- Bigre, second
compositeur jamais évoqué en ce début d'année M'sieur Claude !! 2017 ou la
nouveauté… Heu Korngold veut-il dire "corne d'or", Hi hi ?
- Tss Tss, toujours aussi
facétieuse Sonia. Évidemment non ! Erich Wolfgang Korngold est un compositeur autrichien
de la première moitié du XXème siècle.
- Ah, c'est donc de la
musique moderne comme Stravinski, Schoenberg, de la musique un peu difficile à
écouter sans doute…
- Non, pas du tout, même
si Korngold était un ami du révolutionnaire Schoenberg, sa musique reste
néo-romantique, il a même écrit de nombreuses B.O. à Hollywood…
- Nous avons déjà parlé de
Renaud Capuçon me semble-t-il, l'un des violonistes français les plus en vue…
- En effet pour un
concerto de Saint-Saëns, et là nous le retrouvons dans un féérique concerto
écrit en 1947, au crépuscule de la carrière du compositeur.
Korngold vers 1947 |
Nous
connaissons tous cette appétence du monde musical, des critiques, des
musicologues et même parfois hélas du public pour cloisonner la musique en
catégories précises, imposer des frontières à ne pas franchir entre les
styles. Erich Wolfgang Korngold,
musicien de formation classique aura le tort d'écrire à la fois des opéras, des
concertos et des symphonies dans un style néoromantique a priori tardif, mais aussi des
musiques de films !!! Tss Tss, il deviendra ainsi inclassable et un peu mis au
rencart par l'intelligentsia musicale. Deux générations plus tard, des
compositeurs comme Steve Reich, Philip Glass ou John
Corigliano connaîtront la même mésaventure…
Né
en 1897, le jeune Erich se révèle un enfant prodige que l'on
compare à Mozart en plus mature ! Son
trio est composé entre les âges de 10 et 12 ans et est donné en concert en 1910 ; il montre l'incroyable précocité
du jeune garçon… Il joue du piano à cinq ans et à quatre mains avec son père.
En
1906 (9 ans), on le présente à Gustav Mahler
alors au faîte de son art qui voit en Erich "Un génie, un génie !" En
parlant de Mahler, Korngold
va grandir dans cette effervescence culturelle et intellectuelle inouïe de la
Vienne du début du 20ème siècle : les compositeurs comme Mahler et Strauss
ou de l'école de Vienne de Schoenberg,
la peinture d'un Klimt, les sciences
humaines et la psychanalyse fondée par Freud,
la littérature et la philosophie d'un Von
Hofmannsthal… Mahler, trop débordé pour le
prendre en charge, le confie pour sa formation à son ami Alexander
von Zemlinsky… En 18 mois l'adolescent a tout appris… Sa Sinfonietta
composée pour ses 16 ans sera interprétée par des maestros légendaires comme Arthur Nikisch, Willem
Mengelberg, Wilhelm Furtwängler,
Karl Muck, Hans
Knappertsbusch, Bruno
Walter et Richard Strauss.
Nooon ??? Ben si !
Renaud capuçon |
C'est
en 1920, année de ses 23 ans, que le
jeune compositeur entre définitivement dans la cour des grands avec la création
de son opéra "La
ville morte" (Die tote Stadt). Une histoire gothique de
réincarnation d'une épouse disparue dans la ville de Bruges. Pour la petite
histoire, dans le Ier
acte, l'un des plus beaux duos soprano-ténor de la musique lyrique est devenu un air de concert célèbre. Dans le film The big Lebowski des frères Cohen, on peut entendre ce
sublime duo en fond sonore quand Jeff
Briges se rend chez le millionnaire Jeffrey
Lebowski et se mire dans une glace imitant la couverture du Time…
Curieusement,
le musicien surdoué ne va pas se tourner vers les courants modernistes de l'époque
: polyrythmie, dodécaphonisme, etc. Korngold
va créer son propre style, un néo-romantisme plus ou moins influencé par Mahler
et Strauss. Ringard ? Non, car les aventures solfégiques ne sont pas sa
passion. Simplement, à la manière de Strauss il va poursuivre la voie du
romantisme jusqu'à ses limites. Peu de symbolisme ou de philosophie, mais
plutôt une esthétique chaleureuse.
Dès
les années 30, Korngold se rend fréquemment
aux USA et surtout à Hollywood où il va se passionner pour la musique de film.
Pensant faire des allers et retours avec sa Vienne chérie, il en sera empêché par
l'Anschluss car étant de confession juive. Il prendra la nationalité yankee en
1943. Il va signer des partitions mémorables, notamment pour les films de Michael Curtiz comme l'aigle des mers
ou Les Aventures
de Robin des Bois avec Errol
Flynn (2 Oscars pour les B.O. des deux superproductions). Collaboration
aussi avec William Keighley ou William Dieterle… Korngold
par son style musical ample et symphonique influencera les générations suivantes
de Elmer Bernstein à John
Williams.
Le
concerto pour
violon écouté ce jour et créé par Jascha
Heifetz en 1947 sera marqué
par ces compositions cinématographiques.
Après
la chute du nazisme, Korngold
retournera de temps à autres en Autriche à partir de 1949 après une première crise cardiaque. Mais l'époque est alors à la
musique moderne, au sérialisme, aux recherches historiques de Harnoncourt… En 1957, il meurt à
Hollywood déjà un peu oublié…
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Yannick Nezet-Seguin (né en 1975) |
Ce
concerto de Korngold est fréquemment enregistré
comme complément d'un CD consacré à une œuvre majeure du répertoire, Beethoven (comme pour cet album), Brahms, Mendelssohn,
Sibelius, etc. J'ai choisi
la version de Renaud Capuçon pour la
beauté plastique du son et l'engagement de son interprétation.
Renaud et son frère Gauthier,
violoncelliste, m'avaient déjà conduit à écrire un article à propos de deux
concertos (l'un pour violon, l'autre pour violoncelle) de Camille
Saint-Saëns, notre compositeur français qui n'est pourtant pas
ma tasse de thé (ça arrive…). (Clic) J'avoue avoir été séduit par la spontanéité de leurs jeux comme en
témoignait ma prose.
Nous
le retrouvons ici, accompagné de Yannick Nezet-Seguin,
tout jeune chef quadragénaire né au Canada et plus précisément québécois. Il
fait partie de ces valeurs montantes de la direction d'orchestre comme Gustavo Dudamel ou Lionel
Bringuier.
Si
le jeune maestro n'est pas encore le directeur d'une grande phalange
internationale, il peut afficher déjà un CV bien rempli avec des engagements (certains pour 10 ans)
comme chef invité avec des orchestres de renom : Philadelphie, Philharmonie
de Londres ou de Rotterdam
(chef principal), et présence dans les fosses d'opéra comme Covent Garden ou le Metropolitan
Opera de New-York…
Sa
discographie importante et éclectique s'impose dans le grand répertoire classique (opéras de Mozart), romantique et moderne, de Beethoven
à Stravinski en passant par Bruckner et Mahler.
Les critiques sont souvent élogieuses… À suivre…
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Jascha Heifetz (vers 1949) XXXXXX |
La
critique eut des mots durs pour cette œuvre qui affichait son style romantique
à la limite de la musique de genre en une période de prise de pouvoir quasi absolue du style atonal
et sériel comme nouveau dogme. Pourtant Schoenberg
aimait le perfectionnisme de Korngold
et répétait souvent : le dodécaphonisme est une invention, pas une découverte,
et il y a encore beaucoup de belles choses à composer en do majeur… L'humble
marque des vrais génies. Si le concerto pour violon puise abondamment
dans les thèmes écrits pour ses musiques de films (ce qui lui fut reproché),
l'orchestre par sa richesse de timbres n'a absolument rien de romantique,
jugez-en :
2
flûtes (+ 1 piccolo), 2 hautbois (+ 1 cor anglais), 2 clarinettes, 1 clarinette
basse, 2 bassons (+ 1 contrebasson), 4 cors, 2 trompettes, 1 trombone, harpe,
vibraphone, xylophone, glockenspiel, célesta, gong, cymbales, timbales, grosse
caisse, carillon tubulaire et les cordes.
Le
concerto comporte trois mouvements, une forme traditionnelle :
Détail
important : Korngold va réutiliser des thèmes des musiques de film qui ont fait son succès pour établir la thématique des
trois mouvements. Solution de facilité ? Non, car la cohésion est soignée et le
compositeur montre ainsi que les murailles entre les différents styles de
musique, savantes ou populaires, n'est qu'un préjugé d'intégristes snobs. Le concerto pour
orchestre de Bartók,
moins avant-gardiste que ses œuvres antérieures, date d'ailleurs de la même époque.
Juarez de William Dieterle (1939) avec Bette Davis, Brian Aherne, Gilbert Roland |
1 - Allegro - Moderato
nobile
: Le violon chante une douce mélopée baignée par une lumière diaphane de
l'orchestre avec ses arpèges de la harpe. Sensuel, poétique, nocturne. Je vais
faire hurler les puristes, mais cette introduction intimiste me fait songer aux premières mesures du Concerto à la mémoire d'un ange d'Alban Berg de 1935, dans l'esprit et par les sonorités en clair obscures qui se
dégagent. Oui, hurler, car l'écriture de Korngold
est de forme tonale presque académique teintée d'un léger chromatisme, tandis
que celle de Berg applique les règles du
dodécaphonisme pur et dur avec sa série de douze tons (Clic). Pourtant, dans les deux
cas, le charme langoureux opère. Démonstration que le fond émotionnel l'emporte
toujours sur les lois harmoniques structurant la forme. Dans le mouvement, Korngold incorpore des thèmes de deux
films : Juarez
de William Dieterle (1939) et Le prince et le
pauvre de William
Keighley (1937). Une grande
place est donnée au soliste. Les thèmes secondaires sont typiquement
cinématographiques : généreux et enfiévrés. La partie de violon exige une
virtuosité diabolique. Bien que l'orchestre soit très riche, Korngold utilise les pupitres avec
parcimonie, accompagnant le violon par petites touches dans un flot musical très souple
illuminé de notes cristallines du célesta ou de la harpe. Aucune métaphysique ou volonté descriptive, juste de la musique d'une grande pureté destinée
à enchanter et à émouvoir. [5:12] La cadence, d'une grande difficulté technique
mais passionnée, arrive très tôt. [6:42] Le développement suivant nous replonge à
l'époque des grandes B.O. Hollywoodiennes des confrères : de Autant en emporte le vent (Max Steiner) à Laura (David Raksin - pompée un tantinet chez Ravel).
L'intérêt du jeu de Renaud Capuçon et de son
accompagnateur est de garder une ligne de chant sobre, sans hédonisme, une
musique à la fois élégante et secrète qui échappe à tout fâcheux relent de cinémascope
symphonique…
Anthony Adverse de Mervin LeRoy (1936) avec Fréderic March et Olivia de Havilland |
2 – Romance – Andante : [9:42] Toujours dans le Quizz
"trouver le titre du film", ce pseudo mouvement lent très animé voire
enamouré cite des thèmes du film Anthony Adverse de Mervin LeRoy de 1936 avec Fréderic March
et Olivia de Havilland. Encore un
oscar pour la B.O. de Korngold
!
Le
terme romance dans la notation du tempo est tout à fait adapté à ce mouvement
ludique et un rien féérique. L'orchestre impose un climat empreint de nostalgie
avant d'accueillir une tendre mélodie du violon. On retrouve le climat
introductif de l'allegro. Korngold
aurait affirmé que dans sa composition, il pensait plus à un Caruso du violon
qu'à un Paganini. La fluidité et le lyrisme du discours confirment ce souhait de
faire chanter les cordes avec humanité et de gommer les effets spectaculaires
parfois un peu vains du virtuose italien. On pourra ressentir un marivaudage
épique entre les "vocalises" du violon et les facéties de l'orchestre
traité de manière très concertante. Les climax dramatiques ne font pas partie de
l'univers sonore de ce concerto. Et oui, un évident romantisme qui n'hésite
pas à s'épancher. On retrouve la sonorité drue sans vibrato inutilement
élégiaque de la part de Renaud Capuçon
et le souci de Yannick Nezet-Seguin
de souligner chaque note de l'orchestration.
3 – Finale - Presto in
moto perpetuo. Allegro assai vivace : [18:53] Le final énergique ne
retrouve pas à mon sens la liberté poétique des deux premiers mouvements. Korngold s'amuse à dérouler une musique
brillante, mais qui cède à la facilité. Les traits des cordes sont appuyés
comme si le compositeur cherchait une idée originale qui lui échappe. Certes,
c'est très guilleret…
On
pourra trouver cette musique sirupeuse, trop marquée par le style hollywoodien.
C'est une opinion respectable. On ne peut nier que dans les deux premiers mouvements,
nous replongeons avec délice dans cette époque du film romanesque, du noir et
blanc, des réalisateurs de génie…
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Comme
je l'écrivais plus haut, le concerto pour violon de Korngold
est souvent proposé en complément d'un concerto très connu et dont les
enregistrements sont pléthoriques. Dans le cas de l'album du jour, d'éventuels
acquéreurs possèdent peut-être déjà une demi-douzaine d'interprétations du
concerto de Beethoven. Même si la version de Renaud
Capuçon est de très bon aloi, voici quelques suggestions de
bonnes versions dans des couplages plus originaux.
Il
existe plusieurs enregistrements de Jascha Heifetz,
le créateur de l'œuvre. Dans cet album, on trouve également des morceaux de Miklos Rózsa (auteur de la B.O. du Ben Hur
de William Willer) et de Waxman.
Les tempos sont rapides, le trait agile, mais comme souvent le grand violoniste
n'arrive pas à échapper à un certain hédonisme trépidant qui, cela dit,
convient bien à Korngold. On ne peut
vraiment plus parler de sirupeux en écoutant cette volubilité. La Philharmonie de Los Angeles est placé sous
la direction de Alfred Wallenstein
(RCA – 5/6, son un peu acide). (Youtube)
Autre
choix : l'interprétation tout en légèreté du jeune violoniste tchèque Pavel šporcl. Le disque propose un
concerto de Richard Strauss, une œuvre assez
mineure n'ayant pas l'envergure un peu folle des poèmes symphoniques du maître
bavarois. Pour les amateurs de raretés (Supraphon – 4/6). (Youtube)
Enfin
l'interprétation raffinée de Gil Shaham
domine la discographie et a été rééditée avec d'autres œuvres de Korngold, dont des reprises de musiques de
films. André Previn
assure bien, comme toujours (DG – 5/6)
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Une
vidéo avec l'interprétation de Renaud Capuçon
et Yannick Nezet-Seguin.
Puis le duo extrait de l'opéra "La ville morte"
tel que l'on peut l'entendre dans le film The big Lebowski "Glück das mir verblieb" chanté par Anton
Dermota et Ilona Steingruber. Un
enregistrement réalisé à Vienne en 1949. Un son d'un autre âge mais une émotion
inégalable.
Enfin deux vidéos comportant des passages des B.O. originales de Robin des bois
et de Juarez
dirigées par le compositeur.
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