mardi 17 janvier 2017

FENTON ROBINSON: un magnifique looser du blues


Continuons notre exploration du Chicago Blues avec cette semaine un bluesman fondamental pour les initiés mais totalement méconnu du grand public. Remarquez c’est idiot ce que je raconte vu que même Muddy Waters, John Lee Hooker ou Howlin' Wolf  sont inconnus de 99,99% des gens, alors que Justin Bieber ou les Spice choses le sont universellement, sale temps pour la culture... Mais revenons à  Fenton Robinson puisque c'est de lui qu'il s'agit. Un vrai looser victime d'une tempête de neige, d'un vol de tube qualifié, saboté par des producteurs, meurtrier (involontaire) et incarcéré et finalement terrassé par un crabe, un poissard je vous dis!
champ de  coton Mississippi 1949 (@euphus ruth)
Né en Septembre 1935 à Leflore County dans le Mississippi dans une famille d’esclaves (oups pardon, l'esclavage a été aboli en 1865 chez l'Oncle Sam, ce qui n'a pas empêché la ségrégation de durer un siècle de plus..) , il doit dés son plus jeune age travailler dans la plantation de coton, il y est initié à la guitare par un voisin musicien. A 16 ans direction Memphis où il découvre les grands bluesman comme T-Bone Walker qui restera  une influence majeure sur sa musique. mais le baluchon toujours sur l'épaule il voyage ensuite  jusqu'à  Little Rock (Arkansas)  où il  forme un orchestre, de là il va aussi jouer  à travers l'Arkansas, la Louisiane, le Texas et le Mississippi. Pour joindre les  2 bouts il fait aussi des petits boulots et  de la radio, son émission sur KXLR  va lui permettre de rencontrer et faire découvrir de nombreux talents locaux.
Toujours assoiffé d'apprendre, Il se perfectionne à leur contact et suit même une méthode d'apprentissage musical "un musicien devrait toujours avoir envie d'aller plus loin, il y a toujours quelque chose que je voudrais apprendre, que je voudrais faire".
Avec l'aide de son pote la guitariste Charles McGowan il enregistre pour un petit label de Memphis (Meteor) puis des singles pour Duke records, "Tennessee woman", "as the year go passing by"  ou "The freeze" lui assurent une petite renommée.
le 45 tours original de Someboy..
Ensuite point de passage obligé on le retrouve à Chicago où il continue d'enregistrer des 45 tours, fait partie de l’orchestre maison du  fameux club le Theresa's et  joue avec des pointures comme Junior Wells, Otis Rush ou Sonny Boy Williamson. En 1967 il grave le superbe  "Somebody loan me a dime"pour Palos Records mais une terrible tempête de neige bloque la  distribution nationale du titre, pas de bol. Mais le comble est atteint quand le rockeur Boz Scaggs enregistre sa propre version en  1969 pour Atlantic - avec un certain Duane Allman à la guitare - tout en s'en appropriant l'écriture. Le succès est énorme et Robinson sera spolié de ses droits d’auteur, malgré des démarches judiciaires, éternel combat perdu d'avance du pot de terre contre le pot de fer... On peut trouver ces excellentes premières faces sur les recueils "Complete early recordings" ou "Mellow fellow genius".
En 70 il enregistre à Nashville l'album 'Mellow fellow" (album Charly du même nom) mais son jeu est masqué par des  arrangements surchargés  (choeurs, cuivres, cordes) et son jeu dénaturé en acid rock, idée des producteurs  pour coller au trip seventies, c'est un échec.
alligator Records (lien)
Il continue de vivre chichement de sa musique, tourne un temps avec l'harmoniciste Charlie Muselwhite jusqu'à ce que MONSIEUR Bruce Iglauer, fondateur d'Alligator Records  (ce gars devrait avoir une statue aussi haute que celle de la Liberté!) le signe et lui fasse enregistrer l'album "Somebody loan me a dime" en 1974, un must sur lequel nous reviendrons plus loin.
Mais un chat noir traverse la route et c'est la case prison pour 9 mois suite à un accident de voiture pour lequel il est accusé d'homicide , en sortant il grave un nouvel album pour Alligator "I hear some blues downstairs" presque d'aussi haut niveau. Ce sera le sommet suivi hélas de la descente vers l'oubli, entre autres car son jeu trop subtil ne fait pas trop recette dans les tavernes tapageuses de la Wendy City. Mais il conserve son aura  parmi les amateurs de blues du monde entier, on retrouvera Fenton en tournée au Japon et en Europe, en Hollande notamment où il enregistre pour le label Black Magic quelques albums inégaux, "Blues in progress" (1984, réédité par Alligator sous le titre "nightflight") et "Special road" (1989, très bon mais pas facile à dénicher), il enseignera aussi le blues dans les écoles de  Springfield, avant de décéder en 1997 prés de Chicago à 62 ans.

Revenons un peu sur ses deux albums pour Alligator qui présentent le double  avantage d’être facilement disponibles et d'être de très haute qualité :

SOMEBODY LOAN ME A DIME: Robinson y est entouré du grand Mighty Joe Young à la guitare, de Cornelius Boyson (basse) et Tony Gooden (drums) (ces 2 là travaillèrent avec Young et Bobby Rush )  et du pianiste Bill Heid au CV impressionnant (Muddy Waters, Koko Taylor, John Lee Hooker, Son Seals, Roy Buchanan..) ainsi que d'une section de cuivres. Au programme 11 titres dont 4 reprises de Little Richard ("directly from my heart to you"), du louisianais Rudy Toombs ("country girl"), le "Texas flood" de Larry Davis (celui là même qui sera repris par Stevie Ray Vaughan, l'original sera gravé par Davis en 1958 pour Duke records avec Fenton Robinson à la guitare) et le traditionnel "Going to Chicago". Parmi ses compos Robonson revisite certains de ses premiers titres comme le fameux "Somebody loan me a dime ". Voila certainement un des meilleurs albums de blues jamais produit, Robinson y est à son top, son jeu aérien, subtil et créatif  rappelle les grands du jazz comme Wes Montgomery ou Charlie Christian et aussi son maître  T-Bone Walker, un style inimitable qui ne sera d'ailleurs jamais égalé. Le piano de Heid apporte une touche  et une finesse "côte ouest" (on est loin du blues rugueux à la Son Seals ou Hound Dog Taylor) à la JJ Malone ou Sonny Rhodes. Le chant est lui hérité des blues shouters (Big Joe Williams une de ses idoles), du gopsel et proche du West side de Chicago (Buddy Guy, Jimmy Dawkins, Magic Sam).

I HEAR SOME BLUES DOWNSTAIRS ; seul le pianiste Bill Heid est rescapé du précédent, les autres font place à Steve Ditzell (guitare),  Ashward Gates Jr (drums), Larry Exum (basse), et encore des cuivres. 9 titres dont 4 compos originales dont la magnifique qui donne son titre à l'album, et 5 reprises dont le classique "Killing Floor" d'Howlin Wolf, les classiques "Just a little bit"(enregistré initialement par Roscoe Gordon 1960), "West side baby" (par Dinah Washington 1948), "Tell me what's the reason" qui est un hommage à T-Bone Walker puisque le  texan enregistra  pour la première fois ce titre de Florence Cadrez en 1953 et "As the year go passing by" dont Robinson délivre ici une somptueuse version. Ce titre du bluesman texan  Peppermint Harris fut mis en boite pour la première fois par Robinson en 1959 pour Duke Records  et repris par de multiples artistes ensuite (Albert King, Eric Burdon, Santana, Georges Thoregood, Gary Moore...). Encore une fois Fenton est particulièrement  inspiré et délivre un festival de guitare, le groove se fait plus funky sur certaines plages.

Rarement cité parmi les figures majeures du blues, même par les spécialistes (à la notable exception de Gérard Herzaft que je remercie au passage pour une partie des infos de cet article, moi contrairement à Boz Scaggs je cite mes sources) ce bluesman maudit mérite de figurer dans toute discothèque qui se respecte.
ROCKIN-JL

 

3 commentaires:

  1. Après la remarquable contribution de Philou au "Blue Monday" hier , je vois qu'au Debloc on a de la constance ! C'est plus un Blog , c'est les "Rougon-Macquart" de Zola!Faut pas être dépressif avec vous! Bon ceci dit bravo Rockin pour ton article. Je connaissais bien sûr le " Somebody loan me a dime" mais par Scaggs car à partir du moment ou Duane Allman traîne dans le coin, j'arrive! Sur les notes de pochette du disque de Scaggs, le morceau est bien attribué à Fenton Robinson.n A+ JP

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  2. J'ai les deux CD dont tu parles. Je serais un poil moins élogieux que toi. Pas mal, mais sans plus.

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  3. merci du passage JP et Shuffle. JP la semaine prochaine il sera encore question de Duane pour sa participation a un disque que tu connais sans doute.. Quant à Robinson il n'a hélas pas profité des droits d'auteur de son vivant.

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