Un grand virtuose de l'époque qui souffrait hélas d'un
    tel embonpoint qu'il dut
    renoncer à sa carrière
    quelques années plus tard… On mangeait copieusement et trop gras à l'époque,
    enfin sans doute pas tout le monde…
  1 - Allegro ma non Troppo
    : Une petite marche chaotique du second violon soutenu par l'alto et le
    violoncelle, tous les deux à l'unisson, nous entraîne sur les pas hésitants
    d'un promeneur ou, plus symboliquement, du destin. Le premier violon énonce
    dès la 3ème mesure une mélodie intime et généreuse, un thème qui
    va droit au but, donc au cœur !
    Schubert
    veut nous émouvoir et partager sa constante oscillation entre la joie de
    vivre et sa sourde angoisse nourrie du désintérêt de ses pairs pour sa
    musique et, sans doute, de la peur face à la maladie qui le ronge
    inexorablement… Le
    quatuor Emerson
    apporte à cette introduction un rythme soutenu et une articulation marquée
    qui dédramatise le discours. Aucun pathétisme qui serait mal venu, mais au
    contraire un climat élégiaque d'où jaillissent quelques traits de lumières,
    ceux de l'espoir et de la volonté d'écrire, de composer, de perfectionner à
    la fois la technique et l'expression musicale de la passion qui habite le
    musicien…
         
       | 
    
| Ignaz Schuppanzigh | 
  Ce thème est répété trois fois, égayé de quelques
    fantaisies. [1:08] Apparaît une seconde idée plus allante, moins grave voire
    lyrique, mais toujours intériorisée. Dans cet allegro qui regarde vers
    l'allegretto, les thèmes vont ressurgir comme des leitmotive.
    Schubert
    semble rester fidèle à la
    forme sonate. Pourtant, de nombreux intermèdes plus énergiques enhardissent
    de variations en variations un chant qui semble conçu comme une longue
    mélopée, une nostalgie du temps qui passe, celui de la "pendule du salon" comme chantait Jacques Brel…
    Parler de lyrisme est
    approprié pour ce mouvement dans lequel les premières mesures en basses
    scandées et rythmiques et la confrontation de thèmes antagonistes sont
    typiques d'un lied, donc d'un récit mis en musique, avec ses joies et ses
    drames. Un lied, donc un texte poétique, et l'on est bien face à cela dans
    ce mouvement instrumental très innovant chez
    Schubert.
  2 – Andante
    : [10:15] On parle souvent à tort de
    Rosamunde
    comme d'un opéra inachevé. En fait, il s'agit d'une musique de scène comme
    Le songe d'une nuit d'été
    de
    Mendelssohn, destinée à accompagner la pièce
    Rosamunde, princesse de Chypre
    de Helmina von Chézy, une poète
    et dramaturge (1783-1856) dont certains poèmes furent mis en musique sous
    forme de lieder par
    Carl Maria von Weber
    ou Schubert. Ainsi le compositeur se consolait de l'écriture de quelques opéras jamais
    représentés de son vivant
    comme Fierrabras. Cela dit, la pièce, au texte assez médiocre, n'a guère marqué l'histoire
    du théâtre. De nos jours,
    la musique, un mélange un
    peu disparate d'airs, de
    ballets et d'ouvertures, ne donne surtout lieu qu'à l'exécution de son
    ouverture et du tendre et émouvant entracte du IIIème acte dont je vous
    propose une vidéo par Claudio Abbado. Pourquoi ce préambule me direz-vous ?
  L'andante reprend à l'identique le thème enchanteur de cet entracte
    comme
    leitmotiv principal. Cette perle sortie de l'imagination mélodique superlative de Schubert
    méritait bien d'être réutilisée dans des œuvres plus essentielles !
  On retrouve un certain classicisme dans les premières mesures : une basse
    continue assurée par l'alto et le violoncelle d'où émerge la mélodie
    principale chantée par les deux violons. Que dire de la poésie de ce thème
    qui se déploie ? Sublime ? Ce mot est chichiteux et usé jusqu'à la corde
    même si c'est le cas. On pourrait le substituer par pastoral, sensuel,
    élégiaque avec un soupçon de
    tristesse. Une romance si riche, mais si ambiguë dans ses intentions
    émotionnelles que le vocabulaire traditionnel trouve ses limites. Comme dans
    le mouvement du
    quatuor "La jeune fille et la mort",
    Schubert
    joue la carte des variations même si celles-ci ne sont pas marquées par des
    transitions abruptes. Ces variations s'articulent plutôt sur les changements
    de tonalité que sur une rupture de style avec le motif initial. Elles
    précèdent une reprise du motif initial [11:38] [12:06] [12:28] [12:46].
    [13:41] Réexposition qui nous entraîne vers un passage colérique, orageux
    aux accents désespérés [15:05]… Un fracas entre les pupitres qui contraste
    de façon pathétique avec la méditation aux accents nostalgiques écoutée
    depuis le début du mouvement. Mouvement qui va retrouver un climat plus
    serein par le retour comme leitmotiv obsédant du thème emprunté à la musique
    de scène de
    Rosamunde. Je n'explique pas l'origine du sous-titre du quatuor tant nous sommes
    dans l'évidence.
  3 - Menuetto Allegro Trio
    : [18:02] Il y a deux semaines, à propos de la
    Sonate
    "à Kreutzer" de
    Beethoven,
    (Clic)
    j'émettais l'hypothèse que le compositeur viennois avait délibérément
    supprimé le menuet dans sa sonate, trouvant cet intermède de pause entre
    l'andante et le final superflu dans une œuvre romantique aussi épique.
    Schubert
    se pose la même question, mais y répond à l'inverse par un "scherzo" aussi
    développé que l'andante et le final, trois morceaux d'une durée égale, soit
    7 minutes chacun ! Terminés les menuets destinés à "meubler", ils doivent
    avoir sa fonction émotionnel à part entière… En un mot : le galant menuet
    s'efface. Des traits sévères au violoncelle affrontent une mélodie plus
    gracile chantée par les trois autres instruments. On discerne un lien avec
    un lied de 1819 «Bel univers, où es-tu ?»
    sur un texte de Schiller. Cette
    interrogation teintée de regret à propos du paradis perdu, celui de
    l'enfance, de la jeunesse, se retrouvera près d'un siècle plus tard de
    manière obsessionnelle chez
    Mahler. En mode mineur, mélancolique, le menuetto acquiert ici une force
    expressive résolument romantique, comparable en intensité à celle des autres
    mouvements. Il abandonne le simple rôle de trait d'union un peu fade imposé
    par la forme sonate.
  [21:36] Un trio moins nostalgique déploie de jolies phrases très accentuées
    et même lyriques, de fait plus dansantes. Les
    Emerson
    tendent le phrasé comme un arc, construisent un univers musical empressé,
    tournent le dos à un
    Schubert
    feutré, hélas parfois affecté. Grâce à eux, écoute-t-on vraiment une œuvre
    de chambre ou une confession intime ?
  4 - Allegro moderato
    : [25:06] le moderato précisant le tempo indique que
    Schubert
    veut prolonger le caractère méditatif, sans envolée lyrique, qui traverse
    tout le quatuor. Le compositeur semble vouloir conclure sur une note
    optimiste une partition jusqu'à présent assez sombre. Le premier thème du
    final sera donc en la majeur, un air qui rappelle une danse populaire, un
    moment de réjouissance simple et débonnaire, de liesse. [27:16] Le second
    thème s'il conserve le rythme festif est en ut ♯ mineur et nous met de
    nouveau face à cette ambiguïté entre la vitalité et la résignation qui se
    disputent la
    psychée de Schubert. À aucun moment, hormis un passage un peu plus vaillant dans le
    développement,
    Schubert
    va tenter de nous entraîner vers une conclusion plus énergique, une
    apothéose aussi gratuite qu'incongrue. Le quatuor conserve jusqu'à la
    dernière note l'étrange légèreté de ses structures mélodiques, ses silences
    hésitants qui témoignent que la fête est terminée, que la nuit est
    tombée.
  ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
  La discographie du
    quatuor "La jeune fille et la mort" est pléthorique en album isolé. C'est moins vrai pour le
    Quatuor "Rosamunde". Bien entendu la version du
    quatuor
    Melos
    gravée dans les années 70 est excellente mais ne figure que dans l'intégrale
    en 6 CD (voir l'article sur
    le
    quatuor N°15). L'album de 2 CD du
    Quartetto
    Italiano
    demeure une référence, beauté et élégance du son, un
    Schubert
    éternellement jeune, disque qui résiste au temps (Philips
    – 6/6). Pour les amateurs de trésor du passé, les interprétations de
    1995 des
    quatuors n°13
    &
    n°14
    par le
    quatuor
    Pražák, avec des tempos plus enflammés et une touchante poésie, sont toujours
    disponibles (Praga – 6/6), la
    seule édition sur un seul CD digne d'intérêt.
  Enfin, autre belle réédition historique : celle du
    Quatuor Hongrois. Les tempos sont très vifs voire facétieux dans l'allegro. De par la
    célérité de l'interprétation, le double album comporte à la fois les
    trois derniers quatuors
    et le
    Quintette
    ! Son mono remasterisé en 1996.
    Énergisant (EMI – 6/6).
  ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
  Deux vidéos : L'interprétation par le
    Quatuor Emerson
    du
    Quatuor "Rosamunde" (une liste YouTube avec d'autres belles musiques). Puis, extrait de
    l'opéra
    Rosamunde, l'entracte du 3ème acte dirigé par
    Neville Marriner
    avec son orchestre de l'Académy of Saint-Martin in the fields. Que du bonheur…










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