vendredi 27 janvier 2017

LA DAME EN BLANC de W. Wilkie Collins (1859) par Luc B.


Wilkie Collins
J’avais envie de me lancer dans un roman victorien, entre deux polars, l’histoire de la Gestapo en France (on y reviendra, sujet léger…) bios de rocker, et je tombe sur cette DAME EN BLANC, dont la quatrième de couverture nous dit : comment a-t-on pu oublier cet écrivain magnifique et ce livre, qualifié de meilleur roman policier de langue anglaise ? Par les saintes culottes de MacGregor ! Comme dirait mon bon ami le Philip Mortimer...
Wilkie Collins (1824 – 1889), grand ami de Charles Dickens avec qui il a écrit à quatre mains, accessoirement dépendant à l’opium pour soulager sa goutte, écrit LA DAME EN BLANC en 1859, et rencontre un succès foudroyant, qui ne se dément pas pendant dix ans. On dit de PIERRE DE LUNE (1868) qu’il est le premier roman de détective. Deux livres qui reposent sur une trame criminelle, avec une structure de narration originale. Wilkie Collins use d’un patchwork de points de vue, pour reconstituer une intrigue ardue.
Walter Hartright en est le héros. Un professeur de dessin, londonien, qui un soir rencontre une femme toute vêtue de blanc, lui réclamant son aide. C’est Ann Catherick, qui se prétend poursuivie par des hommes. Ces événements nous sont racontés par Hartright, le premier narrateur de l'histoire. Car Wilkie Collins nous prévient que suite à des imprévus, et devant la complexité des faits, il devra faire intervenir d'autres narrateurs...
Conseillé par un ami italien, Pesca, notre professeur accepte de se rendre à la campagne, dans le Cumberland, à Limmeridge House, chez Mr Fairlie, riche maniaque hypocondriaque, donner des cours à deux jeunes filles : Marian et Laura. La première est une jeune fille réfléchie, un caractère indépendant, de la graine de suffragette. La seconde est sensible, émotive, belle comme le jour. Et ressemble à s’y méprendre à Ann Catherick… Hum hum… Laura et Walter s’aimeront. Platoniquement. Dans ces romans, on ne trousse pas les filles dans une écurie, on leur effleure les cheveux, et c'est déjà osé.
Mais Laura est promise à un baronnet, Sir Percival Glyde. Adorable, galant, amoureux éperdu, mais dont on va rapidement se méfier. Comme de son compère (ou complice) le machiavélique et chimiste à ses heures : le comte Fosco. Flanqué d’une femme trop servile pour être honnête. Est-ce un mariage arrangé dans le but d’épouser la fortune de Laura ? Une étrange femme semble le croire, qui cherche à faire capoter la noce en divulguant un odieux secret sur Sir Percival. Cette femme, simple d’esprit, échappée de l’asile : c’est Ann Catherick. Walter Hartright ne croyant pas au hasard, il se lie avec Marian pour enquêter…
Mais voilà, on lui met des bâtons dans les roues, on le renvoie, et le personnage quitte provisoirement le roman. Wilkie Collins a donc recours à d’autres narrateurs : Marian, qui rédige un journal dont on peut lire des extraits choisis, mais aussi la version de Miss Michelson, une gouvernante, comme le témoignage de Mr. Fairlie, ou des lettres échangées et autres récits des uns et des autres. Beaucoup de personnages peuplent le roman, dont il faut se souvenir.
C’est ce qui fait toute l’originalité de ce roman, le lecteur devant reconstituer le puzzle. Comme le fera Walter Hartright, qui revient dans la troisième partie, qui va devoir retracer les faits et gestes de Sir Percival, Fosco et leur clique, dénouer les fils du complot. Et à cette époque, pas d’ADN, de smartphone, de mails, donc on écrit des lettres cachetées, on prend des fiacres, on passe trois jours à voyager pour recueillir un témoignage.
Le style est fameux, richement orné, de l'imparfait du subjonctif en veux-tu en voilà, c’est du pur victorien, on pense à des ambiances à la REBECCA. Beaucoup de descriptions, des portraits intimes riches, les élans amoureux sont subtilement dépeints. Le rythme est lent, mais dans la première et troisième partie, les évènements sont suffisamment nombreux pour retenir l’attention. L’auteur distille un je ne sais quoi d’inquiétant, paranoïaque. Derrière ces grands bourgeois se cachent des êtres prêts à tout pour ne pas perdre de leur superbe, garder leurs rangs.
LA DAME EN BLANC souffre tout de même de quelques longueurs, ramollissements et redondances. Inévitable lorsqu’on confronte les points de vue, où chacun raconte sa version. Le récit de Marian, via son journal, est un peu longuet, mais on évite de trop sauter de pages, car des éléments importants peuvent être dits. On pense à une simple histoire de dette et de dot, mais le secret de Sir Percival est plus compromettant encore, et aux développements inattendus. Un parfum d'Eugène Sue et de feuilleton plane sur les derniers chapitres.
Ce roman a été adapté trois fois au cinéma, à la télé, en série… C’est un plaisir de lecture, confortable, qui sent un peu la poussière, le feuillet jauni, juste ce qu’il faut pour en apprécier le charme. Le qualificatif de premier roman policier (qu’il dispute à l’œuvre de Edgar Alan Poe) n’est pas usurpé, le dénouement l’atteste, les nombreux indices et fausses pistes aussi, mais ne vous attendez pas à un thriller survolté, à moins que vous ne considériez BARRY LYNDON comme un grand film d'action !

LA DAME EN BLANC (THE WOMAN IN WHITE)
554 pages, aux éditions Phébus (mais disponible dans de nombreuses versions) 

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