samedi 28 janvier 2017

Maurice DURUFLÉ – Requiem – von OTTER, HAMPSON – Michel PLASSON – par Claude TOON



- Je le savais M'sieur Claude ! Après un passage chez Mahler, de nouveau un compositeur inconnu du blog  en ce début 2017… Maurice, prénom français à mon avis !?
- Oui Sonia, du XXème siècle, et surtout un compositeur connu que par son requiem que l'on compare parfois à celui de Fauré par son climat lumineux et serein...
- Ah ? Une musique récente alors, pas trop bizarre ?
- Pas le moins du monde, Duruflé aimait la musique grégorienne et celle de la renaissance dont les formes nourrissent abondamment cet ouvrage assez court…
- Donc rien à voir avec les déferlements apocalyptiques de Verdi ou de Berlioz ! L'enregistrement de Michel Plasson est une référence ?
- Très bien vu mon petit ! Michel Plasson a laissé un beau disque, une interprétation un peu romantique à mon goût, j'aurais préféré celle du compositeur… Je vais y revenir…

Maurice Duruflé (1902-1986)
Maurice Duruflé est surtout connu des mélomanes et des amateurs de musiques spiritualistes grâce à son requiem. Il faut dire que son catalogue de compositions est assez confidentiel. Maurice Duruflé fait partie de ce groupe d'organistes-compositeurs, héritiers de l'époque franckiste ou encore du modèle Fauré, qui compte aussi Charles-Marie Widor, Louis Vierne, Charles Tournemire, Marcel Dupré et quelques autres comme Jehan Alain et le plus prolifique, inventif et moderniste Olivier Messiaen
La carrière de Duruflé est assez similaire à celle de Fauré : organiste titulaire à plein temps d'orgues de prestige (comme Saint-Etienne du Mont près du Panthéon), professeur au conservatoire supérieur de Paris, deux activités qui laissent peu de temps au métier de compositeur.
Duruflé a vu le jour à Louviers dans l'Eure en 1902. Gamin, il est membre de la Maîtrise de Rouen qui lui donnera le goût de la musique et l'ouverture vers une sincère foi chrétienne. À 17 ans, il intègre le conservatoire de Paris dans la classe de Charles Tournemire. Il va également suivre les enseignements des grands organistes cités avant et de Paul Dukas, le compositeur novateur de L'Apprenti Sorcier. Il obtient un premier prix d'orgue. D'autres prix de composition et d'harmonie viendront compléter son palmarès dans les années 20, décennie où il commence à composer.
Son parcours le dirige assez naturellement vers les tribunes des orgues parisiens, en tant que titulaire ou suppléant, comme à Notre Dame de Paris où il sera présent lors de la mort de Louis Vierne en plein récital en 1937. En 1935, il avait créé la 6ème symphonie de ce compositeur majeur dans la tradition française de l'orgue. En 1937 : c'est la création du concerto de Francis Poulenc en compagnie de Roger Désormière. Deux évènements qui placent l'organiste dans la cour des grands.
Pendant la Guerre de 1939-1940 et l'Occupation, le musicien continue son activité et devient professeur au conservatoire en 1942 (Orgue comme suppléant de Marcel Dupré) et en 1943 : professeur titulaire de la classe d'harmonie. C'est en ces temps troublés que le Requiem trouve ses origines, une drôle d'histoire. En 1990, le musicologue américain Leslie A. Sprout a découvert une liste de 81 musiciens, liste établie par le régime vichyste des compositeurs à qui on pouvait passer des commandes. Devaient en être exclus les juifs et quelques autres indésirables. (Cela dit, il n'est pas impossible que cette liste ait vu le jour à la fin de la 3ème République, plus ou moins à l'instigation de Vincent D'Indy, antisémite notoire.) Duruflé se voit commander en 1941 une symphonie… Une symphonie ? Le compositeur accepte du bout des lèvres et commence la composition de… son Requiem qui sera achevé en… 1947. Quel enthousiasme pour offrir une symphonie au Maréchal !
La première version fournie à l'éditeur Durand est prévue pour deux solistes, chœur mixte, orgue et orchestre. La création a lieu salle Gaveau le 2 novembre 1947. L'ouvrage sera décliné en plusieurs éditions : sans soliste, avec un simple accompagnement d'orgue, etc. Maurice Duruflé écrira un certain nombre d'œuvres vocales comme la Messe "cum jubilo" et des motets également présents sur le disque chroniqué ce jour. Des pièces très appréciées dans les pays anglo-saxons où il y a autant de chorales professionnelles ou d'amateurs que de patelins… En France aussi, pour une fois que je ne jette pas la culture musicale hexagonale aux orties…
Duruflé va poursuivre ses activités jusqu'en 1973 où, victime d'un grave accident de la route, il perd la possibilité de jouer de l'orgue. Il nous a quittés en 1986.
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Anne sofie von Otter - Thomas Hampson - Marie-Claire Alain
Pour cet enregistrement réalisé par le label EMI en 1999, les producteurs ont réuni une distribution très haut de gamme :
La mezzo-soprano suédoise Anne Sofie von Otter est à 44 ans au sommet de son talent. Nous l'avons déjà rencontrée à propos de son album de mélodies et chansons françaises "Douce France" dans lequel se côtoyaient des succès de Barbara, Ferré, Debussy, etc. (Clic) Parfaitement francophone, Anne Sofie adore la musique française et cette grande dame était un bon choix pour cette œuvre caractéristique de la tradition lyrique de notre pays.
Le baryton américain Thomas Hampson, exactement du même âge que sa consœur, a suivi son enseignement auprès de chanteurs et chanteuses de grande envergure comme Elisabeth Schwarzkopf. Il reste l'un des barytons les plus demandés sur les scènes d'opéras dans un répertoire d'ouvrages lyriques très vaste, mais aussi dans les lieder symphoniques de Mahler (Knaben Wunderhorn, Chant de la terre et tous les autres cycles). Bien entendu, inutile de préciser que les discographies des deux chanteurs sont immenses !
On ne présente pas Marie-Claire Alain, organiste de légende disparue en 2013 et sœur de Jehan Alain. Voir son RIP de 2013 (Clic).

Enfin, l'un des orchestres français de renom, l'orchestre du capitole de Toulouse placé sous la direction de Michel Plasson, une complicité de 33 ans ! Un article était consacré à cette longue collaboration à propos de la 4ème symphonie d'Albéric Magnard (Clic). Et pour terminer, le chœur est basque (Espagne) et très connu des mélomanes amateurs de musique religieuse : Orfeon Donostiarra préparé par José Antonio Sainz. Les fans de Michel Corboz doivent connaître cet ensemble vocal remarquable considéré comme l'un des meilleurs chœurs de la planète.
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Orgue de Saint-Etienne du Mont à Paris
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Nous écoutons ce jour la première version de 1947 pour grand orchestre. Dans les années 50 suivront une version limitée aux solistes et chœur avec accompagnement de l'orgue seul, puis en 1961, une édition avec un orchestre de chambre comportant simplement : orgue et quintette à cordes, harpe, trompettes et timbale.
Bien qu'organiste de métier, Maurice Duruflé avait acquis auprès de Paul Dukas une excellente maîtrise de l'écriture symphonique et, dans les années 30, produit quelques pièces données en concert. L'orchestre est assez fourni par rapport à celui prévu dans le Requiem de Fauré que l'on rapproche souvent de celui de Duruflé :
Flûtes, hautbois, clarinettes et bassons par 3 ; 1 cor anglais et 1 clarinette basse ; 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones et un tuba. Les cordes et : timbales, cymbales, célesta, harpe, et l'orgue qui ne se limite pas à agrémenter d'un léger bruit de fond comme souvent.
La forme requiem est plus libre que celle régissant une œuvre construite sur l'ordinaire de la messe. Il y a les Requiem dits "de la fin des temps", puissants et terrifiants, avec des effectifs imposants : Berlioz, Verdi, Dvorak… À l'opposé, nous trouvons des messes de requiem que l'on pourrait définir comme de "réconciliation et de rédemption après le trépas", ne comportant pas les terribles jugements et torrents de larmes évoqués dans le Dies Irae, le Lacrymosa ou le Tuba mirum. Ceux de Gabriel Fauré et de Maurice Duruflé sont de cette veine, Ils distillent l'espoir et le traitement du texte est plus intériorisé. Il faut néanmoins nuancer ce rapprochement. Maurice Duruflé, donne certes une place restreinte à une dramaturgie excessive, à la peur de la damnation, mais se démarque nettement de l'angélisme de Fauré dans certains passages.  Maurice Duruflé établit-il un pont entre le dramatisme infernal d'un Berlioz et le raffinement spirituel d'un Fauré ? Nous allons voir cela…

Le requiem comporte 9 parties. Une place importante est donnée au chœur. Seuls trois passages donnent la parole aux solistes, séparément, encore un point commun avec l'architecture de la partition de Fauré.

1 – Introït : une mélodie sinueuse et méditative aux cordes introduit ce premier chant d'imploration. Aucune tristesse. L'agnostique Fauré jouait la carte de la douleur avec des traits sombres de contrebasses. Maurice Duruflé, sincèrement croyant, établit un lien de confiance avec le divin, la foi en une totale miséricorde. Le compositeur traite le chœur avec une technique monodique grégorienne absolue et singulièrement lumineuse. Une monodie, soit une seule ligne mélodique pour les quatre groupes de choristes : sopranos, altos, ténors et basses. Il se réfère au style grégorien moderne mis en place dès le XVIème siècle notamment à l'Abbaye de Solesmes, haut lieu du chant grégorien, toujours de référence de nos jours. Le style de chant monodique fut initié par le pape Grégoire (VIIème siècle) et développé aux premiers siècles de la chrétienté avant le Schisme d'orient de 1054. Il est hérité du plain-chant byzantin et s'enrichit au haut moyen-âge. Puis le genre cédera la place à la polyphonie pendant le moyen-âge tardif et la Renaissance ; une technique qui n'est pas appliquée ici. Je consacrerai un article autour des gravures de Marcel Pérès pour le grégorien primitif à l'occasion. 
(Pour une illustration de la monodie, voir l'image ci-dessous de l'entrée des voix masculines, suivie de celle des sopranos et altos - sur deux mesures - deux lignes mélodiques à l’unisson.)
Michel Plasson
Attention, nous n'écoutons aucunement une litanie sulpicienne, un office de bondieuserie. La ligne de chant se déploie allègrement, par séquences bien distinctes, de tessiture en tessiture. Les ténors et basses aux accents virils puis les sopranos et altos aux sonorités angéliques, puis inversement. Dans cette interprétation, Michel Plasson ne force jamais le niveau sonore de ses effectifs. Pas d'effets grandiloquents. On pense à la voix des anges. Le balancement délicat des violons, le chant du hautbois, les souples interventions des chanteurs, en un mot : l'équilibre complice entre tous les exécutants obtenu par le chef offre une lisibilité très pure, une simplicité monastique ; l'antithèse de l'outrance parfois reprochée à la musique religieuse. Le Kyrie s'enchaîne sans pause avec une légère accentuation de la ferveur et la participation des cuivres et de l'orgue, là encore tout en douceur.

2 – Domine Jesu Christe - Hostias : (plage 4) dans la tradition catholique, l'Hostias est partie intégrante du  Domine : un hymne de confiance en la Nouvelle Alliance marquée par le sacrifice du Christ, la miséricorde. L'orchestre est particulièrement sollicité avec des traits vaillants de flûtes et de bois, l'utilisation des percussions, des accords joyeux de l'orgue. L'un des passages les plus animés, volontaires et lumineux de l'œuvre. Je ne possède pas d'information sur le tempérament psychologique de Duruflé, mais les angoisses mystiques ne sont pas à l'évidence un trait dominant. [14:01] Le texte de l'Hostias est confié au Baryton. Pour ce solo, proche du récitatif par sa simplicité, il ne s'agit en aucun cas d'une succession de vocalises opératiques. Le chant se doit pourtant d'être héroïque. Thomas Hampson réussit là où d'autres se croient chez Wagner ! Le chanteur adopte une ligne de chant énergique, quasi prophétique, mais sans aucune ornementation hors de propos pour un texte sacré. Pour libérer la voix, Duruflé accompagne cet air de simples frémissements des cordes. Thomas Hampson en majesté !

5 – Pie Jesu : (plage 6) [21:24] Fauré avait déjà confié à la voix de soprano (qui peut-être un garçonnet), cette courte prière de reconnaissance. Que Duruflé rende hommage au bien-fondé de ce choix de son illustre prédécesseur est possible. C'est l'unique passage confié à la mezzo-soprano Anne Sofie von Otter. Comme les autres parties solistes, l'accompagnement orchestrale se fait a minima, ici des cordes avec un violoncelle obligé. Un clin-d'œil à l'époque baroque ? Non, car la mélodie très accentuée, d'un lyrisme bouleversant, n'évoque en rien la musique d'un âge ancien. Vocalement parfait, trop parfait même, la cantatrice émeut, certes. Je distingue pourtant un léger vibrato, donc un petit soupçon d'affectation que son collègue baryton avait su rejeter… (Dieu, que je chipote !) Pas forcément complètement dans le sujet, mais quelle beauté…

9 – In Paradisium : (plage 10) [40:27] Des notes pointées à la harpe et un murmure des cordes introduisent le In Paradisium qui clôt cet ouvrage. Le chant est confié aux voix féminines dans un premier temps pour accentuer le climat céleste de cette envolée mystique. L'orgue se joint aux chants du chœur enfin réuni en utilisant des régistrations les plus aigus  et paradisiaques (forcément) disponibles.
Ainsi s'achève dans la paix éternelle ce requiem si populaire. Je me dois de mentionner quelques interventions plus farouches de  l'orchestre et du chœur, notamment dans le Sanctus ou le Libera me. Un requiem conçu comme un hymne très varié à la résurrection, pas du tout comme une déploration funèbre !
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Intermède en forme d'interrogation :
Certains lecteurs vont sans doute me maudire de parler avec flamme (de l'enfer 😈) de musique religieuse, apostolique et romaine dans ce blog de mécréants pratiquants, p'têt même de laïcs intégristes ou d'athées inquisiteurs ! Je ne suis pas certain qu'avoir une foi plus ou moins liée à une quelconque pratique religieuse soit une nécessité pour aimer cette musique, même chose si l'on n'a qu'une vague idée du sens du texte en latin qui la porte. Ce requiem de lumières peut apporter à l'écoute une forme de bien-être, de sérénité de la même manière que lorsque l'on écoute des musiques bouddhiques ou hindouistes. Sans doute un phénomène de réduction de la dopamine, un effet antidépresseur et relaxant…  À l’inverse, un presto un peu fou de Beethoven ou un morceau de Rock bien balancé produira un petit chouïa d'adrénaline dans notre caboche et un bon coup de pêche pour émerger le matin. Quand je dis que les bonnes musiques devraient être prises en charge par la CPAM !
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Ce disque de Michel Plasson est excellent. Pourtant, beaucoup de mélomanes (moi compris) restent attachés à la version gravée en 1959 par le compositeur lui-même dirigeant l'orchestre des concerts Lamoureux, avec la soprano Hélène Bouvier et la basse Xavier Depraz. Marie Madeleine Duruflé-Chevalier étant à la console de l'orgue. Les tempos sont plus allants, l'élocution du chœur bien marquée, une direction d'un dynamisme inégalé. Le compositeur confirme sa volonté de traduire sa vision enthousiaste du trépas qui ne serait, comme le disait Malraux, qu'un inévitable incident de l'existence… (Erato – 6/6).
Pour ceux qui voudraient découvrir en parallèle le Requiem de Fauré et la version plus diaphane, avec juste le chœur et l'orgue, de celui de Duruflé, EMI a eu la bonne idée de réunir ces deux œuvres sur un album à la technique soignée. Le chef anglais David Wilcox, spécialiste britannique de musique sacrée, offre un requiem de Fauré de très bon aloi. L'approche de Philip Ledger dans Duruflé est un moment propice à la méditation transcendantale. Si on ajoute que Dame Janet Baker, les Chœurs du King's College de Cambridge et le New Philarmonia sont de la partie, on ne peut guère bouder cet album (EMI – 5/6).

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Le requiem de Duruflé dans l'enregistrement de Michel Plasson pour grand orchestre, puis celui pour chœur et orgue de Philip Ledger :



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